Irene Buenavida

[00:00:02] Lisette: Bonjour, ça c'est une entrevue avec Irène Saudai [sp?]-Buenavida à Montréal. Je m'appelle Lisette Shashoua [Sp?]. Le, c'est un projet pour Sephardi Voices et le camera, la personne de caméra est Hugo Dufort. The cameraman...

[00:00:29] Irène: Le personne qui est en train de filmer.

[00:00:31] Lisette: La personne qui est en train de filmer est Hugo Dufour.

[00:00:34] Henry: Ok, we'll do it one more time let's begin again.

[00:00:36] Lisette: Ok, delete, delete.

[00:00:40] Irène: And then he says Montréal, you should say Montréal, Canada.

[00:00:42] Lisette: Ok.

[00:00:42] Henry: Yeah, you should say Montreal, Canada.

[00:00:45] Lisette: You got the best here.

[00:00:46] Irène: No, no best.

[00:00:49] David: Okay ladies, let's go.

[00:00:53] Lisette: Euh bonjour, ça c'est un interview qui prend place à Montréal, Canada. C'est un projet de Sephardi Voices euh, la personne je j'interview est Irène Saudai [sp?]-Buenavida et moi je m'appelle Lisette Shashua [sp?]. La personne qui est en train de filmer est M. Hugo Dufort. La date est mai, 1er, 2016.

[00:01:26] Irène: Le premier mai, 2016.

[00:01:28] Lisette: C'est la...

[00:01:28] Irène: You say it in English.

[00:01:29] David: It's okay, it's okay we'll go with the improper French. In the end it's not the end of the world.

[00:01:38] Irène: I'm sorry.

[00:01:38] David: One will say, "Who is this French speaker? Like, c'mon." kay so I have two questions. Sit, sit, sit. Okay so two simple questions, are you comfortable and everything?

[00:01:52] Lisette: I'm comfortable.

[00:01:53] David: So if she asked you the questions an you answered in French because we don't really hear her, we hear you.

[00:02:02] Lisette: Ah, they don't hear my question.

[00:02:04] David: So for you, is it better because her French is not 100%.

[00:02:10] Lisette: No I'm gonna try...

[00:02:12] David: ...and I will pass ou notes along the way in terms of extending questions so you don't hear me.

[00:02:19] Irène: They're not gonna see my belly.

[00:02:20] David: No.

[00:02:22] Lisette: I can't see your belly either.

[00:02:24] David: One second, just let me work out some...

[00:02:27] Irène: Je suis prète.

[00:02:27] David: Here are my notes.

[00:02:28] Lisette: They are not.

[00:02:29] Irène: Oh.

[00:02:30] Lisette: Tell me when.

[00:02:32] David: Okay we're rolling. Anytime.

[00:02:35] Lisette: Quel est votre nom en entier, à l'entier?

[00:02:38] Irène: Mon nom est Irène Saudai [sp?]-Buenavida.

[00:02:44] Lisette: Et votre nom à votre naissance?

[00:02:48] Irène: C'est Saudai et mon nom hébraïque c'est Rina.

[00:02:54] Lisette: Et vous êtes à quelle année?

[00:02:57] Irène: Je suis le premier aout 1947 au Caire en Egypte.

[00:03:04] Lisette: Alors maintenant vous avez quel âge?

[00:03:07] Irène: J'ai 69 ans.

[00:03:11] Lisette: alors vous êtes née au Caire en Égypte. Merci beaucoup de la part de Sephardi Voices de nous donner cette entrevue. Alors est-ce que vous pouvez me dire quelque chose de l'origine de votre famille?

[00:03:33] Irène: Les origines de ma famille? Elles sont très mélangées. Alors voilà on va commencer par mes grands-parents qui sont nées à Tibériade à Jérusalem, ils sont venus en Égypte parce que il y avait des problèmes de, dans l'eau qui était polluée. [00:03:50] Ensuite mon père il est venu de l'Iraq, de Baghdad à l'âge de 12 ans, de 12 ans et puis ma mère est née en Égypte, mon père est né, comme je viens de dire, il est né à Baghdad. Mes beaux-parents ils viennent d'Espagne, ils ont immigrés en Turquie. Ils sont descendus en Égypte et comme je l'écris dans mon livre on est une Salata Baladi. On est un mélange de tout donc en fin de compte on sait pas qui on est.

[00:04:23] Lisette: Et votre histoire? Vous pouvez nous dire quelque chose de votre histoire?

[00:04:27] Irène: Alors voilà, je suis née le 1er aout, 1947 en Égypte au Caire. Donc c'était juste quelques mois avant que l'état d'Israël soit proclamé un état Juif. J'étais très jeune encore et puis avec le temps quand j'ai eu l'âge de huit ans, que j'ai commencé à comprendre plus la première des choses que j'ai entendu dans ma vie c'était des bombardements. Nous étions bombardés. Je voyais que mes parents étaient affaissés, ils avaient peur. On devait mettre des...des journaux sur les, sur les vitres pour qu'il y ait pas de lumière parce que sinon on se faisait entendre dans la rue. [Arabic?] [00:05:18] Ce qui veut dire, "Espèces de juifs éteignez les lumières et continuez sinon on va venir vous égorger." Donc mes parents ils avaient très peur. La première des choses qu'ils faisaient, mon frère, ma sœur et moi, on allait dans un endroit sous terrain pour pouvoir se cacher jusqu'à ce que la sirène finit puis on pouvait remonter. [00:05:40] Alors c'est très dur à l'âge de huit ans ne sachant pas c'était quoi le guerre, j'ai découvert la guerre. Et puis avec les années bien sûr ça n'a pas été facile. De plus en plus Gamal Abdel Nasser nous a fait beaucoup de difficultés. On avait plus le droit d'aller dans les écoles, de mettre les misuzu [?] dans nos maisons, de participer à n'importe judaïsme qui se trouvait au Caire. [00:06:05] Ça devenait de plus en plus difficile et le plus dûr c'est que quand ils sont venus demander après mon frère qui avait 18 ans, et ils devaient le jeter en prison pour qu'il n'ait pas un mouvement sioniste. Nous avons eu, que Salam oppose en fait, en paix, un monsieur Irakien qui s'appelait Victor Fahrhi [sp?] qui s'occupait de la petite communauté Égyptienne et il est venu dire, je regrette pas Égyptienne, juive. [00:06:34] Et il a dit à ma mère, "Vous ferz mieux de faire fuir votre fils parce que sinon il va être jeté en prison." Mon frère avait 18 ans. Mon père et ma mère devaient se séparer de lui ne sachant pas si un jour ils allaient le voir. On est partis à Alexandrie pour qu'il prenne le bateau. Ma mère et mon père étaient en train de pleurer, je ne savais pas pourquoi, pourquoi ils pleuraient. [00:07:05] Perce qu'ils savaient que c'est un jour qu'il n'allaient plus revoir leur fils à l'âge de 18 ans. À ce moment là c'était difficile de communiquer. On pourrait pas lui envoyer de l'argent. On pouvait pas savoir qu'est ce qu'il est devenu, qu'est ce qu'il a fait donc c'était très dur. Euh, voilà.

[00:07:30] Lisette: Merci. Est-ce que vous avez des mémoires de votre, de vos grands-parents?

[00:07:36] Irène: La mémoire de mes grands-parents. Oui, bien sûr. Étant donné que j'étais jeune j'adorais beaucoup aller chez mes grands-parents. Alors les grands-parents s'appelaient Nono, pour grand-père, Nona, pour grand-mère. Et on avait beaucoup, beaucoup de plaisir à se réunir...

[00:07:58] Lisette: Je m'excuse, est-ce que ce sont les parents de votre mère ou de votre père?

[00:08:04] Irène: On les appelait les deux. Que ce soit grand-mère, leur surnoms étaient Nono et Nona. Et le shabbat on se réunissait dans la maison de ma grand-mère paternelle qui s'appelait Rifka et on faisait beaucoup de tappage [?]. C'était très agréable et comme elle était Irakienne elle nous faisait la défina [?] et ce qu'elle appelle maintenant le tbit [sp?]. Et j'adorais ce tbit parce qu'il restait toute la nuit sur le feu. Ça c'est des bons souvenirs que j'avais.

[00:08:38] Lisette: Alors vous les, vous étiez avec eux jusqu'à quelle âge?

[00:08:44] Irène: Ils sont...

[00:08:44] Lisette: Vous avez d'autres histoires de vos grands-parents?

[00:08:47] Irène: De mes grands-parents. Mes grands-parents, euh, du côté maternel, ils sont décédés en Égypte. Du côté paternel je peux pas vous dire quelle année exactement j'étais très petite. J'ai pas connu mon grand-père maternel. Mon grand-père paternel je l'ai connu, il a été enterré en Égypte puis ma grand-mère est partie elle a été enterrée en Israël. [00:09:10] Donc nous, les juifs d'Égypte, les juifs dispersés que même à leur mort chacun était enterré une autre place. Voilà.

[00:09:21] Lisette: Et votre tbit, parlez nous de, du tbit de...de mémoires avec vos grands-parents.

[00:09:31] Irène: La recette du tbit c'est ça que, qui est très intéressant par ce que c'est très simple mais le fait que ça cuit toute la nuit sur un petit réchaud, j'appelle ça réchaud parce que c'était l'instrument qu'on employait. Alors c'est, c'est du riz avec du poulet, des œufs et on le laissait cuire tranquillement toute la nuit. Le lendemain matin la maison sentait l'odeur de la defina [sp?] oh, ça vous mettait l'eau à la bouche. [00:10:04] Les petits œufs qui étaient dedans ils devenaient bruns et nous les petits enfants on était fous de ces petits œufs. Et tout le temps il y avait des disputes qui c'est qui allait prendre des œufs donc on devait les couper en deux pour que chacun ait un petit morceau d'œuf de la défina. Le tbit.

[00:10:21] Lisette: Oh que de bonnes mémoires. Et de vos parents, euh, quand est-ce qu'ils se sont mariés? Qu'est ce que vous pouvez nous dire de vos parents?

[00:10:35] Irène: Mon père était un brave homme. Déjà à l'âge de 12 ans quand il est venu en Égypte il savait qu'il ne pouvait pas aller à l'école, qu'il devait aider son père. Donc ils ont ouvert une petite usine, ou une manufacture, qui faisait des chaussettes et depuis cet âge là il s'est bataillé très fort dans la vie pour pouvoir réussir. [00:10:59] Et dieu merci le bon dieu là récompensé. Il a ouvert sa petite usine et il a fait les chaussettes. Mon père était un très, très grand travailleur. Pour lui, il était esclave du travail. Parce qu'il avait à nourrir cinq bouches dans la maison. Ma mère ne travaillait pas, c'était pas de coutume que les femmes juives égyptiennes travaillent donc elles devaient s'occuper de nous élever, nous les trois, mon frère, ma sœur et moi et puis la vie était très dure. [00:11:28] Donc il fallait qu'il travaille très fort pour apporter l'argent à la maison. J'ai malheureusement pas pu jouir de mon père de la manière que j'aurais aimé par ce qu'il travaillait jour et nuit. Le seul jour qu'il avait avec nous c'était samedi. On de faisait tous une joie d'être autour de lui et il rigolait avec nous et quand c'était la période des vacances on partait pour deux semaines à un endroit qui s'appelait Ras El-Bar et là il était très content. [00:11:55] Il était tellement relaxe qu'il sortait en pyjama. Il allait à la plage en pyjama. Il était tout le temps en pyjama parce qu'il était relaxe c'était chose courante. On pouvait voir tout le monde marcher en pyjama. Ça c'est un très beau souvenir que j'ai de mon père.

[00:12:11] Lisette: Et ils se sont mariés à quelle âge vos parents?

[00:12:17] Irène: Mes parents se sont mariés bon, euh, on peut dire en 1945. Voilà.

[00:12:25] Lisette: Et ils avaient quel âge chacun d'eux?

[00:12:29] Irène: Mon père et ma mère quel âge ils avaient? Vous savez, à cette époque on donnait pas les âges. Donc tout ce que je me rappelle après la photo que j'ai vu de leur mariage c’était 1945. Mais euh, disons que ma mère elle est née en 1914 puis elle c'est mariée en 1945 alors je vous laisse le choix d'analyser la situation dans les calculs. Parce que ça va être trop compliqué pour moi pour aller en arrière.

[00:13:00] Lisette: Et son nom de fille à votre maman?

[00:13:04] Irène: Abourbi [sp?]. Abourbi c'est le printemps, rabia.[?] Alors c'était son nom de jeune fille.

[00:13:16] Lisette: Quel beau nom. Alors dans quelle région de Caire est-ce qu'ils vivaient? Si vous pouvez décrire la région où ils vivaient vos parents ou vous.

[00:13:43] Irène: Euh avant de se marier?

[00:13:44] Lisette: Avant et après oui.

[00:13:47] Irène: Avant de se marier mes parents euh, écoutez je vais vous dire quelque chose de très simple. Nos parents, nos parents à l'époque ils étaient tellement préoccupés à élever leurs enfants, à apporter l'argent dans la maison, à l'éducation des enfants, ils ne parlaient pas beaucoup de ces choses là. [00:14:12] Moi je peux vous dire que je suis née dans le secteur Daher et après ça on est déménagés parce que il y a eu un tremblement de terre.

[00:14:20] Lisette: Est-ce que vous pouvez décrire le région?

[00:14:23] Irène: Le région? Ben c'est sûr que toute l'Égypte n'est pas tellement riche, d'accord? Alors nous étions dans un quartier ordinaire, très ordinaire de façon à ce que l'immeuble y'a eu un tremblement de terre, l'immeuble a carrément penché de côté et on est restés plusieurs années sans avoir un appartement. On devait habiter chez les grands-parents euh, c'était pas facile d'avoir...le surpopulation d'Égypte c'était pas facile de pouvoir trouver un appartement. [00:14:55] Il fallait toujours payer quelque qui s'appelle un bon, un bon de sortie. C'est à dire payer une personne pour qu'elle quitte l'appartement pour qu'on puisse l'avoir. Donc l'habitation en Égypte était très, très difficile. Les enfants vivaient avec leurs parents jusqu'au jour de leur mariage et c'est devenu une coutume. [00:15:16] Ça fait que maintenant moi j'ai mon fils ici qui a vécu avec moi jusqu'à ce que [inaudible] je le vois marié un jour. Et après le tremblement de terre on a été habiter dans un autre quartier. Je regrette, je me rappelle pas. Et ce que je me rappelle avant de quitter pour venir à Montréal c'était Midane Babelou [sp?]. C'était un rond point où on prenanit le train pour aller à Zamalek, à Daher et c'était très, très animé. [00:15:51] Y'avait beaucoup de population, ça je me rappelle comme si c'était hier encore.

[00:15:57] Lisette: Et qu'est ce que faisait votre grand-père comme travail?

[00:16:02] Irène: Usurier. Mon grand-père Jakov Abourabia [sp?] ou Abourabien il était usurier. Il avait 10 enfants qu'il devait nourrir. Il était très religieux aussi. Donc je viens un petit peu de...

[00:16:20] Lisette: Usurier veut dire quoi exactement?

[00:16:22] Irène: Oh, usurier ce qui veut dire que les gens venaient avec leur bijoux, ils leur laissaient des bijoux et il leur avançaient de l'argent.

[00:16:30] Lisette: Ah bon.

[00:16:30] Irène: Il a fait ça, oui.

[00:16:33] Lisette: Et votre grand-père de l'Irak il est venu à l'âge de 12 ans et il a fait...

[00:16:39] Irène: Ça c'est mon père qui est venu à l'âge de 12 ans mais son père, parce que en Irak la situation était très difficile. Il n'y avait pas du travail pour lui alors il avait un beau-frère qui habitait en Égypte....

[00:16:50] Lisette: En quelle année? Est-ce que vous savez?

[00:16:52] Irène: Non. Malheureusement.

[00:16:53] Lisette: Et il est né en quelle année votre père?

[00:16:56] Irène: Mon père ou mon grand-père?

[00:16:57] Lisette: Votre père, il est né en quelle année?

[00:17:00] Irène: Euh, 1914 je pense.

[00:17:05] Lisette: Ok. Comme votre maman.

[00:17:09] Irène: Oui, oui, oui. ls avaient un différence...différence d'âge très petite. Et mon grand-père ne voulait pas que mon père marie ma mère.

[00:17:18] Lisette: Pourquoi?

[00:17:19] Irène: Parce que il trouvait pas, mon grand-père ne trouvait pas que mon père, il n'avait pas un métier vraiment solide par rapport à tous ses enfants qui ont étés tous éduqués donc ma mère était folle amoureuse de lui. Il restait en bas du balcon à l'attente de quand elle allait se promener pour la suivre. Il était très amoureux d'elle. Et ma mère aussi. [00:17:46] Alors mon grand-père il a dit, "J'ai pas le choix, ils s'aiment alors ils vont se marier."

[00:17:50] Lisette: Ils étaient heureux toute leur vie?

[00:17:51] Irène: Ils ont étés heureux. Ils ont été heureux mais malheureusement la vie les a chiffonnés avec, avec la situation des arabes qui nous on maltraités et que, la joie n'était pas complète. La joie n'était pas complète.

[00:18:09] Lisette: Mais ils s'aimaient toujours?

[00:18:09] Irène: Bien sûr. Ils s'aimaient, ils ont eu trois beaux enfants, je suis un exemple...

[00:18:17] Lisette: C'est très beau. Et parle-moi des autres, de votre, de religion de la famille. Vous étiez religieux?

[00:18:26] Irène: Oui. Oui, oui. Mon grand-père...

[00:18:29] Lisette: Les Sépharates, les fêtes, comment vous, comment vous fêtez ça? Votre Shabbat, parlez-nous de shabbat.

[00:18:37] Irène: Ok, est-ce que tu veux, je parle du shabbat de chez nous à la maison maintenant, présentement? De l'ancienne époque.

[00:18:46] Lisette: Vos parents.

[00:18:48] Irène: Oh, de mes parents. Alors comme je disais mon père était un esclave du travail euh, il devait subsister aux besoins de sa famille donc le seul jour qu'il avait congé c'était samedi et il avait besoin de cette journée pour se reposer, beaucoup. Mais la veille ma mère, bien sûr, elle devait préparer tout le manger à l'avance. Il n'était pas question de cuisiner le shabbat, il n'était pas question d'allumer les lumières, téléphone on oublie parce qu'on avait pas de téléphone, on avait pas de télévision donc, quand même, cette situation nous aidait à être shomer shabbat. [00:19:25] Et mes grands-parents aussi étaient aussi très religieux, euh, mon grand-père je me rappelle il venait de, il a eu huit garçons et les huit garçons, tous les matins devaient mettre le tefilin [sp?] et s'asseoir tous un à côté de l'autre pour prier mais y'a, hein, y'a toujours une brebis noire dans la famille. C'était mon oncle qui dès que mon grand-père s'en allait il prenait le journal derrière lui, il faisait sortir et il lisait le journal.

[00:19:55] Lisette: Avec le tefilin. Mais le journal devant lui. Alors un jour mon grand-père l'a attrapé il lui dit, "David, qu'est ce que tu fais? Pourquoi tu ne pries pas comme tes frères?" Il répond, "Mais pourquoi je, je veux déranger le bon dieu puisque mes frères le font déjà?" C'est une histoire que je me rappelle encore. Alors c'est pour vous dire que je viens d'une culture très religieuse dans la famille.

[00:20:22] Lisette: Et votre grand-père comment il a réagi? Il l'a frappé? Il a rit? Quoi?

[00:20:26] Irène: Non, il s'est mis à rire. Il s'avait que c'était "hopeless" comme on dit. Un désespoir en ce garçon qui ne veut pas du tout ni prier, ni, mais il mettait toujours son tefilin pour faire plaisir à son père. Voilà.

[00:20:42] Lisette: C'est bon ça. Ok alors vous n'aviez pas de, de préparations spéciales pour le shabbat chez vous à la maison.

[00:20:52] Irène: Mais oui, bien sûr. Bien sûr, absolument.

[00:20:54] Lisette: À manger mais pas de synagogue quand même.

[00:20:56] Irène: La synagogue c'était primordial pour nous. Le vendredi soir toute la communauté allait dans la plus vielle synagogue, la plus grande synagogue qui avait plus que 100 ans. Ça s'appelle Kinista Smaleyah [sp?] c'est la Shaar Shamayim [sp?] si on veut le traduire. C'était obligatoirement avant de passer à table d'aller à la synagogue. Et ma mère nous faisait de très bons repas. On faisait le kiddoush, il n'avait pas la challah donc y'avait toujours le pain. On faisait le kiddoush sur le pain, sur le, le vin, on ne pouvait pas avoir du pain, du vin non plus. [00:21:35] Du jus de raisin et la coutume continue ici. Et puis à manger et puis, après ça chacun faisait sa petite vie et, et ça finissait là.

[00:21:47] Lisette: Ok, est-ce que les dames allaient aux synagogues aussi? Ou c'est juste les hommes?

[00:21:52] Irène: C'était juste les hommes mais samedi les femmes allaient.

[00:21:54] Lisette: Ah.

[00:21:55] Irène: Oui samedi matin on allait à la synagogue.

[00:21:58] Lisette: Vous aussi?

[00:21:58] Irène: Moi aussi j'allais à la synagogue.

[00:22:00] Lisette: Ok et pour le lunch, pour le...

[00:22:03] Irène: Pour le repas de midi on revenait à la maison manger quand nous, toujours nous étions invités chez ma grand-mère qui nous faisait le tbit. Alors d'un côté ça lui donnait un petit repos pour ne pas cuisiner pour le samedi. On allait tout le temps chez ma grand-mère. J'attendais avec impatience ce shabbat, tous les shabbat.

[00:22:22] Lisette: Alors votre grand-mère c'est votre grand-mère mater...paternelle.

[00:22:25] Irène: Paternelle.

[00:22:26] Lisette: Alors elle est venue de l'Iraq elle aussi.

[00:22:28] Irène: Oui bien sûr.

[00:22:29] Lisette: Avec votre...

[00:22:30] Irène: Avec mon grand-père. Parce que mon grand-père n'avait pas du travail en Iraq.

[00:22:35] Lisette: Ah, je pensais que c'était juste votre papa qui était...

[00:22:39] Irène: Non, mon grand-père est venu avec sa famille de cinq enfants.

[00:22:43] Lisette: Est-ce que, qui faisait, qui faisait les...shopping à la maison pour les repas? C'est votre maman ou votre papa?

[00:22:55] Irène: Alors voilà c'était ma mère qui faisait les achats pour les fêtes. Maintenant c'est très spécial en Égypte parce que le fruitier va passer dans la rue et il va crier à haute voix, "J'ai des bonnes pommes de terre!" Alors ma mère elle appelait le monsieur et il avait un panier en osier avec une corde, elle faisait descendre, elle lui disait, "Mets-moi un kilo de pommes de terre mais choisis moi les bonnes pommes de terre hein? Pas des pommes de terre gâtées." Et elle discutait à haute voix le prix même. [00:23:30] Ils marchandaient tout le temps c'était le marchandage, elle tirait la corde et puis après ça l'autre passait avec un autre légume donc c'était très rare qu'on sortait. Pour la viande on avait pas de viande kasher, y'avait juste un jour par semaine qui avait de la viande kasher donc on avait droit un jour par semaine de manger de la viande. On ne mangeait pas de viande, il y avait pas de chocolat, on était censurés même pour les morceaux de savon. [00:24:00] Alors, mais vous savez quoi? Avec tout ça je, je trouvais que la vie était agréable. Je me rendais pas compte de la difficulté mais c'était ma mère qui faisait le marché, pas mon père. Mon père était le travail, le travail, le travail. Voilà.

[00:24:16] Lisette: Pour tout le temps. Pour les fêtes et pour les shabbats et pour la semaine.

[00:24:21] Irène: Tout le temps c'était ma mère.

[00:24:24] Lisette: Et donc poisson comment vous faites? Est-ce que vous achetiez des poissons aussi?

[00:24:33] Irène: Si on achetait des poissons?

[00:24:34] Lisette: Oui, est-ce que vous mangiez des poissons? Parce que...

[00:24:36] Irène: Oui, oui.

[00:24:37] Lisette: Si vous mangiez pas de la viande...

[00:24:40] Irène: Oui. vous savez tout est très cher en Égypte à cette époque là. Alors c'était beaucoup de pain et fromage et c'était beaucoup les fallafel qu'on l'appelle, on l'appelle pas les fallafel en Égypte. On l'appelle tameya et le foul m'dammes c'est les fèves. Donc même déjà depuis très petite c'est ce que je mangeais tout le temps. C'est les fèves et les fallafel, des fèves et des fallafel et le fromage.

[00:25:08] Lisette: C'était votre protéine.

[00:25:10] Irène: C'est la protéine, c'est des protéines qu'on avait parce qu'on pouvait se permettre d'acheter beaucoup.

[00:25:15] Lisette: Et vous n'aviez, est-ce que vous aviez quelqu'un qui vous aidait à la maison comme domestique ou?

[00:25:23] Irène: Oui. On avait pas le choix. Il n'y a pas maintenant, comme, maintenant c'est tellement modernisé, c'est formidable. Tout était à la main. Alors on avait une petite bonne qui venait et puis c'est drôle ce que je vais vous dire, ma mère était très généreuse avec cette bonne. Elle lui donnait tout ce qu'elle voulait. [00:25:42] Mais elle volait quand même la bonne. Elle descendait de la maison et elle volait. Un jour ma mère lui a demandé, elle lui a dit, "Fatma, tout ce que tu me demandes je te le donnes, pourquoi tu me voles?" Elle lui dit, "Mais c'est écrit dans notre coran de voler les juifs et je dois suive ce qui est écrit dans mon coran." Alors c'est incroyable déjà l'antisémitisme existait depuis que j'avais l'âge de huit ans et je me rappelle de cette histoire.

[00:26:12] Lisette: Et elle était la seule bonne que vous aviez? Est-ce que vous aviez euh, châtié après ça?

[00:26:18] Irène: Ben on changeait tout le temps de bonne. On cherchait toujours celle qui était le meilleur marché qu'il y avait. C'était ça.

[00:26:25] Lisette: Elles étaient toujours...

[00:26:26] Irène: Il y avait ceux qui étaient gentilles, il y avait ceux qui étaient voleuses, ceux qui étaient voleuses, ceux qui ne l'étaient pas mais c'était, c'était ça ce qu'il y avait. On devait prendre ce qu'on avait sur le marché.

[00:26:36] Lisette: Des musulmanes toujours?

[00:26:37] Irène: Toutes des musulmanes. Il n'y a pas, le juifs, non. Ni chrétiens ni juifs.

[00:26:44] Lisette: Ok, alors vous vous rappelez du synagogue?

[00:26:48] Irène: Oui. Comme je viens de vous expliquer y'a eu deux synagogues. Euh je mentionne deux synagogues parce que y'a eu la synagogue de Kinista Smaleyah [sp?] la grande synagogue ou le rabbin Chaiim Nahoum [sp?], le roi l'a fait venir de France, c'est un rabbin turque qui était un bon ami à mon grand-père. Une sommité. Il était le conseiller du roi. [00:27:12] Et euh, c'était une synagogue très prestigieuse. On avait des enfants de chœur, une très grande synagogue les femmes restaient en haut et puis y'avait tout en bois donc on voyait à travers les trous du bois. Les hommes priaient en bas. Le chant de vendredi soir et de samedi c'était formidable. Comme si nous étions dans une opéra parce que tous ces garçons ils avaient une si belle voix. [00:27:38] Et c'est très touchant, c'est très beau tout ça. Donc ça c'est une synagogue que beaucoup de gens se mariaient là bas. Beaucoup de[inaudible] se sont passés là bas. Mon frère il a étudié sa Bar Mitzvah là bas et faut vous à Pessa'h c'est là bas qu'on achetais tout. Il n'y avait pas de magasins ou on pouvait acheter tous les, tous les ingrédients pour Pâques et, la matza était fait là bas aussi. [00:28:07] Maintenant étant donné qu'on pouvait pas faire beaucoup de matza on complétait le repas de Pessah avec du riz et des pommes de terre. Et c'est la raison pour laquelle que tous les juifs Égyptiens ils peuvent manger le riz à Pessah. une autre synagogue qui est très importante, que je dois vraiment mentionner c'est Ben Ezra. [00:28:27] C'est une des plus veilles synagogues Ben Ezra et l'histoire dit de cette synagogue d'après le concierge, parce qu'on l'appelle le concierge en Égypte le baouab. Ce sont tous ces vieux qui savent les histoires qui se passaient. Donc on lui a demandé, cette histoire, c'est quoi son histoire? Il nous a dit, venez je vais vous faire descendre en bas dans le puits. Vous allez voir de l'eau. Et de cette eau Moise a été pêcher. [00:28:58] Quelques années plus tard mon oncle il me dit que tous les vendredi il allait dans cette synagogue, il n'allait pas dans l'autre synagogue pour continuer la routine qu'il y ait encore du monde dans cette synagogue qui est vieille plus que 2000 ans. Vous rentrez dans cette synagogue, c'est écrit en hébreu en grandes lettres, "C'est là que Moses venait prier le bon dieu avant d'aller rencontrer Pharaon." Cette synagogue a commencé à tomber en ruines. [00:29:29] Quand il y a eu le, l'acte de paix entre Begin et Sadate alors Sadate il voulait vraiment faire plaisir au peuple d'Israël, il a dit, "On va restaurer cette synagogue qui tombe en ruines et que plus personne ne va là bas." Alors Sadate a contacté Charles Bronfman le grand architecte qui est connu ici à Montréal, au Canada et lui a demandé de restaurer cette synagogue donc il est part avec sa sœur Phyllis Lambert Bronfman, deux architectes qui ont tout défrayé les frais pour restaurer cette synagogue qui es devenue une merveille. [00:30:14] Pour parler de synagogue malheureusement nos deux synagogues sont maintenant fermées et ça fait triste au cœur parce que il y a Magda Haroun qui est présidente d'une si florissante communauté juive égyptienne de 80 000, ils se trouvent seulement neuf femmes toutes mariées à des musulmans et malheureusement quand Magda m'a parlé elle m'a dit, "Quand le téléphone sonne je sais pas qui va mourir encore parce que il n'y a plus de mariages, il n'y a plus rien qui se fait."[00:30:49] Alors les synagogues ne sont plus fonctionnelles. C'est ça qui me fait de la peine.

[00:30:54] Lisette: Mais au moins elles existent encore. Elles sont pas toutes bombardées ou quoi que ce soit.

[00:30:58] Irène: Les deux synagogues ont étés bien, bien, bien tenues par le gouvernement, je dois remercier le gouvernement d'Égypte. C'est surtout Kinista Smaleyah où j'ai vécu là bas, où j'ai passé toute ma jeunesse, toute ma jadaica a été là bas et, elle est employée comme un musée. Donc ils ont mis des soldates dehors, on peut rentrer visiter mais avec une autorisation et laissez votre passeport à la porte quand vous rentrez.

[00:31:28] Lisette: Et dis moi, la Guenizah...

[00:31:30] Irène: La Guenizah, se trouvait dans la synagogue Ben Ezra.

[00:31:35] Lisette: Elle est toujours là?

[00:31:37] Irène: Mais c'est la synagogue que Phillis Lambert Bronfman a restauré et c'est là qu'on peut voir l'existence du peuple juif qui a vécu en Égypte. Grâce à la Guenizah on peut lire toutes leurs histoires.

[00:31:51] Lisette: Et le Guenizah est toujours là ou elle est partie en...

[00:31:53] Irène: Le Guenisah elle est partie en Angleterre et dans d'autres parties du monde aussi. Mais je sais surtout celle d'Angleterre oui.

[00:32:04] Lisette: Oui. Alors elle reste toujours là.

[00:32:06] Irène: La Guenizah se trouve dans l'université de d'Angleterre. Oui.

[00:32:11] Lisette: Alors y'a rien qui reste dans Ben Ezra?

[00:32:16] Irène: Non, juste les, ces sépharimes et les livres de prière.

[00:32:19] Lisette: Ah il reste encore [inaudible]. Alors parle moi de votre école et s'il y avait des, parles-nous de votre école.

[00:32:29] Irène: De mon école. Bon, ma mère était professeur de français, avant de se marier bien sûr. Parce que quand on se maire on ne peut plus travailler. Alors pour elle l'étude était très importante. Ma mère nous disait que les, avoir un diplôme dans la main c'est le meilleur investissement que je peux donner à mes enfants. Mais comme les irakiens ils adorent les garçons mon frère avait droit à une très belle éducation chez l'école religieuse qui s'appelait les frères. [00:33:02] Nous, ma sœur et moi, elle nous a fait changer très souvent d'école à toutes les fois elle disait, "Non, c'est pas assez bon." Donc on a été élevées dans plusieurs écoles tenu par des religieuses, catholiques. Et jusqu'a ce qu'elle a pu trouver, j'ai passé par tant d'écoles que je peux plus me rappeler le nom de toutes ces écoles. Mais vers la fin il y a eu une école qui s'appelait Goute de Lait qui a été fondée par [inaudible name] et ils voulaient, mes parents voulaient me donner un peu de judaïsme. [00:33:37] Donc ma sœur et moi on est partis dans cette école et après ça 1966, oui, octobre 1966 qu'on devait quitter, j'avais 18 ans alors mon père il a dit, "Irène, je veux que tu aies un métier dans la main et ut vas aller apprendre ce que tu as envie de faire." Et moi j'adore la couture et la mode alors j'ai étudié la couture et la mode et ça m'a pas servi quand je suis venue au Canada.

[00:34:09] Lisette: Et est-ce qu'il y avait des, des affaires sionistes chez vous au Caire ou en Égypte? Est-ce qu'il y avait des mouvements sionistes?

[00:34:24] Irène: Lest mouvements sionistes bien sûr qu'ils ont été, existés depuis qu'il y eu l'état d'Israël en 1948 ça commencé à aller de mal en pire. Y'a eu des saisies de toute le communauté juive et égyptienne qui se trouvait là. Euh, ils ont saisi tous leurs biens, confisqué même les instruments chez eux à la maison. [00:34:48] Euh, c'est des souvenirs très tristes. Oui.

[00:34:53] Lisette: Est-ce que vous vous rappelez de ça?

[00:34:54] Irène: Oui.

[00:34:54] Lisette: Est-ce que c'était à votre, votre ...childhood? Votre enfance?

[00:35:01] Irène: De mon enfance, comme je l'ai dit au début de mon interview ici, je parlais que j’avais l'âge de huit ans quand j'ai entendu les bombardements et de mon enfance j'avais un mélange de sentiments: Qu'est ce qui allait se passer avec nous? Est-ce qu'on allait nous tuer? On allait continuer à exister ici? Est-ce que je vais revoir mon frère? Et puis Gamal Abdel Nasser a été de plus en plus sévère avec nous. Il a nationalisé l'usine de mon père donc on ne pouvait pas avoir les moyens pour sortir de l'Égypte. [00:35:37] Et euh, ça été très, c'était une période très difficile pour nous, pas seulement pour nous mais pour beaucoup de juifs qui sont restés jusqu'aux années '56 quand il y a eu vraiment une grosse ruée de juifs qui sont, qui ont quitté l'Égypte.

[00:35:52] Lisette: Mais le mouvement sioniste ça n'existait plus en France? C'était fini n'est-ce pas?

[00:36:00] Irène: La raison pour laquelle mon frère il a dû nous quitter parce que le mouvement sioniste existait et que Gamal Adbel Nasser avait peur que toute le, cette jeune génération qui vont vers eux. Mais il y a eu, il y a eu de l'exile en 1948, '56, ça été dans plusieurs étapes...et '66.

[00:36:24] Lisette: Ok, est-ce que...alors parles-nous de l'année 1956. Qu'est ce que vous vous rappelez? C'est ça l'an [inaudible] n'est-ce pas?

[00:36:37] Irène: Oui 1956 c'est les années où j'ai entendu les bombardements, où je voyais beaucoup de mouvement qui se passait, des soldats dans la rue, ils étaient partout. Ils nous provoquaient, ils nous demandaient si on aimais Gamal Adbel Nasser et me mère nous, faisait très attention et me disait, "Irène, tu ne réponds pas. Nous l'adorons. Il est très bien. On est très contents ici." [00:37:06] Il fallait qu'on fasse très attention il y avait des espions partout. Partout, partout.

[00:37:19] Lisette: Lorsque vous parlez du [inaudible] est-ce que vous avez fait le bar mitzvah, bat mitzvah chez vous? Peut-être votre frère mais pas vous, n'est-ce pas?

[00:37:27] Irène: Mon frère il a fait la bar mitzvah collective à la synagogue de [inaudible]. Moi non. Pas vraiment. Non mais j'ai eu l'occasion de la faire ici à Montréal et comme...

[00:37:45] Lisette: Et est-ce que vous aviez des problèmes à l'école pour être juifs? À cause d'être juifs?

[00:37:52] Irène: Alors voilà, dans les écoles ils enseignaient le religion. Quand c'était le moment d'enseigner le coran on nous jetait dans la cour. On était pointés du doigt tout le monde savait que nous étions des juifs. On était là, seuls, sans surveillance, sans rien faire, juste jetés comme ça dans la cour pour attendre que le cours de coran finissait. Ça, ça m'a marqué pour le restant de ma vie.

[00:38:22] Lisette: Et vous étiez combien dans ta classe qui étaient jetés comme juifs, qui étaient jetés dehors?

[00:38:29] Irène: Nous étions plusieurs. Nous étions plusieurs.

[00:38:32] Lisette: Alors vous vous jouiez?

[00:38:33] Irène: Ben on jouait euh, une façon de parler hein? On se sentait rejetés. Qu'est ce qu'on allait faire? On restait, on tournait en rond comme ça. Y'avait rien à faire.

[00:38:52] Lisette: Alors est-ce que vous aviez des mitzvah? Vous n'êtes pas allées, y'avait des cimetières juifs évidement mais les filles n'allaient pas n'est-ce pas?

[00:39:01] Irène: Elle n'allaient pas dans les cimetières?

[00:39:04] Lisette: Ouin, est-ce que vous êtes...?

[00:39:05] Irène: Ok, ça c'est question de coutume. Il y a des parents qui disent tant que nous on est en vie, nos enfants ne rentrent pas dans le cimetière. Et ça j'ai gardé, je le pratique avec ma famille. Mais y'a d'autres parents qui prennent leurs enfants pour aller au cimetière pour visiter les grands-parents. Mais pour parler de cimetières, est-ce que vous pensez qu'on a un cimetière en Égypte? Il tombe en ruine. [00:39:33] Les arabes ont étés vivre là bas avec des animaux sur ces cimetières. Y'a de l'eau partout dans le cimetière. Il n'y a pas ni le marbre ni le nom. Même si vous allez visiter vous ne saurez pas qui vous allez visiter. Parce qu'il n'y a pas de noms, il n'y a rien et personne ne s'est occupé de ça. Et il y a eu l'ancien présidente avant Magda Haroun, Wednesday, elle a essayé de ramasser des fonds pour remettre ces cimetières en place au moins pour qu'on puisse savoir. Ça coute une fortune. Et c'est déprimant. Alors c'est très triste nos cimetières.

[00:40:10] Lisette: Alors ce n'est pas [inaudible]

[00:40:12] Irène: Nos cimetières s'appellent Basatim [sp?] et y'a un site web dans l'internet vous pouvez rentrer, vous tapez Basatim ça va vous donner toutes les nouvelles sur l'Égypte, qu'est ce qui se passe. Comment c'était avant.

[00:40:26] Lisette: Bar mitzvah, [inaudible]...

[00:40:29] Irène: Mariage.

[00:40:30] Lisette: Mariage, parlez nous de ça.

[00:40:33] Irène: Ah il faut parler de ça. Ok. C'est une grande joie. C'est une grande joie. C'est, le mariage a était très différent d'ici parce qu'on allait toujours avec Kinista Smaleyah, tout le monde était invité là bas. On prenait des photos là bas. Et puis les mariés ils allaient à la maison des parents et là toute la cuisine était faite à la maison. Alors imaginez toutes les femmes retroussaient leurs manches et préparaient des repas très spéciaux, mashouareinem [??], les stuffed wine qu'on appelle, les farcies feuilles de vigne, des courgette farcies, des artichauts farcis. Tous des mets que, spécifique pour des, des occasions spéciales. [00:41:19] Bar mitzvah, bat mitzvah ça se passait à la synagogue.

[00:41:23] Lisette: Y'avait des bat mitzvah?

[00:41:24] Irène: Euh, non, je me rappelle pas. Il devait y avoir mais étant donnée que j'ai pas eu mienne donc j'étais pas invitée, je ne sais pas. Mais pour les bar mitzvah je le sais parce que mon frère a passé par là. Ça se passait à la synagogue, à la portée des dragées, le rabbin, rabbin l'enseignait et après euh, c'était presque tout. [00:41:44] C'était pas des grandes fêtes ni rien. C'était juste le côté religieux ça finit là.

[00:41:51] Lisette: Et des pèlerinages? Est-ce qu'il y avait des pèlerinages à part aller voir l'eau où Moise à prié?

[00:41:58] Irène: Mais bien sûr! Le rambam.

[00:42:02] Lisette: Oui.

[00:42:03] Irène: Le Maïmonide qui avait dans le secteur qui s'appelait Haret El Yahoud [sp?], le quartier des juifs, il avait sa petite synagogue là bas. Il était là bas, il a vécu la grosse partie de sa vie là bas et les gens disaient qu'il faisait des miracles. Je ne sais pas mais si je vais raconter les histoires de mes oncles et mes tantes ils disaient effectivement qu'il faisait des miracles. C'était aussi une grosse personnalité qui avait beaucoup d'instruction médicale. [00:42:38] Alors à part les miracles il donnait beaucoup de conseils médicaux. Il a écrit de très bons livres et il a vécu une grosse partie en Égypte et y'a enterré là bas un rabbin qui s'appelle Abou Hassira d'Amalhour [sp??] et le tombeau il existe encore là bas mais malheureusement le gouvernement d'Égypte nous laisse pas aller visiter là bas. Maintenant avec le nouveau gouvernement le président al-Sissi qui a l'air d'être plus souple, plus tolérant. Nous espérons qu'on pourra retourner.

[00:43:07] Lisette: Mais vous pouvez visiter Rambam ou même pas?

[00:43:11] Irène: Le rambam, la place où il l priait, oui c'est à la place qui s'appelle hagdelia houd [sp?]. La place est encore là.

[00:43:20] Lisette: C'est comme un synagogue?

[00:43:22] Irène: C'est pas tout à fait comme une synagogue mais les gens allaient prier là bas, oui. Oui c'est fermé mais ça existe. C'est encore là.

[00:43:32] Lisette: Est-ce que vous aviez des amis chrétiens, musulmans? Est-ce que vous...vous visitez l'un l'autre?

[00:43:42] Irène: Avant y'a eu, bon si je veux parler moi personnellement, ma mère était une mère poule, très protectrice et comme elle savait qu'on vivait une situation instable et dangereuse elle ne nous laissait pas fréquenter ni même nos voisins. C'était juste les voisins, bonjour, au revoir, merci et ça finissait là. Mais on ne sortait pas, on allait pas dans des excursions parce que ça, on faisait beaucoup des excursions en Égypte, surtout avec les trois pyramides et le Giza, tout le monde allait là bas, nous elle nous laissait pas là bas.

[00:44:16] Irène: Vous n'êtes jamais allés?

[00:44:18] Irène: Non.

[00:44:18] Lisette: Aux pyramides? Giza?

[00:44:19] Irène: Non, j'ai jamais vu physiquement les trois pyramides parce que ma mère avait peur pour nous. Y'avait beaucoup trop d'arabes.

[00:44:34] Lisette: Est-ce que vous aviez des superstitions spéciaux?

[00:44:38] Irène: Superstitions? Alors voilà, une superstition que ma mère me racontait, mon grand-père qui avait 10 enfants et quand tous allaient à la synagogue le vendredi soir m grand-mère elle prenait du sel, elle mettait du sel dans chaque poche de chacun de ses enfants et elle leur disait, "Ne partez pas tous ensemble avec votre père. Toi tu vas par là, toi tu vas par là, toi tu vas par là, pour qu'on voit pas que c'est une famille qui a beaucoup d'enfants." [00:45:12] Alors ça c'est une superstition donc le sel c'était contre le mauvais œil. Le mauvais œil ça existe et même ça existe chez nous dans la torah. Tous les matins quand les hommes prient ils demandent au bon dieu de les protéger du mauvais œil. Donc nous avons cette superstition. Et l'autre chose que y'a une croyance dans ça c'est le bleu, turquoise. [00:45:40] En mettant le bleu turquoise, c'est à dire qu'on est protégé contre le mauvais sang [?]. Ou des fois comme maman elle montrait à une des ses enfants qui était [inaudible] elle dit [inaudible]. C'est à dire "Cinq sur toi, que le bon dieu te protège."

[00:45:54] Lisette: Alors le cinq c'est pour...

[00:45:56] Irène: Le cinq c'est pour ça.

[00:45:58] Lisette: Pour protéger.

[00:45:59] Irène: Le cinq et la turquoise.

[00:46:04] Lisette: alors la dernière question pour l'Égypte c'est, est-ce que vous aviez des contacts avec les coptes? Les chrétiens coptes?

[00:46:15] Irène: Depuis que j'ai quitté l'Égypte?

[00:46:17] Lisette: Ben avant ou après. Ou les deux.

[00:46:20] Irène: Non, on a...en Égypte on a pas eu vraiment aucune interaction avec ni musulmans ni coptes.

[00:46:31] Lisette: Alors en quelle année vous avez quitté l'Égypte?

[00:46:34] Irène: En octobre 1966.

[00:46:39] Lisette: Avant la guerre.

[00:46:40] Irène: Six mois avant la guerre.

[00:46:42] Lisette: Chanceuse.

[00:46:44] Irène: Je peux me considérer chanceuse.

[00:46:46] Lisette: Pourquoi vous avez quitté alors?

[00:46:48] Irène: Pourquoi elle a quitté? Parce que de la même manière qu'ils ont demandé que mon frère, qu'il soit pas jeté dans la prison par le parti sioniste après ça ces deux soldats venaient tous les soirs taper à la porte demander après moi et c'est là que de nouveau ce monsieur qui s'occupait de la communauté juive ils ont dit, ils vont prendre nos filles pour les jeter en Arabie Saoudite et les vendre comme des esclaves ou des, comme des, je veux pas employer l'autre mot ou autre chose. [00:47:17] Donc c'était grave. Là mon père il s'es rendu compte, il a deux filles, il a peur pour ses deux filles, son fils n'est plus avec lui, son usine était nationalisée, la situation devient de plus en plus critique alors on s'est enfuis. Et ce monsieur Fateh [sp?] ils nous fait les papiers pour s'enfuir à minuit au milieu, discrètement, sans que personne ne sache. [00:47:43] La peur de mon père était tellement forte que quand nous étions dans la, d'abord ils nous ont fait une fouille terrible à la douane et quand on monte dans l'avion, on disait, "Welcome." mon père qui ne parle pas l'anglais il pensait qu'on disait "On fait demi tour pour le ramener du nouveau en Égypte." Il est devenu blanc comme un linge. Il était très effrayé, ma mère lui a dit, "Sois tranquille on va pas nous remmener en Égypte. C'est simplement pour nous souhaiter la bienvenue à bord."

[00:48:17] Lisette: Alors toute la famille est sortie ensemble.

[00:48:20] Irène: À part mon frère.

[00:48:21] Lisette: À part votre frère qui est allé...

[00:48:23] Irène: Qui avait dû quitter avant nous en 1963.

[00:48:26] Lisette: Ah, trois ans avant. Et vous êtes allés où? [00:48:39] Euh, à part votre frère il est allé pour s'enfuir de...

[00:48:47] Irène: De la situation.

[00:48:49] Lisette: De la situation et pour ne pas devenir soldat.

[00:48:52] Irène: Sioniste. Sioniste. Le gouvernement égyptien il avait peur que toute la jeunesse qui se trouvait à cette époque devienne sionistes, le mouvement sioniste. Alors il est jeté en prison et c'est la raison pour laquelle mon frère devait nous quitter.

[00:49:12] Lisette: Pour qu'ils ne le jette pas en prison.

[00:49:14] Irène: Exactement.

[00:49:20] Lisette: Ok alors parlez nous, vous êtes allés où après? Est-ce que vos parents, avant ça, je m'excuse, est-ce que vos parents vous avaient parlés des, pourquoi vous alliez sortir et tout ça. Est-ce que vous avez discuté avec vos parents? Les raisons pourquoi vous partez ou non?

[00:49:44] Irène: Bon il était pas question de demander la question. C'était obligatoire qu'on devait quitter. On pouvait plus rester. On avait des messages qui disaient que tous les juifs devaient quitter, devaient quitter. Il faut comprendre quelque chose: on est nés dans un pays, on a été, on a fait nos études, on a travaillé, on a, on a pratiqué notre religion. Comment, du jour au lendemain tu dois accepter de jeter tout ça derrière ton dos et de laisser? C'est difficile. [00:50:21] Et c'est pour ça que beaucoup des gens ont voulu tirer, rester jusqu'au bout, voir si peut-être la situation allait se changer. Mais malheureusement elle s'est détériorée.

[00:50:32] Lisette: Et ça c'est la raison ou vous n'êtes pas sortis à l'année '56 quand la plupart des gens sont, sont partis?

[00:50:42] Irène: Oui. Oui.

[00:50:43] Lisette: Le plupart des, des Égyptiens juifs ont sorti en '56 ou avant?

[00:50:50] Irène: Écoutez quand Gamal Adbel Nasser a pris le pouvoir il était allié avec l'Allemagne.

[00:50:58] Lisette: Quelle est l'année?

[00:51:00] Irène: Allié avec l'Allemagne.

[00:51:01] Lisette: C'était quelle année que Gamal...

[00:51:03] Irène: Dans le '56.

[00:51:03] Lisette: Ah c'était ça.

[00:51:06] Irène: Donc il avait un petit peu l'esprit, la même chose que ce que les allemands, les allemands ils ont faits. Il voulait finaliser aussi avec les juifs en Égypte. Y'a eu le rabbin Chaim Nahoum qui a été le voir et il lui a dit, le rabbin Chaim Nahoum était aveugle, il a été rencontrer Gamal Abdel Nasser et lui a dit, "Ne répètes pas de nouveau l'histoire et faire ce que les allemands ils ont fait avec les juifs. Soit plus tolérant et plus compréhensif." [00:51:38] Gamal Abdel Nasser il a dit, "Je vais vous, leur donner une année. Je donnerai une année à tous ces juifs de quitter, je vais pas toucher un cheveu. Ils pourront prendre ce qu'ils veulent mais après cette année je ne réponds pas." Le rabbin a été dans cette synagogue vendredi soir, toujours avec deux soldats qui écoutaient tous les, les discours qui se passaient et le rabbin il a dit à la communauté qui était largement présente à ce moment là, [00:52:10] il a dit écoutez nous avons passé des bons moments, on a élevé nos enfants, on a eu des bons postes, tout a été bien pour nous maintenant mes chers amis il est temps de partir. La communauté s'est dit le pauvre rabbin il est non seulement aveugle mais il perd la tête. Nous avons des personnalités qui sont dans le ministre, nous avons des personnalités qui sont dans les banques, dans toutes les industries et il nous demande de tout laisse ça et de quitter? [00:52:42] Mais les 80 000 qui se trouvaient en Égypte, 40 000 ils ont suivi les conseils du rabbin, ils ont quitté et effectivement, vous pouvez voir la catégorie des juifs égyptiens, une partie qui est très riche et une partie qui est moindre. Parce que ceux qui ont pu prendre avec eux ils l'ont pris. Les autres qui ne pouvaient pas imaginer dans le futur qu'est ce qui allait leur arriver, ils sont restés. [00:53:08] Et c'est pour ça qu'on voit deux catégories très différentes et nous étions dans la catégorie des gens qui avaient espoir que les choses allaient être mieux.

[00:53:20] Lisette: Qu'est-ce que vous aviez pris avec vous finalement quand vous êtes enfuis?

[00:53:26] Irène: Quand on est partis, on s'est enfuis, on avait pas le droit d'avoir plus que chacun une valise avec des habits usagés et on vérifiait dans la douane que les habits étaient usagés et 20 livres égyptiens par famille. Que ces 20 livre égyptiennes n'ont aucune valeur une fois que vous quittez l'Égypte. Donc on peut dire on est sortis avec zéro.

[00:53:52] Lisette: Et vous êtes allés où?

[00:53:53] Irène: On est partis une journée en France, mon frère nous a fait les papiers pour venir à Montréal donc le lendemain on est arrivés à Montréal et c'était la plus grande joie. Parce qu'on a revu notre frère. C'était très spécial.

[00:54:11] Lisette: Et votre frère était à Montréal déjà?

[00:54:13] Irène: Oui, c'est lui qui nous a fait les papiers parce que le temps qu'il allait rester en France, il n'a pas été, il n'a pas été très heureux alors l'autre oncle qu'on avait ici à Montréal il lui a fait les papiers et il a fait venir. Donc lui nous a fait des préparatifs pour qu'on quitte l'Égypte et qu'on vienne à Montréal. Comme c'était top secret qu'on quittait pour qu'on ait pas des problèmes donc mon frère ne savait pas quand est-ce qu'on allait arriver, où on allait arriver, qu'est ce qui allait se passer. [00:54:44] On arrive à l'adresse qu'il avait, il n'était pas là. Le dame elle nous dit, elle s'est effrayée quand elle nous a vu avec des bagages et tout ça. Alors ma mère l'a tranquillisé parce que maman qui parlait le français elle lui dit, "Nous vous inquiétez pas, on va pas rester ici, on est venus jute prendre notre, mon fils." Elle lui a dit, "Il se trouve au restaurant là bas en train de manger un pizza." Mon frère ne savait même pas. [00:55:10] Il était en train de manger sa pizza la tête baissée et il a senti que quelqu'un le regardait, il lève la tête, il voit mon père, ma mère et nous devant lui. Alors j'ai pas besoin de vous dire, les cris de joie, même les gens au restaurant ils ont trappé des mains. C'était très émouvant.

[00:55:28] Lisette: C'était où? Centreville? Ici?

[00:55:31] Irène: La rue René-Levesques. Qui s'appelait Dorchester à cette époque.

[00:55:39] Lisette: À part ça, qu'est ce que vous sentez quand vous êtes arrivées à Montréal? Au Canada? C'était quoi vos sentiments?

[00:55:47] Irène: Quand on est arrivés à Montréal c'était au mois d'octobre aussi, il faisait très froid et on était un peu effrayés par ces températures. On était pas équipés, venir de l'Égypte avec des manteaux d'hiver ni rien. Donc on avait tous très froid mais de l'autre côté on avait chaud au cœur. On allait se réunir avec mon frère. On allait sortir de cette oppression que nous avons vécu en Égypte ne sachant pas qu'est-ce qui allait se passer avec nous le lendemain. [00:56:17] C'était la délivrance. C'est ce que j'ai ressenti.

[00:56:22] Lisette: Et vous avez vécu où quand vous êtes arrivés finalement?

[00:56:29] Irène: Finalement on a eu recours à l'organisation qui s'appelait à cette époque la JIAS. Bien sûr mon frère a fait les démarches après la JIAS.

[00:56:39] Lisette: Bravo pour lui.

[00:56:40] Irène: Pour nous aider à nous loger. Ils nous ont trouvé un petit appartement sur Décarie, le boulevard Décarie à Ville St-Laurent et on a débuté la vie comme ça. Je devais porter des bottes. Qu'est ce que c'est des bottes? Nous on venait de l'Égypte. On marchait en sandales et même pieds-nus. Porter des bottes c'était une bataille. C'était...

[00:57:05] Lisette: Quel mois?

[00:57:05] Irène: Les bottes.

[00:57:06] Lisette: Oui quel mois? C'était quel mois?

[00:57:08] Irène: Octobre.

[00:57:08] Lisette: Octobre.

[00:57:08] Irène: Octobre, novembre. Ça c'était toute une expérience porter ces bottes. Je voulais pas les porter vous savez, 18 ans, voulait mettre un petit peu coquette, je marchais dans la rue et les talons "Pouf" se cassaient et je tombais par terre. J'ai compris qu'il faut porter les bottes.

[00:57:29] Lisette: Alors pour combien de temps le JIAS, la communauté juive vous ont aidés?

[00:57:35] Irène: Ils nous ont aidés dans le loyer de la maison. Ils nous ont aidés à chercher du travail, ça, ça été très difficile parce que chacun, ils nous envoyaient dans des endroits, ils nous demandaient, "Est-ce que vous avez l'expérience Canadienne?" Alors ça c'était un grand problème pour mon père qui ne savait pas parler la langue. Il leur disait, "D'où je peux acheter l'expérience Canadienne?" Comme un businessman quand il était ne Égypte c'était ça qu'il faisait, voilà. C'était difficile. Très difficile de trouver du travail.

[00:58:09] Lisette: Est-ce que vous avez rencontrés d'autres juifs Égyptiens ici?

[00:58:14] Irène: Oui. Alors quand on est arrivés ici au mois d'octobre après ça y'a eu des fêtes donc on s'est affiliés avec un synagogue et j'aime toujours dire cette phrase, c'est que, une synagogue c'est comme une maman qui ramasse ses enfants. Alors nous autres les Égyptiens on se réunissait dans la synagogue de trois frères qui s'appelaient Habousha [sp?]. Habousha ils ont fait une synagogue avec le rite de la façon Égyptienne , la façon de chanter, de prier et on s'est affiliés dans cette synagogue qui malheureusement n'avait pas de fonds pour continuer. [00:58:54] Et à ce moment là, la communauté juive égyptienne c'est éparpillée, c'est assimilée avec les autres synagogues. Donc on s'est émietté un peu partout, on avait plus de communauté égyptienne.

[00:59:08] Lisette: Mais vous êtes affiliés à quelle synagogue à votre arrivée?

[00:59:13] Irène: À notre arrivée? C'était la synagogue de Habousha [sp?] qui maintenant elle était sur Mackenzie et Lavoie Zikron Gendoshim [sp?] je pense qu'elle s'appelait Zikron Gendoshim [sp?] et elle n'est plus là, elle n'existe plus parce qu'ils n'ont pas les moyens. Elle est, et tous les frères Habousha sont décédés et personne n'a pris la relève. [00:59:36] Alors à ce moment là on c'est affilié à la plus belle synagogue de Montréal, c'est la Spanish and Portuguese. C'est la plus ancienne, la plus prestigieuse que j'adore. Ça va faire plus de 40 ans qu'on est membres là bas. Non, un peu moins que 40 ans.

[00:59:54] Lisette: Et vous avez fait beaucoup de choses avec cette synagogue. Vous êtes dans le sisterhood, etc. Parlez moi un peu de ça.

[01:00:01] Irène: Alors, écoutez, avant de passer au bénévolat c'est sûr que je devais travailler pour supporter ma famille. Donc j'ai travaillé 40 ans...

[01:00:11] Lisette: Euh, avant de ça je voulais savoir quand vous vous êtes mariées, comment et après ça parlez nous de votre travail.

[01:00:19] Irène: Comment je me suis mariée?

[01:00:20] Lisette: Et quand.

[01:00:22] Irène: Je me suis mariée en 1975 et la raison pour laquelle c'est très spécial, je suis partie en Israël, c'est que ma sœur a rencontré son mari au cimetière quand elle est partie visiter mes parents, mon père.

[01:00:38] Lisette: Où ça?

[01:00:40] Irène: Ici, à Montréal. Sur la rue de la Savane. Et ma mère était, alors elle a rencontrés ce monsieur qui est tombé amoureux d'elle, moi j'avais personne encore et ma mère me disait, "Ah non, il n'est pas question que la jeune se marie avant le, avant l'ainée." Moi j'étais l'ainée, ma sœur était la jeune. Alors j'ai dit, "Tu sais maman je vais aller en Israël, je vais trouver beaucoup de fiancés là-bas." [01:01:04] Eh ben j'arrive en Israël et j'ai rencontré mon mari là-bas. On a échangé des lettres et tout. Il est venu à Montréal, donc je l'ai importé d'Israël et on s'est mariés en 1975 à Montréal ici. Et ça c'est la manière de laquelle je me suis mariée puis voilà.

[01:01:26] Lisette: Comment s'appelle t'il? De quelle origine est-il?

[01:01:29] Irène: Mon mari il s'appelle Victor Buenavida il est aussi né en Égypte. Il a quitté très jeune l'Égypte pour aller en Israël. Il a vécu presque toute sa vie en Israël. Il a fait le service militaire, il a fait trois guerres. Euh, c'est un bon combattant. Il a un cœur, il a un cœur en or, il est gentil et je l'apprécie beaucoup parce qu'il supporte tout, tous mes moments de nervosité. On a pu avoir un beau garçon et il s'appelle Ron mais là mon fils il habite en Israël. [01:02:05] Et mon mari est très attaché à ça. Il était pas... très patriotique. Il est tellement patriotique, c'est un vétéran de guerre de Betalochem [sp?]. Ça c'est mon mari Victor. C'est un ingénieur et voilà.

[01:02:24] Lisette: Alors est-ce qu'il est parenté à vous?

[01:02:28] Irène: Oui c'est mon cousin germain.

[01:02:30] Lisette: Alors vous l'aviez rencontré en allant en Israël en rencontrant la famille.

[01:02:34] Irène: En rencontrant la famille oui parce que ils ont quitté l'Égypte très, très jeune, je savais pas que j'avais un cousin qui était là bas.

[01:02:44] Lisette: Ok alors parles nous maintenant de vous. De votre travail, etc.

[01:02:52] Irène: Mon intégration à Montréal, j'ai dû accepter n'importe quel poste jusqu'à ce que j'ai pu avoir par pistonnement, j'espère que tout le monde sait c'est quoi le mot pistonnement, c'est à dire par protection, en Israël ils disent protection. [01:03:10] Mon oncle qui m'a fait entrer à la banque. Et j'ai travaillé 40 ans dans la banque. J'ai fait carrière dans la banque. À l'âge de 55 ans je devais prendre une euh, retraite prématurée et à ce moment là je me suis dit, "Il faut que je fasse quelque chose de ma vie. Je suis jeune encore et je veux pas rester les mains croisées et j'ai décidé de me retourner vers le bénévolat. [01:03:39] Et là mon premier souci c'était de regrouper de nouveau les juifs d'Égypte qui étaient éparpillés partout. Et j'ai fondé l'Association en 2003. Je suis restée 10 ans présidente dans cette association, ça m'a apporté beaucoup de, de satisfaction, j'ai rencontré de consul égyptien pour la première fois. C'était une, un beau mariage entre les juifs d'Égypte et le consul égyptien. C'était magnifique. [01:04:10] Et puis bien sûr je me suis intégrée. J'ai pris beaucoup goût dans le bénévolat et je me suis intégrée dans ma synagogue où j'ai voulu donner le plein de moi-même et on a accepté de moi et je suis restée 10 ans là bas aussi comme présidente du, on appelle ça en anglais le sisterhood mais en français c'est la sororité des femmes. Alors on a fait beaucoup de belles activités, c'est une synagogue magnifique, je chéris de tout mon cœur et j'ai été très, j'ai été honorée par les rabbins là bas et...[01:04:44] Ensuite je me suis intégrée avec d'autres organismes Beta Lochem [sp?], le State of Israël Bonds, la CSEQ euh, bien sûr l'AJOE qui est les juifs d'Égypte, la synagogue, alors voilà.

[01:05:01] Lisette: Et vous faites toujours le bénévolat partout ou...?

[01:05:03] Irène: Je continue...

[01:05:03] Lisette: ...très active?

[01:05:04] Irène: Je continue à faire du bénévolat jusqu'à ce que un jour je me suis dit, "Il est temps que je crée un livre." Mon bénévolat va être mon cadeau pour toute la communauté. C'est d'écrire un livre et raconter mon histoire et de parler un petit peu des juifs d'Égypte qui sont pas connus. Et ç m'a pris à peu près quatre ans pour finir le livre que je l'ai juste lancé le 2 septembre 2015. Le livre a été traduit aussi en anglais et ça c'était ma plus belle satisfaction.

[01:05:36] Lisette: Et comment s'appelle le livre?

[01:05:38] Irène: Le livre s'appelle exactement ce qu'on nous a mis sur notre laissez-passer. Quand on a quitté l'Égypte on avait pas le droit d'avoir un passeport parce qu'on était juifs alors on nous a donnée un laissez-passer avec une grosse étampe en rouge "Sans Retour". No return. Et c'est le nom de mon livre. No Return.

[01:06:00] Lisette: [inaudible]

[01:06:02] Irène: Voilà. En français, Sans Return, en anglais, No Return.

[01:06:06] Lisette: Et c'est écrit en...

[01:06:10] Irène: Non c'est écrit en français en fait.

[01:06:12] Lisette: En tout cas maintenant pour euh,

[01:06:15] Irène: Conclure?

[01:06:18] Lisette: Pour conclure. C'est quoi votre identité à vous. Qu'est ce que vous voyez? Votre identité comment vous la...voyez?

[01:06:33] Irène: Tout d'abord je suis juive, je suis fière d'être juive, je suis mariée avec in Israélien, mon fils est en Israël, que dieu bénisse Israël. C'est comme ça que je me vois.

[01:06:45] Lisette: Et où est chez-vous? Home?

[01:06:49] Irène: Home. Je ne vais jamais tourner mon dos au Canada. Canada m'a ouvert ses portes. Canada m'a donné l'opportunité de grandir, de m'épanouir de trouver la liberté, le travailler de me marier, d'élever un fils ici, de faire du bénévolat. Et jamais je tournerai mon dos au Canada mais mon cœur est avec Israël parce que mon fils est là bas et mon mari a donné de son sang pour Israël. [01:07:22] Et que dieu bénisse cette patrie parce que grâce à ça tous les juifs à travers du monde ils peuvent continuer à être fiers et dire, "Oui, on a un pays à nous. Israël." Que dieu les bénisse.

[01:07:35] Lisette: Que dieu vous bénisse à vous. La dernière question: est-ce que vous considérez comme réfugiée, comme immigrante, comment vous vous considérez?

[01:07:52] Irène: Au fond de moi-même? Bien sûr on est tous des réfugiés. On est tous des réfugiés des pays arabes, on est un million et faut se battre pour ça. il faut continuer à, qu'on reconnaisse notre cause. Qu'on a été expulsé d'un pays qu'on voulait pas quitter, on voulait pas quitter, on nous a expulsé. Donc on continue à se sentir refugiés mais on a toujours notre Israël qui est là. [01:08:22] La cause des réfugiés des pays arabes elle a pris beaucoup d'ampleur, elle c'est vraiment, je dois remercier beaucoup Irving [inaudible] pour la cause des juifs des pays arabes que le 15 décembre à la kness [sp?] Israël en fin de compte ils vont indemniser les juifs des pays arabes qui vivent en Israël avec une petite somme parallèlement aux palestiniens comme guise de reconnaissance et de réconciliation. [01:08:57] Ça c'est déjà un très grand pas.

[01:08:59] Lisette: Tous les juifs...

[01:09:01] Irène: Qui vivent en Israël seulement. Oui.

[01:09:03] Lisette: Ce sont des, les juifs d'Égypte?

[01:09:07] Irène: D'Irak...

[01:09:08] Lisette: Partout.

[01:09:09] Irène: Oui absolument.

[01:09:09] Lisette: Ah je pensais que c'était seulement ceux qui auraient fui le farhoud, le temps du farhoud en Iraq.

[01:09:15] Irène: Non. Ils n'ont pas spécifié qui. Ils ont dit, "Ils ont étés déportés. Les juifs des pays arabes ont étés déportés. Quoi que ce soit, quoi que ce soit leurs souffrances chacun a eu sa souffrance à se manière alors tu peux pas dire, toi tu as souffert plus que moi, donc toi je te donnes l'argent et toi je te donnes pas de l'argent. Équitablement mais aussi le plus important, le 30 novembre c'est une journée depuis 3 années qui est une journée commémorative pour les juifs des pays arabes. [01:09:45] Et la CSEQ tous les 30 novembre, moi j'ai été très impliquée dans cette cause...nous célébrons cette journée là.

[01:09:57] Lisette: Est-ce que vous avez jamais retournée en Égypte?

[01:10:00] Irène: Et je ne veux pas retourner en Égypte. Je ne suis jamais retourné et je ne veux pas retourner en Égypte. Mes souvenirs sont très tristes là bas. C'est dommage.

[01:10:10] Lisette: Je vous remercie infiniment. Est-ce que vous avez un message à donner aux gens qui, qui vont entendre cette entrevue?

[01:10:27] Irène: Qu'est ce que je peux leur donner comme message? La tolérance. Il faut qu'on soit tolérant À quoi ça sert de regarder en arrière. Il faut aller de l'avant. Il faut se dire dieu merci nous avons un pays. Si on va souffrir, on va pas avancer. Alors on va essayer d'aller de l'avant, on va essayer d'aller avec un esprit de paix. De montrer cette image pour notre future génération. Pour que les jeunes puissent, entre eux, ne plus avoir cette haine. [01:11:01] Et de dire on est des êtres humains à travers le monde. C'est mon message.

[01:11:07] Lisette: Très beau message. Merci. Merci de la part de Sephardi Voices. C'était une entrevue magnifique et je vous remercie beaucoup pour tout ce que nous a, offert, de ce que vous avez offert à...

[01:11:27] Irène: Mais là à mon tour de vous dire merci d'avoir entrepris ce projet qui va être surement très, très bénéfique pour toutes les personnes qui n'ont pas vécu ce que nous avons vécu. Merci de vous déranger et de vous déplacer, d'aller dans un pays à l'autre. Merci de, de nous écouter. Parce que c'est pas évident que tout le monde veut écouter les souffrances des autres. C'est à mon tour de vous remercier. Votre projet est magnifique. Que dieu vous bénisse. Love you guys.

[01:12:03] David: Can you just stay there for...

[01:12:05] Irène: I talk too much hein?

[01:12:06] David: No! No. Some of your stories were fantastic. Just, Henry sit down, can you just talk a little bit, just a little bit more I just want to get a picture going this way. Just, it can be about anything. and Hugo just pretend you're shooting.

[01:12:22] Lisette: Okay I love you.

[01:12:24] Irène: Lisette, I love you too...

[01:12:31] David: Just stuff the love, just ask, tell Lisette what you're doing this afternoon. That's all.

[01:12:40] Lisette: He wants you to look normal.

[01:12:41] David: Yeah, just what are you gonna do after this? Let her talk.

[01:12:50] Irène: Are you asking me a question?

[01:12:51] David: What are you doing this afternoon?

[01:12:55] Irène: This afternoon I am preparing my luggage because I'm gonna go to the States for 10 days to talk about about my book to Philadelphia, to Boston, to Washington, to Brooklyn. I'm all excited about it.

[01:13:08] Lisette: This should have been taped. Tape it.

[01:13:10] David: It's okay.

[01:13:12] Lisette: Tabarouette.

[01:13:14] David: Good, alright. Now we want to take, we've been taking all kinds of pictures of you but we want to take a portait of you.