[00:00:16] William Déry: Comment il s’appelle le logiciel avec lequel vous travaillez? 

[00:00:18] [inaudible] 

[00:00:20] William Déry: Autocad. Elle a, elle a dû refaire des cours parce qu’elle n’avait pas fait architecture avec ça. Ça n’existait pas. Mais elle a travaillé comme architecte quelques années. Très difficile. Très, très, très difficile 

[00:00:33] David: We’re going. 

[00:00:35] William Déry: Alors attendez, j’enlève ça là. 

[00:00:39] Lisette: Can somebody help him with the coffee?

 [00:00:42] William Déry: C’est correct, laisse-le là. 

[00:00:47] Lisette: Quel est votre nom complet? 

[00:00:50] William Déry: Alors [doorbell] je m’appelle William Déry. 

[00:00:53] David: Ok, just stop. [inaudible] We’re going to disappear. 

[00:01:01] Lisette: Where are you going? 

[00:01:01] David: Out to the [inaudible] excuse us. It’s somebody coming to meet Henry. 

[00:01:05] William Déry: Ah. Ok, je peux finir mon - 

[00:01:08] David And action Lisette. 

[00:01:11] Lisette: Quel est votre nom complet?

[00:01:13] William Déry: Je m’appelle William Déry. 

[00:01:16] Lisette: Et quel était votre nom de naissance? 

[00:01:19] William Déry: William Déry. 

[00:01:21] Lisette: Quelle est votre date de naissance? 

[00:01:23] William Déry: 16 août, 1945. 

[00:01:25] Lisette: Et où êtes-vous né? 

[00:01:27] William Déry: À Rabat au Maroc. 

[00:01:29] Lisette: Merci beaucoup d’avoir accepté de participer au projet Sephardi Voices. Pouvez-vous nous dire quelque chose à propos des origines de votre famille?

[00:01:41] William Déry: Alors les origines de ma famille, aussi loin que ça remonte juste - ça remonte en 1492, l’expulsion des juifs d’Espagne. Et donc ils se sont retrouvés au Maroc. Ma famille paternelle était originaire de Marrakech et mon grand-père immigré à Rabat et de là tout le monde est de Rabat depuis plusieurs générations. 

[00:02:07] Lisette: Pouvez-vous nous dire quelques chose…

[00:02:10] [ajustement technique]

[00:02:49] Lisette: Et voulez-vous nous dire quelque chose de vos grands-parents maternels? 

[00:02:57] William Déry: Mes grands-parents maternels et paternels sont originaires de la même ville. Ils étaient même voisins dans la même rue et à la naissance de ma mère, ma grand-mère paternelle s’est penchée sur le berceau de ma mère et a dit, “Celle-là, c’est pour mon fils Albert.” Et c’est arrivé 18 ans plus tard. 

[00:03:20] Lisette: Quelle belle histoire. Et est-ce que vous avez des souvenirs de vos grands-parents?

[00:03:28] William Déry: Oui, énormément de souvenirs des deux côtés. Mon grand-père paternel était rabbin, était juge au tribunal rabbinique. C’était un enseignant très redouté parce qu’il était très autoritaire. Il a eu neuf enfants, mon père étant le cadet, l’ainé des garçons mais le cadet des neufs. [00:03:51] Du côté de mes grands-parents paternels, euh, mon grand-père était un homme très simple, un commerçant, amis sa femme était une, on dirait aujourd’hui une femme rabbin tellement elle était religieuse et suivait toutes les règles, toutes les règles de la religion. Donc c’était elle en fait l’homme religieux de la maison. Elle a eu aussi neuf enfants, dont ma mère est l’ainée. 

[00:04:22] Lisette: Et est-ce qu’ils allaient à l’école? Quelle école? 

[00:04:29] William Déry: Ben moi je suis un produit de la mission culturelle française au Maroc et pas un produit des écoles de L’Alliance ou des écoles juives qui existaient à l’époque. Pourquoi? Parce que mon père est de cette première génération qui est sortie du Mellah où habitent mes grands-parents et s’est mêlé à la population française. Et par conséquent nous a donné, mes frères et sœurs et moi, nous sommes cinq, je suis le dernier, une éducation beaucoup plus axée sur le français que sur les enseignements traditionnels des écoles de l’Alliance etc. 

[00:05:14] Lisette: Et les noms de vos grands-parents? 

[00:05:18] William Déry: Les nom de mes grands-parents. Mes grands-parents paternels c’était le rabbin Mordecai Déry. Son épouse s’appelait Freja [ph]. Et du côté de mes grands-parents maternels c’était Yehuda et Simcha. 

[00:05:36] Lisette: Y’avait pas renoms arabes. 

[00:05:40] William Déry: Non. Les juifs du Maroc avaient des prénoms hébraïques tout le temps et la génération suivants c’est devenu des prénoms français. 

[00:05:53] Lisette: Alors, vos parents se sont rencontrés à la naissance de votre mère. 

[00:05:59] William Déry: Quasiment. Quasiment mais mes, mes grands-parents ont déménagé à Casablanca donc mon père et ma mère ne se sont pas connus et vus pendant 18 ans. Et ce sont retrouvés pour se marier. 

[00:06:13] Lisette: Ils savaient que…

[00:06:15] William Déry: Non. Ils savaient pas du tout. Mon père, mon père était arrivé au moment où il devait se marier et on lui parlé d’une jeune fille à Casablanca. Quand il l’a rencontré, qu’il a rencontré mes grands-parents, on lui raconté l’histoire que je vous ai raconté, qu’elle était déjà promise depuis la naissance. 

[00:06:34] Lisette: Et ils sont tombés en amour? 

[00:06:36] William Déry: Ah oui. Belle histoire d’amour. Très belle histoire d’amour. C’était un mariage d’amour, C’était pas un mariage arrangé. 

[00:06:42] Lisette: Et votre maman avait 18 ans. 

[00:06:46] William Déry: Ma mère avait 18 ans. Oui. 

[00:06:48] Lisette: Et votre papa? 

[00:06:49] William Déry: Mon père ben il, il est…13, ça fait trois et trois, il a six and de plus. 

[00:06:57] Lisette: Et l’histoire d’amour. 

[00:06:58] William Déry: Oui, très belle histoire d’amour. Mon père était un jeune homme d’affaire très - avec beaucoup de succès. Et beaucoup de…c’était un playboy. Et euh, ma mère était une très jolie fille, très jolie femme, pianiste. Alors il a aimé ça et puis ils sont tombés en amour. Et votre papa se nommait…

[00:07:23] William Déry: Albert, Albert Déry. Ben il s’appelait Abraham Déry. Mais euh, vu les circonstances et sa sortie dans le milieu français, il s’est fait appeler Albert.

[00:07:37] Lisette: Et votre maman?

[00:07:38] William Déry: Renée, ça toujours été son nom. 

[00:07:47] Lisette: Alors, tout le monde a été -sont nés à Rabat dans le Mellah. 

[00:07:53] William Déry: La génération de mes parents. Mes parents, les neuf frères et sœurs des deux côtés, parce qu’il y en avait neuf d’un côté, neuf de l’autre, sont tous nés euh, dans el Mellah de Rabat, oui. Par contre, notre génération on est née tous à l’extérieur. 

[00:08:13] Lisette: Et le nom de jeune fille de votre mère

.[00:08:16] William Déry: Ma mère s’appelle, s’appelait Cheriki [ph]. 

[00:08:23] Lisette: Et puis qu’est-ce qu’elle faisait? 

[00:08:26] William Déry: Elle était, ben avant de se marier elle était à l’école et puis euh…elle était surtout pianiste. Elle faisait beaucoup de piano et elle était, comme elle était l’ainée des neuf enfants, elle a dû arrêter l’école pour commencer à travailler dans une compagnie de céréales pour aider les parents qui étaient, qui avaient pas de gros moyens. 

[00:08:54] Lisette: Et parlez-nous de vos frères et sœurs.

 [00:08:58] William Déry: Moi je suis le dernier d’une fratrie de cinq. J’ai deux frères et deux sœurs donc nous somme trois garçons et deux filles. Mon frère ainé qui a presque 11 de plus que moi, dix ans et demi de plus que moi, a pris la relève de mon père comme homme d’affaire dans l’immobilier. C’est ce que mon père a fait pendant 80 ans de sa vie au Maroc dans les affaires immobilières. [00:09:27] Ma sœur suivante, Andrée, est une enseignante…

[00:09:32] Lisette: [overlap]

[00:09:32] William Déry: C’est Guy, Guy Déry. 

[00:09:36] Lisette: Il est ainé…excuse-moi. Euh, ils sont nés…

[00:09:39] William Déry: Ils sont tous nés à Rabat. L’ainée a dix ans de plus que moi. D’accord? Ça veut dire qu’il est né en ’35, d’accord? Il est, il a pris la relève des affaires de mon père, donc il est aussi un homme d’affaire. Il est venu habiter ici une dizaine d’années puis il est retourné au Maroc où il est toujours, il est toujours au Maroc. [00:10:04] La sueur suivante, Andrée est née en ’36. Elle a immigrée au Canada en ’65 et elle a été enseignante, directrice d’école jusqu’à sa retraite et elle est toujours à Montréal avec son mari. 

[00:10:23] Lisette: Quelle école? 

[00:10:24] William Déry: Elle a enseigné au Protestant School Board, elle a été directrice et puis ensuite elle a été directrice de, de l’école pour filles de Montréal, j’ai oublié le nom. Euh, Yeshiva…je me rappelle plus. Elle est à la retraite avec son mari. [00:10:44] Le frère suivant c’est une façon, Gabriel qui est né en ’38, qui lui est optométriste. Il a fait ses études en France. Il a refait ses études aux États-Unis, il a immigré aux États-Unis en ’66. Il est toujours aux États-Unis à la retraite et il a exercé à Los Angeles toute sa vie. [00:11:08] La sœur suivante est Danielle qui est née en ’41 et qui a fait ses études en France de pharmacie. Elle est revenue à la fin de ses études au Maroc et elle exerce toujours comme pharmacienne à Agadir dans le sud du Maroc jusqu’à présent. [00:11:27] Tous ces frères et sœurs ont beaucoup d’enfants et de petits-enfants, y compris moi qui suis le dernier. 

[00:11:42] Lisette: Alors parlez-nous de vos relations avec vos frères et sœurs en grandissant, étant le plus jeune. 

[00:11:51] William Déry: Alors c’était un peu une relation particulière parce qu’étant jeune j’étais asthmatique. Et c’est la raison pour laquelle j’ai dû m’absenter du Maroc à quelques reprises pour habiter à l’étranger en Israël pendant deux années, ’55 et ’56, à Oujda, près de la frontière Algérienne pendant deux années aussi. Je m’absentais pour des raisons climatiques [doorbell] et comme j’étais asthmatique donc j’étais le favori, le chouchou. 

[00:12:23] David: Just hold on one second. Sorry. 

[technical note]

[00:12:37] Henry: Go back so it becomes one story rather than…Because we’re still going to wait for one more person so maybe we’ll get this story complete without all the cuts. Because if he starts with the why and tells the story then we get a 

Whole unit before the cleaning lady comes up and, you know. 

[00:12:58] William Déry: Alors je reprends votre question. 

[00:13:02] [hold]

[00:13:07] Lisette: Yeah but the question was…

[logistics discussion]

[00:13:57] David: Rolling. And…

[00:14:00] Lisette: But Sharon is still…

[00:14:01] David: It’s okay, We’re going to continue with that question which takes him back to Israel again. 

[00:14:05] Lisette: Okay. Okay. Okay. Uh…Qu’est-ce que vous vous rappelez de votre enfance ave votre frère et sœur? Comment était votre relation en grandissant?

[00:14:20] William Déry: Comme j’étais les plus jeune de cinq enfants et que j’étais asthmatique, euh, j’étais donc le plus choyé, le plus gâté à la fois comme bébé et à la fois comme un petit garçon malade. Par conséquent, j’étais extrêmement protégé, surprotégé par ma mère, par mon père et ça rendait mes frères et odeurs très jaloux, c’est sûr. Donc j’avais avec eux, un rapport un peu particulier dans la mesure où j’étais l’intouchable de la maison. [00:14:55] Ce qui m’a amené aussi à voyager beaucoup plus. J’accompagnais ma mère dans tous ses voyages parce qu’elle pouvait jamais me laisser tout seul et j’ai habité euh, Israël, Oujda, euh, en France, Villard-de-Lans pour des raisons climatiques. Je me séparais de la famille puis j’allais, j’allais à 9, 10, 11, 12 ans habiter à l’étranger pour une année ou deux. C’est comme ça que j’ai habité en Israël deux ans, les année ’55 et ’56. Non. Je suis allé rejoindre mes grands-parents. [00:15:29] Mes grands-parents qui ont quitté le Maroc très âgés. Mon grand-père souhaitait mourir en Israël [doorbell] et être enterré en Israël. Donc le…le plus grand vœu de mon grand-père paternel, qui était Rabbin, c’était de mourir en Israël et par conséquent, mon père a exaucé son vœu en les aidant à immigrer en Israël en ’54, ’55. [00:16:01] Leur a acheté une maison, les a installés à Jérusalem et ils y ont passé les dernières années de leurs vies mais mon père, mon grand-père a immigré en Israël, il était déjà âgé de 90 ans. Donc euh, il a fait une dizaine d’année, il est mort centenaire et euh, moi j’ai passé deux ans avec eux puis je suis revenu au Maroc revivre avec parents, avec ma famille en attendant le prochain départ. [00:16:29] Don le rapport avec mes frères et sœurs il était, moi j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour mes frères et sœurs. Ils ont tous fait de belles choses mais j’ai toujours eu ce privilège d’être plus gâté que les autres. 

[00:16:45] Lisette: Je m’excuse. 

[cut]

[00:16:54] Lisette: Alors c’était vos grands-parents paternels qui ont vécu en Israël n’est-ce pas?

[00:17:00] William Déry: Oui. 

[00:17:01] Lisette: Et où vous avez vécu où en Israël? 

[00:17:04] William Déry: J’ai vécu à Jérusalem. 

[00:17:05] Lisette: Oh. 

[00:17:06] William Déry: Pendant deux and pendant la guerre de ’56, la campagne du Sinaï de ’56. J’avais 11 ans, j’habitais Jérusalem et mon voisin partait à la guerre le matin et rentrait le soir comme s’il allait au travail. 

[00:17:24] Lisette: Et qu’est-ce qui vous a frappé là-bas?

[00:17:27] William Déry: En Israël? 

[00:17:27] Lisette: Oui. 

[00:17:30] William Déry: C’est la première fois de ma vie que j’étais confronté avec le problème ashkénaze-sépharade. Pourquoi? Parce que pendant mes onze premières années j’étais jeune, au Maroc je ne savais pas qu’il existait d’autres juifs, ou notre façon d’être juifs. Et en Israël j’ai découvert qu’il y avait des juifs en provenance de l’Europe, Europe de l’est et des juifs en provenance des pays arabes. [00:17:58] Mois j’étais privilégié parce que mon père, ayant les moyens nécessaires, avait acheté une maison à mes grands-parents. Et don j’habitais dans une très belle maison à Jérusalem avec mes grands-parents et j’allais à l’école chez les bonnes-sœurs à Jérusalem parce que c’était la seule école où on faisait du français. C’était un pensionnat de bonnes-sœurs qui euh, dépendaient de la France, la maison mère. Mon grand-père était rabbin et ne savait pas que j’allais à une école chrétienne catholique. 

[00:18:34] Lisette: Qui le savait? 

[00:18:36] William Déry: Ma tante. Ma tante qui s’occupait de moi et j’ai une anecdote très amusante à ce sujet, je vais vous la raconter. Tous mes professeurs dans cette école étaient des bonnes-sœurs. D’accord? Donc mon prof d’hébreu aussi qui était une bonne sœur, qui était née et qui avait grandi en Israël. 

[00:18:57] Lisette: Avec quel accent? 

[00:18:59] William Déry: Euh, c’était, on va dire une Palestinienne chrétienne si on veut d’accord? Mais qui restait en Israël, qui est devenue bonne-sœur et donc qui, qui était dans ce, dans ce couvent. Et euh, il y a une voiture de l’école qui venait me chercher tous les matins mais qui avait la consigne de ma tante s’en mettre plus loin que chez moi parce que c’est une bonne-sœur qui conduisait et il ne fallait pas que mon grand-père, chez qui je vivais qui était rabbin, puisse voir une bonne-sœur venir me chercher lue matin. [00:19:37] Et un matin, j’étais pas au rendez-vous parce que j’étais malade, j’avais une crise d’asthme donc la bonne sœur a attendu, elle a demandé à un autre enfant si quelqu’un savait où j’habitais puis on lui a indiqué la maison. Alors elle est venue frapper à la porte. Ma grand-mère a ouvert et quand elle a vu l’uniforme de la bonne-sœur avec une grande croix, elle a fermé la porte puis elle a refrappé et ma grand-mère a compris “William”. [00:20:05] Moi j’étais dans l’autre chambre, dans le lit, j’ai entendu ça, j’ai sauté du lit, je suis allé puis j’ai dit à la bonne sœur, vous pouvez pas rentrer, vous pouvez pas rentrer, mon grand-père ne sait pas que je suis dans votre école et il est rabbin. Alors elle m’a dit, elle m’a poussée, elle est rentrée, elle est allée dans sa chambre. Il était assis en train d’étudier et euh, elle a commencé à lui parler en hébreu. [00:20:29] Les livres lui sont tombés des mains. Ça a duré 30 minutes, ils se sont adorés et il lui a demandé de revenir et puis dès qu’elle est sorite, il a couru à sa synagogue, dire à tous ses collègues, “Vous savez pas ce qui m’est arrivé aujourd’hui.” Et il leur a conté l’histoire de cette bonne-sœur, Sœur Gabrielle, je m’en souviens, qui est venue, je pense que c’est la première fois de sa vie qu’il avait affaire à une bonne-sœur catholique avec un grand crucifix. Et ça l’avait beaucoup, beaucoup perturbé. 

[00:21:07] Lisette: Mais il a aimé ça aussi. 

[00:21:09] William Déry: Oui, ben oui parce qu’elle a regardé les livres qu’il lisait. Elle a commencé à commenter avec lui. Et là il a été très impressionné qu’elle puisse commenter ça avec lui. 

[00:21:19] Lisette: Et elle est revenue?

[00:21:20] William Déry: Elle est pas revenue mais les deux me demandaient des nouvelles l’un de l’autre. 

[00:21:25] Lisette: Oh quelle belle histoire. Ok, on va revenir un peu à votre enfance, vos premiers souvenirs de votre enfance quand vous aviez grandi, s’il y a quelque chose que vous aimeriez partager en plus. 

[00:21:44] William Déry: La majorité de témoignages de juifs provenant de pays arabes comportent, j’en ai entendu des quantités, j’en ai lues beaucoup, j’en ai rencontré beaucoup, comportent tous une part un peu sombre de leur histoires passée au Maroc. Sont partis rapidement, euh, dans certains pays arabes comme l’Irak, la Syrie, ils ont été chassés d’Égypte. Du Maroc, on n’a pas vraiment connu ça. Il y a eu certains incidents graves déplorables à certaines périodes de l’histoire du Maroc. [00:22:20] Mon histoire à moi, l’histoire de mes parents, de mes grands-parents, on peut remonter jusqu’à là, n’a jamais connu ces périodes sombres et noires de l’histoire. Moi je suis né juif dans un pays arabo-musulman sous protectorat français. Donc j’étais juif à la maison, j’étais français à l’école et j’étais arabe dans la rue avec mes amis. Et je n’ai jamais vu, entendu, remarqué ou ressenti un quelconque sentiment d’antisémitisme que ce soit de la part des locaux qui étaient des arabes musulmans ou de la part des français. [00:23:01] Les deux étaient mes amis. Notre bande d’amis était très mélangé et nous vivions, nos différences c’était quand les amis venaient à la maison ben ils mangeaient juif chez moi, on mangeait musulman chez le copain arabe et on mangeait français chez l’autre. On rentrait dans les églises et dans les mosquées ou eux dans les synagogues sans aucun problème.

 [00:23:28] Donc il n’y avait, je n’ai jamais connu d’antisémitisme dans ma vie au Maroc. J’ai connu l’antisémitisme en arrivant au Canada. Puisqu’on ma refusé l’entrée en facture de médecine. Je venais de faire trois années de médecine à Grenoble en France. J’ai quitté la France où je devais faire mes études et c’était le prolongement normal des étudiants juifs-marocains qui, après le BAC, partaient en France, faisaient leurs études. Et s’installaient pour la plupart en France ou revenaient au Maroc, donc c’était mon circuit normal. [00:24:08] Sauf que, en ’67 j’ai toujours milité politiquement là où je me trouvais. Et en ’67 je me suis trouvé mêlé à une révolte d’étudiants de Fac de médecine à Grenoble, qui était précurseur de mai ’68. Et je me suis fait interpeler par la gendarmerie française qui m’a dit, “on vous tolère comme étudiant” parce que j’étais marocain de citoyenneté, “amis on ne vous tolère pas comme activiste.” Alors j’ai décidé de faire mes bagages et de partir. [00:24:41] C’était l’exposition universelle de ’67 au Canada donc je suis arrivé au mois d’aout ’67 en touriste pour visiter l’expo universelle. J’ai adoré la porte - c’était mon premier voyage en Amérique du Nord. Et je dis toujours que j’ai choisi sa plus belle porte d’entrée, le Québec, pour arriver en Amérique du Nord. Donc mon voyage était prévu pour tout l’été pour faire euh, une ce qu’il en restait de l’été et faire Canada, les États-Unis… [00:25:13] Je me suis arrêté à Montréal. J’ai décidé d’y rester. Les règles de l’immigration à cette époque étaient beaucoup plus simples qu’aujourd’hui.  Euh, je me suis inscrit à l’Université de Montréal comme touriste, quelques mois plus tard on m’a demandé de prouver que j’étais res - immigrant. J’avais aucun papier donc j’ai dû régler ma situation avec les autorités. On m’a permis de rester, de devenir résident Canadien et je m’étais présenté à la faculté de médecine avec mon dossier français, mon BAC français pour poursuivre en médecine.

 [00:25:50] Là, de plus trois, on m’a envoyé à moins trois. C’est à dire qu’on m’a demandé de faire un BAC en sciences à l’Université de Montréal, que j’ai fait. Donc je suis passé de plus trois à moins trois et après un BAC en sciences je suis revenu à la faculté de médecine et là je ne suis fait dire que j’avais pas compris. J’avais pas compris que la faculté de médecine de l’Université de Montréal entre ’67 et ’70 n’avais jamais accepté un étudiant juif. [00:26:21] Que les médecins juifs provenaient de la faculté de médecine de McGill. Jamais de l’Université de Montréal. Alors je n’étais pas suffisamment bilingue pour aller à McGill pour faire des études de médecine. J’ai donc changé d’orientation. Je me suis présenté au doyen de la faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal, lequel a été très impressionné par mon parcours. J’avais un BAC français, trois ans de médecine, une licence de science de l’Université de Montréal. Il trouvait que j’avais plus qu’il en fallait. [00:26:59] Je suis donc renté en médecine dentaire. J’en suis sortie parmi les trois premiers de ma promotion. Et je me suis installé après puis là c’est toute mon histoire canadienne. 

[00:27:14] Lisette: Alors, à la maison, chez vous au Maroc…

[00:27:21] [ajustement technique]

[00:27:28] Lisette: Au Marco alors, vous parliez entre vous en quelle langue? 

[00:27:31] William Déry: Français. 

[00:27:33] Lisette: Français. 

[00:27:33] William Déry: Sauf avec nos grands-parents, on parlait en arabe. Et on parlait tous l’arabe parce qu’autant par les domestiques de la maison que par les amis dans la rue, on parlait l’arabe dialectal. On n’avait pas de formation d’arabes littéraire, on savait pas le lire et l’écrire. Et on le parlait pas de façon classique. On parlait l’arable dialectal l’arabe de la rue, l’arabe du citoyen ordinaire. Euh, entre nous c’était toujours en français donc toute ma génération c’était uniquement en français et y’a que nos grands-parents à qui on s’adressait en arabe. 

[00:28:10] Lisette: Dites, vos amis, vous aviez des amis non-juifs? 

[00:28:14] William Déry: Ben nos amis c’étaient des juifs, des français catholiques et des arables musulmans du Maroc. Mais le Maroc était parfait parce qu’on avait aucun problème de communication, de vie de euh, on n’avait absolument aucun problème. On vivait ça très, très bien. Y’a le fait aussi que je provenais d’un milieu très privilégié alors…

[00:28:42] Lisette: Eux aussi. 

[00:28:44] William Déry: Oui, parce qu’on fréquentait les mêmes gens, même niveau social que ce soit… les collègues de l’école et les, les écoliers avec moi dans le primaire, dans le secondaire euh, c’et tout ce que j’ai fait au Maroc. Universitaire je l’ai fait en dehors du Maroc. Mais on avait aucune différence. C’est ça avant et après l’indépendance du Maroc en ’56. [00:29:08] On n’a pas ressenti de, de, de problèmes particuliers. Le départ des Juifs du Maroc, vu de mon côté, s’expliquait plus pour une situation géopolitique, création de l’État d’Israël en ’48, vagues d’immigration partout. Donc les Juifs du Maroc, une grande partie d’entre eux ont décidé de, de partir pour Israël. Mon père a été président de la communauté juive de Rabat pendant 50 ans. [00:29:38] Ça n’a jamais existé. Et pendant ces 50 années, il a fait beaucoup de chose à la fois. Il a milité pour l’indépendance du Maroc auprès du grand parti de L’Istiqlal, qui était le parti de l’indépendance. Et il a aidé l’agenda [ph] juive à faire partir des milliers de personnes pour Israël. Étant très proche des autorités marocaines après l’indépendance il avait la facilité d’obtenir des passeports auprès des autorités pour les familles entières qui voulaient partir. [00:30:10] Et je me souviens d’avoir vu à la maison chez moi, étant jeune, des représentants de l’agent juive qui venaient discuter, négocier avec lui. Je sais pas ce qui se disait exactement, j’étais jeune. Mais beaucoup de familles juives sont parties. Donc il a été, il a été euh, tout à la fois. Il était l’intermédiaire beaucoup entre les familles arabes riches musulmanes propriétaires terriens qui parlaient que l’arabe. [00:30:40] Et les autorités du protectorat français donc étant un homme d’affaires il s’est trouvé entre les deux. Il était d’une intégrité, d’une honnêteté telle que je n’ai jamais vu un contrat entre mon père et quelqu’un d’autre. C’était une poignée de main, autant avec les français qu’avec les arabes marocains. Il traitait ses affaires de cette façon. Il a eu beaucoup de mandats du, du Palais Royal du roi Mohamed V, après l’indépendance, du successeur, le roi Hassan II. [00:31:14] Et il a été décoré de l’ordre du trône, le Ouissam El Arch, au Maroc pour service rendu pendant toute sa vie. Reconnu par les autorités françaises jusqu’à leur départ du Maroc et je suis celui des cinq qui a pris sa relève à la fois communautaire, politique. 

[00:31:35] Lisette: Et dites, de vos amis d’école à l’époque, les musulmans, les français, est-ce que vous êtes encore…

[00:31:42] William Déry: En contact? 

[00:31:44] Lisette: Oui. 

[00:31:45] William Déry: Oui, avec euh, certains d’entre eux, les bons amis qu’on a eu à cet âge-là, l’adolescence, c’est les amis qu’on garde toute la vie. Donc tous mes amis juifs, de Rabat de l’époque du Lycée, euh, sont tous en France, en Israël ou au Canada. Ils ont tous fait des études universitaires donc euh, et ont autant de lien avec le Maroc que moi. J’y retourne régulièrement depuis 50 ans que je suis là, ou presque, 49 ans. [00:32:15] J’y retourne régulièrement, J’ai encore un frère et une sœur qui habitent là-bas. J’ai beaucoup travaillé avec les autorités marocaines. J’ai servi d’intermédiaire aussi. J’ai un peu pris la relève de mon père. Et mes amis musulmans euh, de l’époque, certains sont déjà à la retraite, d’autre sont été ministres, on été ambassadeurs ou ont été des grands commerçants, des hommes ‘affaires. Mes amis français sont tous rentrés en France depuis. [00:32:44] Mais j’ai gardé le contact avec plusieurs d’entre eux. Donc on n’a jamais, entre nous, les discussions d’aujourd’hui avec ces mêmes amis, pas les juifs, les juifs on a le même, on a les mêmes objectifs, on pense de la même façon. Mes amis adolescents qui ont mon âge aujourd’hui, 70 ans et plus, Français et Musulmans, il y a aujourd’hui des sujets tabous qu’on n’aborde plus entre nous. [00:33:14] Parce que les choses ont changé mais elles n’ont pas changé entre nous dans notre relation personnelle intime. On est toujours les mêmes amis mais c’est sûr que je vais éviter d’aborder le problème Israélien, Israélo-Palestinien avec des arabes. Et je vais éviter de parler politique avec les français parce qu’on n’est jamais d’accord. 

[00:33:38] Lisette: C’est magnifique. C’est rare, c’est très rare. Et l’école que vous êtes allés au Maroc, c’était une école juive? 

[00:33:47] William Déry: Non, école française. Je n’ai fréquenté que les écoles de la mission culturelle française. J’ai pas fait le cercle, les école de L’Alliance, le cycle des écoles juives du Maroc, qui était malheureusement, aujourd’hui je, je vois la différence. Euh…iles être les plus érudits aujourd’hui en études juives dans la communauté de Montréal de par exemple, dans la communauté juive sépharade de Montréal, sont des anciens de L’Alliance parce qu’ils ont commencé très jeune cette éducation juive. La mienne non. [00:34:26] La mienne s’est fait dans un milieu français, dans la mission culturelle et euh, c’est un peu le défaut de la génération de mes parents. Ils ont voulu s’émanciper, sortir du Mellah, euh, s’intégrer à la vie française et puis nous on est un peu la conséquence de ça. Donc on a manqué cette partie là. 

[00:34:51] Lisette: Et les groupes, est-ce que vous faisiez partie des groupes sociaux ou des groupes sportifs à l’époque?

[00:34:58] William Déry: Au Maroc? 

[00:35:00] Lisette: Oui. 

[00:35:01] William Déry: Au Maroc oui, ben à l’école au lycée, des clubs de sports oui. On a tous fréquenté ça, c’est sûr. Mais pas de groupes sociaux comme tel parce que j’étais trop jeune d’une parte et puis mon père étant président de la communauté juive depuis, depuis tellement longtemps que c’était mon milieu. C’était le milieu communautaire juif à Rabat. 

[00:35:25] Lisette: Et dites, le quartier où vous habitiez, c’était un quartier juif ou...

[00:35:31] William Déry: Non. C’était le quartier résidentiel français où mon père s’était fait construire une énorme et superbe villa, puisque c’était son métier. Et on…les soirées dont je me souviens à la maison, il y avait autant de soirées pour la Viso [ph], ma mère était membre là, que le bal de, de, de l’union des dames israélites de Rabat, que des soirées marocaines pour avant et après l’indépendance, que des soirées françaises qui étaient des relations d’affaires. [00:36:12] Donc j’ai vu défiler chez moi toutes sortes de gens pendant toute ma, mon enfance et mon adolescence. 

[00:36:20] Lisette: Et quel souvenir avec vous de la nourriture préparée par vos parents, vos grands-parents?

[00:36:28] William Déry: La nourriture c’était une nourriture traditionnelle juive marocaine faite par ma mère. Chez mes grands-parents, chez mes oncles, chez mes tantes c’était toujours la même nourriture. Et c’est encore la même nourriture qu’on a aujourd’hui. C’est les seules traditions qui ont passées à travers les âges. Donc cuisine traditionnelle juive marocaine beaucoup. [00:36:50] Mais aussi la cuisine marocaine arabo-musulmane que j’avais chez mes amis ou la cuisine française. 

[00:37:00] Lisette: Et c’est votre maman qui cuisinait? 

[00:37:03] William Déry: Oui. 

[00:37:04] Lisette: Elle avait des gens qui cuisinaient?

[00:37:05] William Déry: Ah elle avait beaucoup d’aide. Il y avait au moins trois, quatre domestiques à temps plein chez moi dans, dans notre maison. 

[00:37:14] Lisette: Alors c’est elle qui [inaudible]

[00:37:17] William Déry: C’est elle qui, qui, oui, qui donnait les ordres mais qui faisait tout, qui faisait beaucoup. Oui. C’était un cordon bleu ma mère. 

[00:37:26] Lisette: Ah wow. Et vos parents ils s’habillaient de la façon…

[00:37:31] William Déry: Européenne. Tout à fait européenne. Tous. 

[00:37:36] Lisette: Et pour des occasions spéciales? 

[00:37:39] William Déry: Les soirées marocaines? Des kaftans. 

[00:37:41] Lisette: Des kaftans. Les henna.

[00:37:44] William Déry: Exact, les mariages religieux juifs, des grandes soirées de henné. Euh, toutes les soirées traditionnelles se faisaient beaucoup plus en costume local euh, kaftans djellabas, etc., qu’en costumes civiles. 

[00:38:02] Lisette: Est-ce que vous avez des souvenir de cette vie sociale? 

[00:38:07] William Déry: Les grandes soirées qui avaient lieu chez moi régulièrement, qui étaient des soirées comme je disais de, d’œuvres caritatives auquel ma mère participait beaucoup, parce que comme elle ne travaillait pas, c’était une femme au foyer, qu’elle était l’épouse d’homme, d’un notable de la communauté juive, qui avait les moyens, donc elle faisait beaucoup de soirées pour amasser de l’argent. Alors c’était Bikur cholim, la Viso, l’Union des dames, toutes les œuvres qui existaient au Maroc pour nos pauvres à l’époque. 

[00:38:41] Lisette: Et le Viso c’était pour Israël. 

[00:38:44] William Déry: Euh, de la manière dont ça se passait, non. C’était pour le local. Je ne pense pas qu’il y avait des liens avec Israël à ce moment là. Peut-être beaucoup plus tard mais à l’époque, à mon - durant mon enfance la Viso c’était local. 

[00:39:03] Lisette: Décrivez-nous votre shabbat, les préparatifs…

[00:39:08] William Déry: Ça dépendait où il avait lieu. S’il avait lieu chez mes grands-parents c’était un shabbat très religieux. Donc on se rendait au Mellah, à la synagogue de mon grand-père pour y faire les offices le vendredi soir et puis le samedi matin. Et si on soupait chez mes grands-parents ben c’était le repas vraiment traditionnel mais euh, très shomer shabbat. [00:39:37] Ce qu’on n’était pas à la maison du tout. Et le vendredi soir chez moi ben c’était un repas de famille euh, traditionnel. Les mêmes mets qui reviennent tous les vendredis soir mais sans, sans le côté religieux associé à ça. 

[00:39:57] Lisette: Et le nom de la synagogue ton grand-père?

[00:40:00] William Déry: C’est une synagogue qui…le nom je m’en souviens pas mais c’était une des nombreuses synagogues qui existaient au mellah de Rabat. Euh, chaque rabbin avait la sienne et son qahal, c’était à peu près les gens qui habitaient autour, les voisins, c’était des toutes petites synagogues, c’était pas des grandes synagogues. Et puis c’est la synagogue de mon enfance. 

[00:40:25] Lisette: Un petit édifice? 

[00:40:27] William Déry: Petite salle euh, dans un petit édifice au mellah comme étaient toutes les maisons des mellah à ce moment-là quoi. C’est très, ça ressemblait un peu a ces maison espagnoles avec un cour ouverte et les chambres autour. Et puis l’une des chambres était une synagogue. 

[00:40:44] Lisette: Ah. Alors c’était comme….

[00:40:45] William Déry: C’était comme privé. 

[00:40:48] Lisette: Comme les autres maisons à côté. 

[00:40:49] William Déry: C’était, oui, oui, tout à fait. Il n’y avait pas de construction spéciale, aucune n’avait été construite comme étant une synagogue. C’était des, des, des pièces dans des maisons existantes et habitées par les juifs. 

[00:41:04] Lisette: Et vous alliez aux synagogues vous euh…

[00:41:07] William Déry: J’accompagnais mon père, jeune enfant, adolescent, pour le vendredi soir. Le samedi c’était un jour de classe au lycée donc pas de shabbat le samedi parce qu’on, on allait au lycée, à l’école. Et non…pas à ce moment-là. 

[00:41:25] Lisette: Mais vous accompagniez votre père. 

[00:41:28] William Déry: Vendredi soir. Oui. Vendredi soir…

[00:41:29] Lisette: [inaudible]

[00:41:32] William Déry: Non, non, pas du tout. Une fois de temps en temps, très rarement. 

[00:41:36] Lisette: Et les Rosh Hashana, Yom Kippur?

[00:41:38] William Déry: Les grandes fêtes? Oui! C’était, c’était les nouveaux habits, les souliers neufs euh…la, les grands repas chez les grands-parents ou chez nous. C’était la plupart du temps chez nous parce que c’est la plus grande maison donc les oncles et tantes, les nombreux cousins et cousines. C’était vraiment une grosse tribu. Très grosse tribu. [00:42:02] Et mon père était un peu le, le pourvoyeur, on va dire, de tout ça. 

[00:42:12] Lisette: Avez-vous célébré votre bar mitzvah?

[00:42:15] William Déry: Oui, bien sûr, une grande fête qui a duré trois jours. [rit]

[00:42:19] Lisette: Parlez-nous de ça. 

[00:42:21] William Déry: Ben c’était pas la première. J’ai eu deux frères avant moi qui l’ont fêté et ça été aussi d’aussi grandes fêtes où la famille venait nous-seulement du Maroc mais des États-Unis, de France, de partout et ça durait quelques jours et tout ce beau monde était reçu, logé pendant ce temps-là à la maison ou dans les maisons des oncles et des tantes. Mais c’était toujours, toujours en famille puis c’était des grosses fêtes avec des soirées orientales, avec la journée de synagogue religieuse, la journée où tous les amis, les copains de l’époque, la grande sortie…

[00:43:00] Lisette: [inaudible]

[00:43:02] William Déry: Toujours, toujours tous en même temps. Jamais eu de différences. 

[00:43:06] Lisette: Et vos souvenirs de Pessah? 

[00:43:11] William Déry: Même chose, grande fête. Des grandes fêtes c’était surtout des grandes réunions de famille. Euh, pour moi C’est le souvenir que c’était toujours des habits neufs et des souliers neufs pour les fêtes. Et des grosses réunions de famille donc euh, l’occasion de voir les oncles et les tantes qui habitaient d’autres villes, et les cousins surtout de mon âge euh, qu’on voyait moins souvent, sauf ceux de la même ville. Mais c’était toujours, en fait les fêtes c’était rassemblement de famille pour euh, manger et être ensemble. [00:43:45] Et rire et se raconter des histoires et se faire des films Super 8 à l’époque. 

[00:43:50] Lisette: Et là, sortir du mellah, y’avait pas…

[00:43:53] William Déry: Moi je suis pas sorti du mellah. Moi je suis né à l’extérieur et j’ai connu, j’ai connu le mellah que - je suis né en ’45, mes grands-parents ont quitté en ’54 donc c’est les neuf années où j’allais au mellah voir mes grands-parents. Une fois qu’ils sont partis, j’allais plus du tout au mellah. C’était fini. 

[00:44:13] Lisette: Y’avait pas d’oncles…

[00:44:15] William Déry: Non, y’a que mes grands-parents étaient les derniers. Tous leurs enfants étaient sortis. 

[00:44:19] Lisette: Wow. Alors les coutumes spéciales de la communauté comme bar mitzvah, etc. 

[00:44:30] William Déry: Tout a été fait de façon traditionnelle juive marocaine selon les traditions, selon les coutumes. C’était de grandes fêtes, de très grandes fêtes. 

[00:44:42] Lisette: Et y’avait des mikvé, des…[inaudible, overlap]

[00:44:45] William Déry: Il existait tout, bien sûr. Ils existent encore. Les cimetières juifs au Maroc non-seulement existent encore mais son régulièrement euh…je trouve pas le mot. Entretenus. Ils sont constamment entretenus par la communauté juive marocaine avec euh, l’aide des autorités. Le gouvernement marocain prend bien soin, beaucoup de cimetières juifs anciens et, et pas nouveaux parce qu’il n’y a pas de nouveaux cimetières juifs mais les anciens qui datent de plusieurs siècles sont très bien entretenus par les autorités marocaines. [00:45:29] Et euh, y’a des gardiens qui sont là, payés par l’état pour faire en sorte que ce soit toujours propre, bien entretenu. On y retourne facilement les tombes de nos ancêtres et euh, ce qu’il y a de moins aujourd’hui c’est naturellement, y’a plus autant de synagogues. Il y en avait des quantités, y’en avait à tous les coins de rues à l’époque. Chaque famille avait sa synagogue à cette époque. [00:45:58] Aujourd’hui, y’a une synagogue à Rabat pour les quelques familles qui restent. C’est tout. 

[00:46:05] Lisette: Et est-ce que vous aviez des superstitions uniques à vous? À votre famille? 

[00:46:12] William Déry: Non, pas vraiment. C’est, c’est - on était tous un peu superstitieux les juifs marocains de, de, de cette époque-là. Mais on était surtout naïfs, beaucoup ignorants, parce qu’on savait, on savait pas quel était le monde juif à l’extérieur de Maroc. Puis comme je vous dis, c’est en arrivant en Israël que j’ai découvert déjà à l’âge de onze ans des choses. Et plus encore, en arrivant au Canada en ’67, à l’université que j’ai encore découvert beaucoup de choses. [00:46:43] J’ai découvert mon sépharadisme au Canada. Avant ça j’étais juif tout simplement. En arrivant au Canada je suis devenu un Juif Sépharade. 

[00:46:58] Lisette: Et les personnalités religieuses, les rabats connus dans votre famille, est-ce qu’il y en avait? 

[00:47:04] William Déry: Ben mon grand-père paternel était lui un grand rabbin qui était euh, juge au tribunal rabbinique de Rabat. E qui était très respecté, très admiré, très craint surtout parce qu’il avait une très forte autorité. J’ai connu beaucoup de grands rabbins du Maroc qui ont officié comme Grand rabbin du Maroc après l’indépendance. [00:47:28] Je les ai côtoyés parce que mon père les recevait à la maison en tant que président de la communauté juive. Alors oui, j’en ai vu beaucoup, j’en ai croisé énormément dans ma vie. J’en ai vu ici, j’en ai vu en France, j’en ai vu en Israël. De par mes activités communautaires j’ai toujours eu à participer à des rassemblements, à des congrès à la fois au Maroc pour les juifs originaires de l’Afrique du nord, à la fois en Israël par rapport à tous les mouvements sionistes auxquels j’ai participé. Ici avec, avec nos…nos activités communautaires. [00:48:11] Alors oui, j’ai croisé beaucoup de grands rabbins euh, j’ai croisé des, des, des petits rabbins aussi. On est restés très associés à la vie religieuse mais euh, on n’a jamais été dans ma famille des, des, des religieux euh, rigoureux, des shomer shabbat. Non. Beaucoup plus libéral. 

[00:48:45] Lisette: Les plus importantes organisations juives non-religieuses. Est-ce qu’il y en a eu?

[00:48:52] William Déry: Au Maroc? 

[00:48:53] Lisette: Oui. 

[00:48:54] William Déry: Euh, y’a eu le DEJ, Département jeunesse qui était un mouvement américain je crois. Y’a eu les Scouts. J’étais aussi un scout dans ma jeunesse. C’était le mouvement des Éclaireurs israélites du Maroc. Il y avait euh, les écoles de l’Alliance qui étaient chapeautés par la France. Euh, c’était beaucoup de mouvements de jeunes surtout. Euh, certains avec un but précis de faire immigrer ces gens-là en Israël. D’autres c’était purement social, localement. [00:49:32] Oui, ces organisations-là ont fonctionné au Maroc pendant longtemps, très bien, sans problèmes. 

[00:49:40] Lisette: Et alors il y avait des organisations sionistes là-bas. 

[00:49:45] William Déry: Sioniste, pas vraiment avec l’étiquette sioniste. Oui, elles existaient. Oui, y’avait des représentants israéliens de [inaudible] juive qui était là présent. Je disais, mon père travaillait avec et aidait beaucoup de familles à pouvoir quitter, à partir, parce qu’il fallait des passeports, c’était très difficile de les obtenir. Donc lui, de par ses rapports avec les autorités marocaines arrivait à faire ça. [00:50:09] Le sionisme s’est manifesté après l’indépendance de Maroc, après ’56. Et après les départs du Maroc. Mais ça s’est manifesté dans des cercles plutôt privés. C’était underground. C’était pas, c’était pas visible et au su et au vu de tous, non. Ça aurait été pas bien interprété de la part des autorités marocaines à ce moment-là. 

[00:50:35] Lisette: Et comment votre famille percevait-elle l’État d’Israël? Et le sionisme? 

[00:50:42] William Déry: Tous les juifs marocains étaient viscéralement attachés à Israël, au sionisme, à la terre d’Israël parce qu’on répétait à chaque année à pessah “l’an prochain à Jérusalem”. Donc on y croirait, on y croyait tous. En sachant pas quand ça allait être mais euh, l’attachement était très, très, très profond et puis euh, la génération de mes parents envoyait leurs parents en Israël et puis la génération d’après c’était…oui, y’a toujours eu un très gros attachement. Ça c’est certain. C’est évident. C’est évident. 

[00:51:23] Lisette: Quel était votre lien avec les voisins arabes avant notre immigration? Est-ce qu’ils venaient chez - oui, ils venaient chez vous. 

[00:51:33] William Déry: On échangeait. Mes voisins, notre maison était entre deux maisons. Celle de droite était, celle de droite était, c’était des Français, des résident français. Et de l’autre côté des arabes musulmans. Et nous avions une cohabitation les trois extrêmement proche, très liée. On se recevait les uns les autres. On, on mangeait, on dormait les uns chez les autres. 

[00:52:03] Lisette: Les mariages, etc? 

[00:52:06] William Déry: Non, les mariages se faisaient dans la même religion. Y’avait pas de mariages mixtes entre Arabes et Juifs. Y’a eu des exceptions comme partout mais 99% des mariages juifs c’était entre juifs. Les mariages arabes c’était entre arabes. Les mariages français, un peu plus mêlé avec la population juive mais c’est pas beaucoup. C’était vraiment - [00:52:31] Au niveau des, des, des coutumes, de la religion, de la tradition, de la cuisine, de ce qu’on, de la manière dont on vivait à l’interne chez soi, c’était dans sa case, dans sa caste. Dehors c’était autre chose. 

[00:52:49] Lisette: Mais vous vous invitiez entre vous. 

[00:52:50] William Déry: Continuellement, continuellement. Dans les mariages ils étaient toujours présents, comme nous dans les leurs. Et je dirais que le rapprochement était beaucoup plus profond entre la communauté arabe et la communauté juive, qui ne l’a été avec les Français. Le Français de ma génération, C’était un peu la fin. ’56 c’était l’indépendance puis après ils sont partis. Donc il y avait de moins en moins de français et on avait moins de contact avec eux. Mais les développent entre la communauté marocaine musulmane et la communauté marocains juive était très fort. Les liens étaient très forts. Les familles s’adoraient. Mais il y avait cette réserve constante que ça pouvait être tout sauf le mariage. 

[00:53:39] Lisette: Alors, vous avez quitté finalement en quelle année?

[00:53:43] William Déry: Ben j’ai quitté plusieurs fois. J’ai quitté en ’55 pour aller habiter deux ans en Israël. Je suis revenu ensuite j’ai quitté pour habiter à Oujda à la frontière algérienne pendant deux and puis je suis revenu. Ensuite j’ai quitté pour habiter en France encore une autre année puis je suis revenu. Mais mon départ définitif du Maroc ça été ’64 puisque là j’allais en France faire mes études, donc de ’64 à ’67 et ensuite le Canada depuis. 

[00:54:14] Lisette: Vous vous souvenez des premières discussions d’immigration dans votre famille? Où pensiez-vous aller?

[00:54:22] William Déry: On n’a jamais parlé d’immigration dans ma famille a Rabat au Maroc parce qu’on n’envisageait pas de partir. Mes parents sont restés là jusqu’à presque la fin de leur vie. Ils m’ont rejoint au Canada très âgés parce qu’ils étaient âgés et…plutôt en santé déclinante. Mon père est décédé à Montréal à 92 ans. Ma mère est décédée à Montréal à 97 ans. Et ils ont fait euh, 90% de leur vie au Maroc. Donc on parlait jamais d’immigration. Mais les enfants, après le BAC on partait étudier en BAC et puis de là, certains sont allés aux États-Unis, d’autres au Canada. [00:55:06] Mais y’a pas eu de mouvement d’immigration dans notre famille pour partir. On était au Maroc pour être au Maroc, pour rester au Maroc. 

[00:55:20] Lisette: Alors les préparatifs de votre départ n’étaient pas…

[00:55:25] William Déry: Y’a pas eu de départ. Y’a eu plusieurs départs mais des départs réguliers pour aller faire ses études et revenir. Moi je suis arrivé au Canada en ’67 comme touriste pour voir l’exposition universelle de Montréal. J’ai pas immigré au Canada. Je me suis trouvé là puis j’ai aimé puis j’ai décidé de rester, sans savoir que j’allais y rester et que je serais encore là 50 ans plus tard. [00:55:52] Mais c’était un passage dans ma vie, comme y’en avait eu d’autres. Y’a jamais eu de, de motivation particulière à vouloir immigrer. Ni en Israël, ni au Canada, ni ailleurs. 

[00:56:06] Lisette: Est-ce que vous avez dû abandonner des biens, maisons, voitures? 

[00:56:13] William Déry: Absolument rien. Des choses existent encore. Mon père avait des biens au Maroc qui sont toujours là. Mon frère est là bas, s’en occupe et ça été une continuité euh, y’a jamais eu d’arrêt ni brutal ni…mon père est resté actif jusqu’à 80 et quelques années. Donc quand il a quitté, il n’a pas quitté le Maroc, il est venu se faire soigner à Montréal et il est resté là puis il est décédé ici. Mais la maison, euh, le bureau, tout existe au Maroc. 

[00:56:50] Lisette: Alors rien n’a été abandonné. 

[00:56:53] William Déry: Rien n’a été abandonné. Rien n’a été pris, rien n’a été spolié, rien n’a été…

[00:56:57] Lisette: De votre famille. Mais est-ce qu’il y avait des écoles, des synagogues, des…autre chose qui était abandonné?

[00:57:05] William Déry: Jamais abandonné. Fermé par manque de population, des synagogues n’avaient plus de qahal donc on les réduisaient. Elles s’associaient les unes aux autres pour en faire moins. Les écoles ont disparu, les école de l’Alliance, pas d’élèves. Mais il existe encore des écoles juives au Maroc, à Casablanca, qui est la ville où y’a les plus, plus gros segment de la communauté juive marocaine. [00:57:27] Il y a encore des écoles juives qui fonctionnent très bien, qui sont des écoles extrêmement cotées, où les résultats sont absolument remarquables. 

[00:57:40] Lisette: Vous avez derniers souvenirs du Maroc?

[00:57:44] William Déry: Ah oui. Ben ils datent d’il y a quelques semaines, quelques mois. J’en ai toujours parce que j’y retourne régulièrement. J’ai en un frère et une sœur qui habitent là-bas. J’ai un neveu, j’ai des petits cousins et pour moi c’est des allers-retours de mon pays d’origine. Sauf que après 50 ans je me considère beaucoup plus Québécois, citoyen canadien que marocain ou autre chose, parce que je participe activement à la vie d’ici depuis 50 ans. J’ai fait de la politique, j’ai été présidente de la communauté ici, président de l’appel [ph] juif. [00:58:16] Très impliqué en milieu social politique, communautaire, professionnel. Donc aujourd’hui je suis Canadien, Canadien, Montréalais et fier de l’être. 

[00:58:28] Lisette: Magnifique. Alors vous avez senti quoi que ce soit de quitter votre pays avant de vous rendre ici? Où c’était un…

[00:58:39] William Déry: Une suite logique. 

[00:58:41] Lisette: Une suite logique.

[00:58:41] William Déry: Une suite logique aléatoire. Ça aurait pu être aux États-Unis, ça aurait pu être en France, ça aurait pu être en Israël parce que j’ai habité ces pays-là. Et euh, les circonstances ont fait que je n’Y suis pas resté, que je n’y suis pas attaché. D’une part j’étais plus jeune alors c’était difficile d’avoir des racines. Mais mes racines réelles c’est le Maroc et puis euh, les nouvelles racines c’est le Canada. 

[00:59:08] Lisette: Et vous avez senti le déplacement quand vous êtes venus ici pour étudier?

[00:59:15] William Déry: Non, eh dehors de l’incident de la Fac de médecine c’était la première fois que je faisais face à de l’antisémitisme ouvert, flagrant, on me l’a dit en face. Et c’était un choc parce que c’est la première fois de vie que j’ai été confronté à ça. Même en France, pendant mes années universitaires, on savait que y’avait beaucoup d’antisémitisme en France mais moi je l’ai pas vécu, il était pas visible dans la rue, à l’université, dans les restaurants pour résidences universitaires. [00:59:47] Y’avait pas de différence. Euh, ici la - en fait je pense que c’est la seule fois où j’ai eu, où j’ai eu ce sentiment de rejet, c’est la faculté de médecine de L’université de Montréal dans la fin des années ’60. Je le dis et je le précise parce que c’était clairement exprimé que on n’acceptait pas de juifs. J’ai raconté cette histoire à deux premiers ministres du Québec. Les deux souverainistes indépendantistes: René Levesque et Lucien Bouchard. [01:00:18] Le premier a fait une crise de nerfs, le deuxième a pleuré de savoir que…ce qu’ils attendaient de leur pays ce ne soit pas qu’on dise à un immigrant juif que la faculté de médecine a refusé un étudiant juif. Ils en étaient choqués et outrés. Alors c’est pour vous dire que c’est pas l’ensemble de la population. Mais y’avait des règles, c’était encore les années ’60. Ça a beaucoup, beaucoup, beaucoup changé. Aujourd’hui ils sont des cohortes d’étudiants juifs de l’Université de Montréal dans toutes facultés sans aucun problème. 

[01:01:02] Lisette: Alors votre famille, tous les membres de votre famille ont plus ou moins complété des formations professionnelles. 

[01:01:09] William Déry: Oui. Universitaire. Quatre sur cinq. Le cinquième, l’ainée c’est un homme d’affaires qui a pris la relève de mon père. Les autres ont tous bien réussi, y compris la pharmacienne d’Agadir qui n’a pas quitté le Maroc encore, qui l’a jamais quitté. Et ses enfants l’ont quitté, ses enfants et ses petits-enfants sont en France. Mais elle et son mari sont toujours au Maroc, elle exerce toujours, elle a toujours une pharmacie dans le sud du Maroc. [01:01:36] Mon frère a fait toute sa carrière en Californie jusqu’à sa retraite. Il y est encore. Ma sœur a fait sa carrière à Montréal dans l’enseignement, elle est encore là à la retraite. Et moi je suis pas encore à la retraite. Je fais du développement, j’ai quelques cliniques dentaires que je, dans lesquelles je, j’exerce. 

[01:01:59] Lisette: Et parlez-nous de l’évolution de votre vie ici. Et parlez-nous de votre vie ici, de vos enfants, de l’expérience canadienne. 

[01:02:09] William Déry: en arrivant au Canada euh, en ’67 donc j’ai rejoint la…faculté des sciences pendant trois ans et j’ai commencé tout de suite à m’intégrer à la communauté juive sépharade qui était, qui était existante depuis déjà quelques années, moi je parle de ’67, la communauté existe depuis les années ’50, fin des années ’50. Donc c’était dans els dix premières années communautaires. [01:02:35] On n’avait pas encore de local comme tel. On n’avait pas d’école, on n’avait pas de synagogue, c’était des sous-sols qui nous servaient de synagogue pour les grandes fêtes. Mais on a constitué euh, on a constitué un noyau de, de, communautaire et on a fondé tout ce qui existe aujourd’hui, autant les synagogues. J’ai posé la première de plusieurs synagogues quand j’étais président. [01:03:00] Autant les école comme l’école Maïmonide et puis euh, donc je faisais parallèlement les deux. Je faisais des études universitaires pour être dentiste et puis je participais beaucoup à la communauté. J’ai été président de la communauté dans les années ’80, ou ’80 à ’84, euh, “84 j’ai décidé de me lancer en politique canadienne. J’étais candidat aux élection fédérales à deux reprises en ‘’84 et ’88. J’ai perdu. 

[01:03:31] Lisette: Vous vous êtes présenté comme quoi? 

[01:03:33] William Déry: Comme candidat aux élections pour être le candidat Libéral dans les compté de Mont-Royal et de St-Laurent. Et 30 ans après moi ma fille a pris la relève, elle était candidate l’année dernière aux élection fédérales aussi. Euh…mes années ça été communautaire et professionnel. Mais beaucoup communautaire, une implication à tous les niveaux, dans les appels de fonds, les campagnes, mouvements de jeunesse, l’aide aux personnes âgés, les résidences de personnes… [01:04:04] Partout, partout. On a toujours été impliqués. On est un même noyau des années ’60 à avoir immigré au Canada et on continue de s’occuper, bien qu’on est déjà une très belle relève en place qui prend bien soin de tout ça. Et qui fait les choses merveilleusement bien. 

[01:04:23] Lisette: Qui fait la relève maintenant?

[01:04:24] William Déry: La relève? Ce sont nos enfants qui sont des Quadra aujourd’hui et qui ont eux-mêmes leurs enfants, parce qu’on est tous des grands-pères maintenant. Et la relève est très bien assurée. Peut-être un petit peu moins au niveau sépharade malgré nos, nos…nos combats je dirais, d’accord? [01:04:47] Nos enfants, nos petits-enfants, euh, sont parfaitement bilingues, intégrés à la communauté juive at large. Et par conséquent on a peu plus de difficulté à garder ce côté sépharade. C’est, y’a 40, 50 ans on s’est battus pour construire la communauté sépharade. Aujourd’hui c’est un combat différent, c’est pour la préserver et faire en sorte qu’elle continue d’exister. 

[01:05:16] Lisette: Vos enfants sont mariés des juifs?

[01:05:18] William Déry: Tout le monde est marié -

[01:05:20] Lisette: Sépharades?

[01:05:21] William Déry: Oui.

[01:05:21] Lisette: Tous. 

[01:05:21] William Déry: Tous. Oui, oui. 

[01:05:23] Lisette: Et ils sont allés à quelle école? 

[01:05:26] William Déry: Mes filles ont fait notre première école, l’école qu’on a fondée ici, la première école juive sépharade francophone en Amérique du Nord, c’est l’école Maïmonide.

 [01:05:36] Lisette: Et c’est vous qui placez le…

[01:05:38] William Déry: Mes filles - non. La fondation de l’école c’est dans les mêmes années où j’étais communautaire mais c’était fait par d’autres collègues à moi. Mais j’ai participé aussi à l’école Maïmonide. Alors mes filles ont fait leur scolarité à l’école Maïmonide. 

[01:05:54] Lisette: C’est quelle année?

[01:05:56] William Déry: L’école a été établie, si je ne me trompe pas en…dans les années, début des années ’70. On a créé l’école Maïmonide, j’ai pas d’âge [ph] je m’en rappelle pas exactement. 

[01:06:10] Lisette: Et vos enfants étaient déjà…

[01:06:12] William Déry: Mes filles, non, mes filles sont nées en ’71 et ’76 donc elles ont rejoint l’école Maïmonide euh, qui existait. En fait ma fille elle est née en ’71. Elle a rejoint donc à quatre, cinq ans l’école, mais elle existait déjà. Les années ’70, le début des années ’70 je dirais.

[01:06:31] Lisette: Et vos filles maintenant elles ont des carrières. 

[01:06:34] William Déry: Oui. J’ai deux filles qui travaillent, ben un a été journaliste pendant 20 ans à la télévision, elle a été chef d’antenne euh, grande chaine locale. 

[01:06:44] Lisette: Laquelle?

[01:06:45] William Déry: TVA. 

[01:06:46] Lisette: Oh. 

[01:06:47] William Déry: Et puis euh, elle s’est présentée en politique donc elle a quitté le journalisme et puis maintenant elle est à L’Institut économique de Montréal. Euh, en attendant les prochaines élections probablement. 

[01:07:01] Lisette: Elle était aussi avec le parti Libéral? 

[01:07:02] William Déry: Non. Moi j’étais Libéral de mon temps mais les dernières années la communauté juive est devenue beaucoup plus proche du Parti Conservateur. Donc elle a été candidate pour le Parti Conservateur. Mais ça c’est ma cadette. Ma fille ainée a été enseignante euh…elle a fait ses études pour être enseignante et puis ensuite elle a, elle est rentrée aussi, elle a la télévision mais elle dans une spécialité très particulière de la télévision. Pas devant la caméra, derrière la caméra. 

[01:07:33] Lisette: Qu’est-ce qu’elle fait?

[01:07:33] William Déry: Le sous-titrage. Le sous-titrage de toutes les émissions de télévision. 

[01:07:39] Lisette: Bravo. Bravo. Bravo. Et maintenant vous allez à quelle synagogue? 

[01:07:54] William Déry: Là je suis à la même synagogue depuis les 30 dernières années là avec Or Hahayim, qui est la synagogue - une des synagogues de Côte-St-Luc où je réside maintenant. Et euh, c’est une synagogue, une des synagogues qui ont été construites par la communauté. Ben celle-là elle n’a pas été construite, elle a été rachetée. C’est une ancienne église, c’est une ancienne église protestante amis les autres Ville St-Laurent, Petah Tikva, Dollard-des-Ormeaux, c’est toutes des synagogues qui ont été construites pendant les années où j’ai été président. 

[01:08:36] Lisette: De l’eau? 

[01:08:40] Lisette: …héritage sépharade pour vous. 

[01:08:45] William Déry: Dans mon cas, ça va faire sourire beaucoup de monde mais c’est plus euh, une question de tradition familiale, de ruinions familiales, de grandes fêtes religieuses familiales. C’est, c’est pour moi l’héritage principal. 

[01:09:03] Lisette: Et vous avez gardé votre héritage sépharade?

[01:09:07] William Déry: Oui. On continue. Je fais la même chose avec mes filles, mes petites enfants, mes filles commencent à le faire chez elles. Donc on poursuit les traditions. C’est beaucoup plus un judaïsme traditionnel, orienté sur la famille, nos habitudes, nos coutumes. C’est ça, c’est principalement beaucoup ça. 

[01:09:29] Lisette: Et comment décrivez-vous votre identité culturelle?

[01:09:35] William Déry: Bien elle est, elle s’est fait ici, au Canada beaucoup plus qu’autrefois au Maroc. Au Canada mon identité culturelle elle est sépharade principalement, donc c’est très important pour moi. Et euh, elle est aussi devenue euh…locale, canadienne, québécoise mon identité culturelle. [01:10:02] Je suis resté un francophone, très attaché à la lagune française et c’est pour ça que j’habite ici. Et euh, communautairement toujours très actif euh, mais c’est plus un héritage, c’est plus un héritage culturel que cultuel ou spirituel. 

[01:10:28] Lisette: Et disons, communautaire actif, qu’est-ce que vous faites maintenant?

[01:10:32] William Déry: Ah aujourd’hui je fais partie des retraités communautaires mais on continue d’être impliqué. Tous les anciens présidents de la communauté ici, juive sépharade, sont nommés, deviennent des gouverneurs de la communauté. Donc le corps des gouverneurs de la communauté sépharade du Québec est représenté par tous les anciens présidents et on est un peu des conseillers. [01:10:59] On est les corps des gouverneurs, c’est, on va dire, le sénat de, de la communauté juive sépharade. On est là pour donner des conseils, on est là pour voir un peu ce qui se passe, s’assurer que ça continue de la bonne façon. Mais on est déjà tous plus ou moins à l’âge de la retraite maintenant. 

[01:11:20] Lisette: Vous êtes combien?

[01:11:22] William Déry: Combien nous sommes? Ah, des quantités, très nombreux. Des, des centaines de personnes dans, ah oui, beaucoup, beaucoup, beaucoup. Oui. 

[01:11:30] Lisette: Mais quand vous parlez de -

[01:11:31] William Déry: Nous sommes, nous sommes je crois autour de 30 000 juifs sépharades à Montréal aujourd’hui et beaucoup ont été impliqués communautairement, énormément, une grande parte d’entre-deux. 

[01:11:44] Lisette: Qui vous considérez comme sépharade? Les gens qui parlent français? 

[01:11:50] William Déry: Comme sépharade? Ben ces tous ceux qui se définissent comme juifs et qui sont originaires de pays arabes. Nous la communauté marocaine est largement majoritaire, parce que l’immigration a été plus grande dans ce sens là. Mais dans la communauté sépharade on inclut, sur mon conseil d’administration quand j’étais président y’avait des représentants, des Iraniens, des Égyptiens. Aujourd’hui, des toutes les autres communautés. [01:12:15] Donc tous les sépharades d’Afrique du Nord, Moyen-Orient, c’est les sépharades d’ici aujourd’hui, amis avec une grand dominante juive marocaine. 

[01:12:29] Lisette: Et quand vous parlez, oui c’est ça que je pensais. Quand vous parlez des centaines d’ex-présidents, ils sont tous marocains?

[01:12:38] William Déry: Oui. Dans la communauté sépharade du Québec, oui. 

[01:12:42] Lisette: Parce que c’est sépharade [parle-t-il?] français plutôt?

[01:12:46] William Déry: Ben, sépharade ils l’ont souvent défini ici comme étant la partie francophone de la communauté. Mais à l’origine c’est pas la langue français qui a fait le sépharadisme. Les ashkénazes ne sont pas anglophones, ils le sont devenus ici. À l’origine c’est pas leur langue l’anglais. Nous, plus le français ouais. 

[01:13:06] Lisette: Oui, et les Irakiens sont [inaudible]

[01:13:09] William Déry: Les Irakiens, c’est - ça dépend de la colonisation qu’il y a eu. Certains étaient français, certains étaient anglophones. Alors c’est encore une histoire de géopolitique d’après la Première Guerre Mondiale. 

[01:13:22] Lisette: Oui. Alors, vous vous considérez réfugié, immigrant? Qu’est-ce que vous vous considérez?

[01:13:30] William Déry: Réfugié? Non, pas du tout. À aucun moment de ma vie j’ai été réfugié quelque part. Donc j’ai jamais eu ce sentiment d’être, avoir été obligé de quitter un endroit pour aller à un autre, non. J’ai fait ce que j’ai voulu faire. J’ai habité les pays que j’avais envie d’habiter. Je suis ici par choix et euh, c’est tout. J’ai pas, j’ai pas promené mes valises d’immigrant. Jamais été immigrant. J’ai immigré au Canada par accident mais…

[01:14:04] Lisette: Alors quel endroit considérez-vous chez-vous?

[01:14:08] William Déry: Aujourd’hui? Montréal. Le Québec. 

[01:14:12] Lisette: Et quelle identité voulez-vous léguer à vos enfants?

[01:14:19] William Déry: Judaïsme sépharade. 

[01:14:22] Lisette: Quelle langue parlez-vous avec vos enfants? 

[01:14:24] William Déry: Français. 

[01:14:26] Lisette: Quel impact l’expérience de venir au Canada a-t-elle eu sur votre vie?

[01:14:36] William Déry: Plus grande, de plus grandes chances. On va dire d’abord en Amérique du Nord. Donc euh, un continent où les chances sont plus grandes, possibilités plus grandes. Euh, plus particulièrement au Québec parce que c’est le seul coin d’Amérique du Nord qui parle français. Donc étant de formation de langue maternelle de langue française, c’était comme pas un choix. [01:15:00] C’était, c’était une obligation de venir ici. J’aurais pu faire comme d’autres, habiter en Ontario, aux États-Unis, en Californie euh, et faire sa vie en anglais. Mais c’était pas, euh, c’était pas un choix pour moi. C’était pas une direction. Je voulais faire ma vie en français, dans ma langue maternelle, donc je l’ai faite ici, j’ai fait l’Université de Montréal. [01:15:25] Et le futur bien, c’est mes enfants sont là, ils font leur vie professionnelle ici. Mes petits-enfants, je sais pas, ils sont trop jeunes mais peut-être que ils la feront ici aussi, ou ils décideront - en fait si on part d’ici c’est pour aller en Israël, c’est pas pour aller ailleurs. 

[01:15:42] Lisette: Et vos petits-enfants, vous avez combien?

[01:15:44] William Déry: Trois petits-enfants, 6 ans, 3 ans, 2 ans. Garderie, maternelle, d’école juive toujours. Très important de donner cette dimension pendant l’enfance, adolescence. Après ça, adulte, université ben ils choisissent et ils font leur vie. 

[01:16:07] Lisette: Garçons? Filles?

[01:16:09] William Déry: Deux garçons, une fille. 

[01:16:11] Lisette: Oh. Croyez-vous que votre vie serait différente si vous seriez resté au Maroc? 

[01:16:22] William Déry: Certainement. Elle aurait été très différente. D’abord, je pense que y’aurait pas eu la dimension politique parce que ici on a la liberté de se présenter pour un parti politique et de faire une élection et de gagner ou de perdre. Mais au Maroc aujourd’hui pour un juif c’est pas une option. Dire, je connais pas beaucoup de juifs en politique au Maroc. C’est plus des gens d’affaires, des commerçants, des professionnels. Donc le Canada donnait ces chances-là. [01:16:59] Si j’étais resté au Maroc j’aurais probablement eu une aussi belle vie que j’ai eu à l’époque de mes parents. Je serais peut-être dans une profession libérale, la mienne ou une autre et j’exercerais dans des conditions différentes mais mes enfants, mes petits-enfants je suis content de savoir qu’ils sont en Amérique du Nord, au Canada et principalement au Québec. 

[01:17:25] Lisette: Et quel message voulez-vous partager avec les gens qui écoutent cette entrevue? 

[01:17:32] William Déry: Le message? Le message que, euh… Vous savez un jour on m’a posé une question, quand j’ai fait de la politique une journaliste locale voulais m’interviewer sur ma candidature aux élections. Et on avait convenu que les questions allaient porter sur les programme politique. Or, dès qu’elle a installé son micro la première question qu’elle m’a posée c’est, “Vous êtes juif?” Et j’ai dit oui. [01:18:03] Et elle me dit, “Ça vous fait quoi d’être juif?” Alors comme je voulais pas orienter la discussion là-dessus, j’ai répondu très spontanément. “C’est un titre de noblesse madame.” Et puis on a changé de sujet, on est passés à la politique. Donc pour moi c’est, il y a beaucoup de fierté à appartenir au judaïsme, énormément de fierté. Je suis…extrêmement heureux d’avoir, d’être né, comme je l’ai dit juif dans un pays arabe sous protectorat français. [01:18:40] donc j’ai eu les trois religions, les trois grandes cultures, les trois religions monothéistes depuis le berceau. Et pendant une grande partie de ma vie ça aide beaucoup, ça donne une ouverture d’esprit, ça donne euh le goût de…on a des, des lectures des ces trois religions qui sont très révélatrices et très explicites. [01:19:05] Et euh, donc très fier et j’aimerais que ça se poursuive, que ça se continue, ce judaïsme là, qu’il soit préservé, qu’il soit enrichi encore d’avantage. Alors les - quelle conclusion? Heureux d’avoir vécu ça, heureux d’être ici, heureux d’avoir des enfants, des petits-enfants, heureux de la vie que j’ai connue, des parents que j’ai eus, de la famille que j’ai eue, de mes origines. [01:19:37] En fait j’ai été chanceux toute ma vie. Je me considère comme un privilégié de la communauté juive. 

[01:19:47] Lisette: C’est magnifique. C’est magnifique. Merci beaucoup. 

[01:19:52] William Déry: Merci à vous. 

[01:19:52] Lisette: Extra. 

[01:19:55] William Déry: Merci à vous. Je peux me lever? Oui? Ok.