Cleaned by: Marika Lapointe, July 15, 2021

Transcribed by: unknown

Interview date: 11/12/2017

Interviewer: Unknown

Location: Unknown

Total time: 1:40:00

Interview begins 00:00:16

Naim Kattan: Born August 26th, 1928 in Baghdad, Iraq. Arrived in Paris in 1947. Arrived in Montreal in 1954.

[00:00:16] Interviewer

Je vais commencer avec les questions. Quel est votre nom?

[00:00:19] Naïm Kattan:

Naïm Kattan.

[00:00:22] Interviewer:

Quelle est votre date de naissance?

[00:00:27] Naïm Kattan:

26 août, 1928.

[00:00:31] Interviewer:

Où êtes-vous né?

[00:00:32] Naïm Kattan:

À Bagdad, en Irak.

[00:00:34] Interviewer:

Pouvez-vous me dire un peu plus sur le nom? Est-ce que c'est un nom qui a une connotation en hébreu ou en arabe?

[00:00:43] Naïm Kattan:

Le nom a une connotation dans les deux langues. Naïm... Kattan veut dire petit et Naïm veut dire agréable en hébreu. Alors quand je dis mon nom, Naïm, on me répond [Naïmeod]. Bon, et Kattan c'est petit. Et en arabe Kattan ça veut dire producteur de coton. Il y a une tribu en Irak, [Khatan] et Naïm, c'est dans le Coran. C'est le contraire de [Jahim], c'est à dire si paradisiaque, [el nahim ou el jahimo]. C'est à dire, Naïm, c'est un mot arabe aussi.

[00:01:29] Naïm Kattan:

Et il y a des Arabes qui s'appellent Naïm et qui s'appelle Kattan aussi. Mais moi, mon nom est tout à fait juif. Kattan veut dire petit et Naïm veut dire agréable.

[00:01:42] Interviewer:

Pouvez-vous nous dire quelque chose à propos des origines de votre famille?

[00:01:47] Naïm Kattan:

Ma famille est descendante des juifs de Babylone. Après Nabuchodonosor a exilé les Juifs en Irak. Il y a eu des juifs en Irak pendant maintenant 25 siècles et ma famille est descendante de ces juifs d'Irak, ces juifs babylonien, la première communauté juive en dehors de la terre de Canaan, c'est à dire Israël actuel. Et les Juifs d'Irak ont constitué la première communauté juive du monde. Et c'est eux qui, à Babylone, pas loin, pas tellement loin de Bagdad, ont écrit le Talmud, Talmud de [Babylone].

[00:02:38] Naïm Kattan:

Alors donc, pour moi, je suis descendant de cette... Mais je ne peux pas donner la généalogie de toute ma famille. Je sais, j'avais un grand-père maternel rabbin, un arrière-grand-père paternel rabbin. Mais comme il n'y avait pas de généalogie écrite en Irak, c'est tout ce que je peux dire.

[00:03:03] Interviewer:

Avez-vous des anecdotes ou des souvenirs avec vos grands parents?

[00:03:08] Naïm Kattan:

Mes grands parents, mes deux grands-pères sont morts avant ma naissance et donc je ne les ai pas connus, mais avec ma grand-mère, mes deux grands-mères, ma grand-mère maternelle était celle qui me me considérait comme un garçon… Elle vivait avec nous, avec mon oncle maternel qui était célibataire, on partageait le même appartement, la même maison à Bagdad, et elle considérait que tout ce que je faisais était, était intelligent et quand on voulait me punir ou dire que j'étais turbulent, j'allais chez ma grand-mère, dans sa chambre, elle disait Naïm, c'est toujours très bien tout ce qu'il fait. Alors donc ma grand-mère était celle qui m'a aimée indéfiniment et que j'ai aimé indéfiniment.

[00:04:13] Interviewer:

Quel était le nom de votre grand-mère?

[00:04:16] Naïm Kattan:

Loulou.

[00:04:18] Interviewer:

Et le nom de famille?

[00:04:19] Naïm Kattan:

Elle était Kattan aussi parce que mes deux parents et mes parents sont des cousins.

[00:04:26] Interviewer:

Alors, des deux côtés c'est Kattan.

[00:04:29] Naïm Kattan:

Non. Du côté de ma mère, ma grand-mère Kattan a épousée [Hassan Saler] elle a épousé [Saler], Yousouf [Saler].

[00:04:43] Interviewer:

Et puis du côté paternel?

[00:04:46] Naïm Kattan:

Kattan.

[00:04:47] Interviewer:

C'est beau. Et vous avez mentionné que votre grand-mère habitait avec vous. Ça, c'était propre aux familles juives de cette époque, que toute la famille incluant les grands parents, les oncles, les tantes restaient ensemble?

[00:05:06] Naïm Kattan:

Non, c'est à dire mon grand-père maternel est mort quand ma mère n'avait que 12 ans. J'avais trois oncles maternels et ma grand-mère maternelle était dans la trentaine, 34, 35 ans. C'était la deuxième femme de mon grand-père maternel, qui était un rabbin et un homme d'affaires assez important à l'époque. Il avait, dès son premier mariage, il avait sept enfants qu'il a envoyés en Iran, au Liban, en Égypte. Il avait des entreprises un peu partout dans la région, à Basra, en Inde. Alors quand il est mort, ma grand-mère maternelle était veuve avec des petits enfants et elle a tout fait pour que ma mère, qui était la seule fille, se marie assez vite pour qu'elle ne reste pas comme orpheline très longtemps. Elle s'est mariée très, très vite, à 13, 14 ans. Mais mon père avait, à l'époque, 16 ou 17 ans était et il était son cousin.

[00:06:31] Interviewer:

Vous mentionnez des oncles qui voyageaient beaucoup par affaire partout dans le Moyen Orient. Est-ce que vous étiez restés en contact? Est-ce qu'ils revenaient voir la famille. Est-ce que vous avez eu des contacts directs ?

 [00:06:49] Naïm Kattan:

Oui, oui, mon oncle, celui qui est devenu presque un second père pour moi, Menashe est parti à 16 ans pendant la Première Guerre mondiale. À 16 ans, il est parti presque à pied à dos d'âne, en Iran. Et là, il avait deux demi-frères qui ne l'ont pas très bien accueilli. Mais enfin, il est resté très proche d'eux et ils ont fait faillite eux, tandis que lui, il a fait fortune en Iran et est devenu un grand importateur avec une grande maison et s'est marié avec une Irakienne.

[00:07:31] Naïm Kattan:

Il a eu des enfants et après la Première Guerre, à la première année de la Deuxième Guerre mondiale en '40 et il est parti à New York et il est resté en rapport avec moi, après mon arrivée à Paris en '47. On avait une grande correspondance avec lui et quand j'ai eu l'occasion d'avoir un voyage gratuit pour aller à New York comme conférencier sur un bateau hollandais, je suis allé voir mon oncle et là il était pour moi un second père. Mais j'ai décidé d'aller au Canada plutôt qu'à New York parce que je voulais continuer à travailler en français.

[00:08:19] Naïm Kattan:

J'ai fait mes études à la Sorbonne, j'avais des diplômes et j'ai commencé à écrire en français et j'ai décidé d'être à Montréal, la ville francophone des villes françaises d'Amérique.

[00:08:31] Interviewer:

Est-ce que vous diriez que c'est votre oncle Menashe qui vous a donné l'idée que vous pouviez partir?

[00:08:40] Naïm Kattan:

Oui. Ma grand-mère maternelle qui a vu que mon oncle Menashe qui, pour elle, était le grand esprit, le grand génie - mes autres oncles, mon oncle David, l'aîné, était l'un des plus hauts fonctionnaires du gouvernement irakien. J'ai mon troisième oncle maternel, Nessim [ph] est allé en Inde. Et j'avais un oncle, le frère de mon père, qui s'appelle Joseph était docteur, a fait ses études à Lausanne. Alors pendant la guerre on lui écrivait en Suisse, alors on avait tout le temps des rapports avec mes oncles ailleurs.

[00:09:27] Naïm Kattan:

Donc, mon oncle David vivait avec nous et ne s'est pas marié. Mais mon oncle Menashe, pour ma grand-mère, était celui qui est parti et qui a fait fortune, qui a été l'intelligence de la famille avec son frère David. Et comme moi, je voulais partir elle dit, "Il ressemble à son oncle Menashe." En fait, Menashe m'a considéré comme son fils. Il avait un fils qui avait trois ou quatre ans plus jeune que moi. On est devenus des cousins, des frères, toute notre vie.

[00:10:06] Naïm Kattan:

Il est mort aussi mon cousin Joseph, le fils de Menashe. Mais Menashe était pour moi quelqu'un de très, très, très proche.

[00:10:16] Interviewer:

Votre grand-mère a eu beaucoup d'influence sur vous quand vous étiez jeune. Est-ce qu'elle vous a aussi influencée du côté du judaïsme ou de la religion?

[00:10:29] Naïm Kattan:

Oui alors, elle était illettrée comme tout le monde à son époque, mais elle avait des talismans et elle savait - elle faisait le shabbat et on n'avait pas le droit d'avoir de la lumière, sauf le korrai [ph], les petites..... ce qu'on fait pour le shabbat pour faire une illumination en dehors de tout autre le soir du shabbat. Alors elle pratiquait et elle avait le rituel et la pratique de la religion sans pouvoir lire ou savoir quoi que ce soit.

[00:11:21] Naïm Kattan:

Mais elle était juive, très, très juive. D'autant plus que son mari était un rabbin mais qui pratiquait le commerce.

[00:11:32] Interviewer:

Pour réciter des prières en hébreu il fallait les lire. Est-ce qu'elle les connaissait par cœur?

[00:11:41] Naïm Kattan:

Oui, elle connaissait par cœur la prière pour le shabbat. Mais ma mère est allée à l'école même si elle était mariée très, très jeune et elle savait pour le Yom kippour par exemple, ou pour Pessah aussi, elle savait lire et chanter. Et j'étais très, très ému quand ma mère chantait en hébreu.

[00:12:09] Interviewer:

Est-ce qu'elle est allée à l'Alliance?

[00:12:10] Naïm Kattan:

Oui, elle est allée à l'Alliance, mais elle a quitté très, très jeune. Mais mon père est allé à l'Alliance aussi. Et mon père allait tous les samedis, tous les shabbat à la synagogue et je l'accompagnais. Et c'est lui, par exemple, dans le siddur, il ne fallait pas parler quand il y avait la prière, il me montrait la page du doigt. Alors j'ai appris toujours comment respecter la prière et la lecture de la Torah avec mon père à la synagogue de Bagdad.

[00:12:49] Interviewer:

Donc vous l'accompagniez régulièrement à la synagogue?

[00:12:53] Naïm Kattan:

Oui. Jusqu'à l'âge où je commençais à être en révolte contre tout, vers là, après le farhoud, après le pogrom à Oribe [ph]. J'avais 12 ans quand j'allais être tué par... les pogromistes de Bagdad, comme tous les autres juifs, c’est très connu en '41. Et là, après cela, je suis devenu très révolté. Mais j'ai retrouvé le judaïsme en arrivant à Paris en '47.

[00:13:28] Interviewer:

Vous avez dit c'était la grande synagogue de Bagdad que vous fréquentiez?

[00:13:36] Naïm Kattan:

Non, ma maison où je suis né était absolument voisine, mur à mur, avec une synagogue qui s'appelait la Synagogue Meyer [ph], Meyer.

[00:13:46] Interviewer:

Meyer Ertweg [ph]?

[00:13:50] Naïm Kattan:

Non, non, ça c'est beaucoup plus tard. Meyer Ertweg [ph] c'est, non, non c'est vingt ans après. J'ai connu Meyer Ertweg [ph] lui même. Mais c'était beaucoup plus tard. Ça s'appelait Meyer, tout simplement Meyer, c'était un grand-

[00:14:05] Interviewer:

Le quartier où vous êtes né?

[00:14:06] Naïm Kattan:

Oui.

[00:14:07] Interviewer:

Comment s'appelait le quartier?

[00:14:09] Naïm Kattan:

C'était Shorja, près de Shorja.

[00:14:14] Interviewer:

Est-ce que la plupart des juifs demeuraient dans ce quartier?

[00:14:20] Naïm Kattan:

Oui, et après on a déménagé de cette grande maison de mon grand-père maternel à une maison à la rue Sharah Torah [ph], la rue de la Torah. Il y avait une rue à Bagdad qui s'appelait la rue de la Torah.

[00:14:38] Interviewer:

En quelle année?

[00:14:41] Naïm Kattan:

C'était peut-être dans les années '34... J'étais enfant. Et on a déménagé là et il y avait une synagogue en face de chez nous, qui s'appelle Synagogue [hébreu].

[00:14:59] Interviewer:

Donc il y avait beaucoup de synagogues?

[00:15:02] Naïm Kattan:

À Bagdad, oui, il y avait plein de synagogues. Les Juifs de Bagdad constituaient le tiers de la population de la ville. Bagdad était une ville juive et je me souviens quand, à Yom Kippour, quand, juste après le farhoud, je ne suis pas allé à la synagogue, je suis allé en ville. Il n'y avait personne. La ville était déserte parce que les Juifs étaient n'étaient pas là, les juifs priaient.

[00:15:32] Naïm Kattan:

Et même le shabbat, quand des Juifs n'allaient pas au souk, il y avait très peu de musulmans qui y allaient parce qu'il n'y avait pas de clients. Bagdad était - et les Juifs de Bagdad n'étaient pas uniquement des commerçants ou des artisans ou des ouvriers. Ils étaient les plus hauts fonctionnaires du gouvernement irakien. Ils faisaient marcher le gouvernement irakien, l'un des premiers ministres irakiens dans les années '20, c'était un juif qui a fait les négociations pour le prix du pétrole avec la Grande Bretagne.

[00:16:06] Naïm Kattan:

Et ça, ce qu'il a fait, est reconnu maintenant comme une grande contribution à l'économie irakienne. Parce que quand des Britanniques disaient chaque tonne en livres sterling, il dit, "Nous, on ne comprend pas ce que c'est le livre sterling," ce qui n'était pas vrai, "il faut mettre en or." Alors la différence après était très favorable à l'Irak parce qu'il a gagné dans sa négociation avec les Britanniques. Il a gagné sur les Britanniques, ce qui n'était pas le cas à l'époque des autres Irakiens.

[00:16:45] Naïm Kattan:

En tout cas, les juifs, il y avait le directeur des chemins de fer était juif, le directeur de la poste était juif. Il y avait plein de - et mon propre père était employé du bureau de poste. Et après, mon frère aîné est devenu un avocat et il travaillait au Ministère de l'intérieur d'Irak.

[00:17:10] Interviewer:

Vous vous rappelez des noms de ces haut-fonctionnaires?

[00:17:16] Naïm Kattan:

Non, non, c'est très connu, mais ça m'échappe. À mon âge je ne me souviens pas des noms des gens, surtout que je n'ai pas connu, que j'ai pas connu personnellement. Il y en avait plein. Mais c'était pas surprenant. Il y avait quelqu'un qui était l'un des plus grands professeurs de Sal el-Kebir [ph], la famille el-Kebir [ph], que j'ai connu personnellement, c'était des gens absolument remarquables, Ebrahim Sal el-Kebir [ph] et il y avait beaucoup d'autres.

[00:17:55] Interviewer:

Je vais vous ramener à la période où-

[00:17:59] Naïm Kattan:

Et la banque où j'ai travaillé à Bagdad, parce que j'ai commencé à travailler à la banque, c'était la banque Zilkha. Et Zilkha c'est quelqu'un qui a commencé comme un changeur d'argent et qui a fondé des banques en Égypte, au Liban et de Bagdad. C'est à dire, les juifs irakiens se répandaient dans le monde avant le farhoud, ils étaient très, très, très actifs. Il y avait des communautés partout où je suis allé dans le monde. J'ai trouvé des empreintes des communautés juives, par exemple à New Delhi, et le premier ministre de Singapour était juif de Bagdad.

[00:18:45] Naïm Kattan:

Il y avait des communautés juives partout en Asie et en Iran, dont mon oncle, et au Liban, en Égypte. En Égypte, il y avait beaucoup de juifs irakiens qui fondaient des choses aussi. C'était des gens qui répandaient. Zilkha, que j'ai connu, le fondateur de ces banques-là, je l'ai connu personnellement. Et son fils, quand je suis allé le voir, il était directeur d'une banque à Paris, il m'a dit, non, votre avenir n'est pas dans la banque. Vous avez fait des études à la Sorbonne. Vous devez être dans la littérature.

[00:19:21] Naïm Kattan: 

Et après je l'ai revu Abdel al Zilkha [ph] et il était un grand financier à Zurich. Il m'a invité pour faire une conférence à Zurich à l'Alliance française et comme je l'ai dit déjà écrit des livres, etc., il était très content que je parle de la banque Zilkha où j'ai travaillé. J'avais 14 ans, 15 ans quand j'ai travaillé à la Banque Zilkha.

[00:19:45] Interviewer:

C'est remarquable. Alors on va revenir à la période du farhoud. Vous aviez à peu près...

[00:19:54] Naïm Kattan:

12 ans.

[00:19:55] Interviewer:

Comment avez vous personnellement vécu, votre famille et vous ces...?

[00:20:01] Naïm Kattan:

J'ai écrit tout un chapitre là-dessus dans un livre qui s'appelle Adieu Babylone, où j'ai raconté tout ça en détail mais je peux le dire en deux mots. Je vous ramène à mon livre. Je vous signale mon livre parce que je l'ai décrit. Alors j'étais sur le toit parce que c'était l'été. Déjà, il faisait chaud et on entendait les coups de feu qui s'approchaient, qui s'approchait. Et moi, j'avais 12 ans. J'ai dit je n'ai pas encore vécu, je n'ai pas rien connu de la vie et je vais être tué.

[00:20:40] Naïm Kattan:

Et bon, j’étais d'une détresse épouvantable. Je regardais mon père et mon père, tout ce qu'il faisait pour nous protéger, il récitait les psaumes. Il connaissait les psaumes par cœur et elle récitait les psaumes. J'ai dit, "Est-ce que c'est ça qui va nous protéger?" Mais je crois que ça avait de l'influence quand même. Bon, ils ne sont pas arrivés jusqu'à notre quartier et on était saufs. Et ils sont arrivées à d'autres quartiers après, enfin bon.

[00:21:09] Naïm Kattan:

Mais moi j'ai vécu ça comme quelque chose de très, très traumatisant.

[00:21:13] Interviewer:

Bon, tout de suite après, vous avez fait votre bar-mitzvah?

[00:21:19] Naïm Kattan:

Non, je voulais pas parce que j'étais révolté contre ceux qui ont voulu assassiner les Juifs. Et les Juifs, ne se défendait pas. Ils n'avaient pas les moyens de se défendre. M'enfin bon. Et personne n'était - bon, mais après l'âge de bar-mitzvah et je suis devenu très laïque et j'écrivais des articles dans les journaux de Bagdad et des nouvelles. J'ai publié des nouvelles.

[00:21:50] Naïm Kattan:

J'ai écrit une nouvelle qui était publiée à l'âge de 13 ans dans un livre publié par l'Alliance israélite universelle en arabe et j'ai gagné un prix à l'époque. Et après, j'ai commencé à écrire avec des musulmans. Je travaillais beaucoup avec des musulmans pour écrire et j'ai fondé avec des musulmans deux revues. L'une s'appelle [arabe] La pensée moderne et l'autre s'appelait [arabe] Le temps perdu. Et là, j'écrivais beaucoup et on a signalé mon écriture dans des revues en Égypte et en Liban.

[00:22:37] Naïm Kattan:

Bon, c'était mon commencement, mais en Arabe. J'étais écrivain de langue arabe. Et tout ça avant d'avoir 18 ans parce que à 18 ans, 19 ans, je suis parti à Paris.

[00:22:51] Interviewer:

Bon, retournez à votre bar-mitzvah.

[00:22:54] Naïm Kattan:

J'ai pas fait de bar-mitzvah.

[00:22:56] Interviewer:

Oui. Comment votre grand-mère maternelle elle a -

[00:23:01] Naïm Kattan:

Non, mais c'était, c'était le farhoud. Tout le monde était bouleversé. On n'avait pas l'idée de faire des bar-mitzvah à l'époque. Tout le monde était d'une tristesse infinie et c'était l'âge où je devais avoir bar-mitzvah et j'ai dit non. On ne veut pas - quand il y a des gens qui étaient assassinés autour de moi, moi, je ne vais pas fêter.

[00:23:19] Interviewer:

Est-ce que vous fêtiez la pâque?

[00:23:22] Naïm Kattan:

Oui, à Bagdad? Oui, pâques on fêtait normalement. Enfin tous les juifs irakiens faisaient la fête à la synagogue.

[00:23:34] Interviewer:

Est-ce que vous diriez que la plupart des familles étaient kasher in Irak?

[00:23:39] Naïm Kattan:

On n'avait pas les moyens de ne pas l'être. On ne pouvait pas acheter d'autre chose que kasher. Il n'y avait pas. Et la première fois que j'ai vu de la viande, du porc ou de la viande - parce que des musulmans non plus ne mangeaient pas de porc. Alors la première fois que j'ai vu ça, je crois, c'était au YMCA. C'était des Britanniques, évidemment, et je ne pouvais pas toucher à ça. C'étaient des étrangers de très loin.

[00:24:09] Naïm Kattan:

Mais enfin, j'y allait au YMCA parce que c'était au bord de l'eau. Il y avait des bateaux et surtout, il y avait une grande bibliothèque anglaise où j'empruntais des livres.

[00:24:20] Interviewer:

Une autre question, vous avez dit que vous avez fait vos études à l'Alliance israélite. Jusqu'à quel niveau est-ce que vous avez terminé vos études là-bas?

[00:24:31] Naïm Kattan:

J'ai terminé mes études et j'ai terminé l'Alliance israélite jusqu'à l'âge jusqu'au brevet élémentaire. C'est à dire la troisième année de secondaire et ça s'est arrêtée là. Après, les étudiants juifs allaient ou à l'école Shamash, qui était de langue arabe et anglaise, ou bien moi je suis allé à une autre irakienne laïque mais qui n'était pas juive. Mais je prenais des cours du soir parce qu'après l'Alliance je commençais à travailler. Je travaillais à la banque après je travaillais à l'ambassade de France, à l'ambassade de Belgique, mais à l'Alliance israélite universelle pour le brevet élémentaire. C'est ce qui a changé ma vie.

[00:25:21] Naïm Kattan:

Il y avait un examinateur, ça, je raconte ça dans plusieurs de mes livres, il y avait M. Golmye [ph] qui est venu m'examiner de Beyrouth, parce que c'était un examen français, et déjà, j'écrivais sur des écrivains français dans ma dissertation sur Malraux et sur Gide. Il était très impressionné que quelqu'un de Bagdad, qui avait 15 ans à peu près, connaissait cet écrivain qui était très enfin, pas autant connue dans le monde qu'après.

[00:25:57] Naïm Kattan:

Et quand il a commencé à m’examiner oralement, je lui ai montré des poèmes que j'ai lus, que j'ai traduit de français en arabe. Il m'a dit, "venez me voir, je vous arrête là. J'ai lu votre dissertation. Il faudra venir me voir à mon hôtel." Je suis allé le voir à son hôtel. J'ai dit, "Je veux venir travailler avec vous." C'est le premier Français que j'ai rencontré. J'ai dit, "Je veux travailler avec vous à Beyrouth." Il dit non, vous ne vous ne viendrait pas à Beyrouth, vous irez à Paris.

[00:26:30] Naïm Kattan:

J'ai dit, "Comment ça, aller à Paris? Paris est occupé par les Allemands et je suis juif et je n'ai pas d'argent." Il m'a dit, "Paris sera libéré et vous aurez une bourse." Et c'est vrai. Dès que Paris a été libéré il a tout fait pour que j’aie une bourse parce que j'étais le premier au brevet élémentaire de l'Alliance et j'ai eu la bourse pour aller en France. La première bourse que la France a donné à l'Irak après la guerre, c'était à moi.

[00:26:53] Naïm Kattan:

Ça a changé ma vie. C'est cet homme qui est venu me faire l'examen à l'Alliance israélite. Il a changé ma vie. Il m'a fait partir à Paris.

[00:27:02] Interviewer:

Super ça. On va revenir à ça parce j'ai deux questions. D'abord, pour finir avec le farhoud, est-ce que vous avez perdu personnellement des amis?

[00:27:14] Naïm Kattan:

Amis, non, mais il y avait des cousins de ma tante. Enfin, il y avait des gens qui étaient...dans leur maison, il y avait des vols, mais il n'y avait pas... Il y avait un assassinat assez loin. Non. Mais on entendait partout ça. Tout le monde était concerné par ça. Quand j'ai publié mon premier livre, Adieu Babylone, je parlais de ça. Un de mes premiers lecteurs en manuscrit c'était un de mes grands amis à l'époque, il n'était pas très connu encore à l'époque, mais après qu'on était connus il était resté mon ami, c'était Elie Wiesel [ph]

[00:28:01] Naïm Kattan:

Quand il a lu mon manuscrit d'Adieu Babylone il m'a écrit et dit, "Vous ne parlez pas de la shoah, enfin, de ce qui s'est passé en Europe à cette année là." J'ai dit, mais on n'en a jamais entendu parler de ça. Nous, on avait notre propre shoah à Bagdad, qui était le farhoud. C'était beaucoup moins important que ce qui est arrivé aux Juifs européens. Mais pour moi, c'est la même continuation.

[00:28:26] Naïm Kattan:

Et quand je parle de la shoah, quand je suis allé visiter le camp de concentration il y a quelques années, je me suis senti là-dedans. C’était notre peuple qu'on assassinait. Et on a su que c'était des nazis à Bagdad qui voulaient nous assassiner. C'était un gouvernement nazi. Ce n'était pas Israël, etc. C'était un gouvernement nazi.

[00:28:58] Interviewer:

C'est intéressant parce qu’après ça, vous avez eu des contacts avec des musulmans ou des gens locaux, parce que vous avez étudié le soir à une école musulmane.

[00:29:13] Naïm Kattan:

Oui. Après, j'ai étudié aussi à la faculté de droit. J'ai fait du droit avant de partir à Paris.

[00:29:20] Interviewer:

Vous avez fait beaucoup de contacts

[00:29:22] Naïm Kattan:

Ah oui, oui.

[00:29:25] Interviewer:

Avec des gens musulmans.

[00:29:26] Naïm Kattan:

Tous les écrivains importants. Le plus grand écrivain qu'est devenu après ministre de la culture Denu Noyu [ph], quand je suis allé le visiter avec ma première nouvelle pour sa revue, Al Majles [ph], j'avais 13, 14 ans. J'étais en culottes courtes. Il dit, "C'est ton frère qui t'envoie?" J'ai dit non, c’est pas mon frère, c‘est moi même qui écrit. Il dit, ah oui, toi? C'était un homme très important, etc. Et après, il m'a adopté et j'ai été un écrivain régulier dans sa revue. Et après, j'ai fondé mes propres revues avec d'autres musulmans. Non mais ces musulmans là voulaient vivre avec nous. Ils étaient souvent... Ils n'étaient pas tous communistes.

[00:30:10] Naïm Kattan:

Il y en avait des communistes, mais il y avait des gens qui étaient très, très proches des autres pays, de l'Occident et ils n'étaient pas nazis. Des nazis c'était quand même une minorité à l'époque, mais c'était eux qui ont gouverné en '41.

[00:30:24] Interviewer:

Pendant votre contact avec ces gens-là, avec vos amis locaux, est-ce que vous avez senti de l'antisémitisme?

[00:30:35] Naïm Kattan:

Pas de l'antisémitisme mais parce que moi, et je raconte ça encore dans mon livre Adieu Babylone, j'affirmais mon identité de Juif. Parce que les Juifs avaient un dialecte un peu différent des musulmans et un peu différent des chrétiens. Chaque communauté avait son, un peu de dialectes. Dans les dialectes juifs il y avait des mots hébreux, il y avait des mots, beaucoup de mots persans, aussi de Perse, [inaudible] dans notre dialecte.

[00:31:14] Naïm Kattan:

Alors un jour, dans le café, et je raconte ça dans Adieu Babylone, un jour, dans un café, j'ai parlé dans mon dialecte à moi, qui n'était pas considéré comme le dialecte le plus majoritaire, donc honorable, ce qui était celui des musulmans. Mais les musulmans, ceux qui étaient là, les intellectuels, voulaient tous faire quelque chose de la littérature irakienne et j'étais là-dedans. J'écrivais sur des écrivains français dont personne n'avait entendu parler. J'étais le premier à le faire et j'ai été le premier à avoir été sur le surréalisme, par exemple, ce qui m'a valu d'être accueilli par les surréalistes en France comme le chef des Soreil [ph] de Bagdad.

[00:31:53] Naïm Kattan:

Mais enfin, j'ai écrit sur beaucoup de choses sur lesquelles on n'écrivait pas et j'étais donc très aimé et très célébré aussi par les écrivains musulmans autour de moi. Mais antisémitisme? Non, pas parmi ceux-là. Non, il n'y avait pas d'antisémitisme.

[00:32:15] Interviewer:

Est-ce que vous diriez, par exemple, que votre fréquentation des écrivains musulmans et de votre fréquentation de l'école musulmane a laissé une empreinte dans votre identité de la culture musulmane arabe de Bagdad?

[00:32:36] Naïm Kattan:

La culture arabe n'était pas musulmane à l'époque. Elle était une culture très occidentalisée. L'Égypte était très proche de l'Occident et il y avait beaucoup d'introductions de l'Occident à cette époque-là. L'Islam existait, mais c'est après coup qu'il y a eu un retour l'Islam. Mais à l'époque, tout le monde voulait être occidentalisée, voulait découvrir le monde. Et le monde était, à l'époque pour nous, dans les années '40 et '50, c'était le monde occidental. Et quand une revue égyptienne [arabe] la grande revue de Taha Hussein a signalé mes articles dans notre revue de Bagdad, ils ont dit c'est l'un des espoirs de la littérature irakienne.

[00:33:22] Naïm Kattan:

Mais pour moi, c'était ça mon avenir. C'était la littérature irakienne. Et si j'étais déjà un espoir reconnu au Caire, c'était pour moi extrêmement important. Je faisais partie de la culture arabe irakienne et je contribuais à ça. J'écrivais des nouvelles et des articles. Bon, après coup, et même à Paris, j'étais le correspondant d'une grande revue libanaise une fois par mois qui s’appelait le [arabe].

[00:34:00] Naïm Kattan:

Et..... J'ai été le correspondant du Journal de Bagdad. Donc, j'écrivais toujours en arabe, mais j'ai commencé à écrire en français, mais j'ai changé complètement de langue en arrivant à Montréal. J'ai dit c'est fini l'arabe. Il n'y a pas de rapport entre Bagdad et Montréal. Il fallait que je vive dans la ville française qui est Montréal.

[00:34:27] Interviewer:

Vous avez aussi fait allusion à ce qu'il y avait une démarcation entre les écrivains arabes irakiens qui étaient influencés par l'Occident et ceux qui étaient influencés par le communisme.

[00:34:41] Naïm Kattan:

Oui, ceux qui étaient influencés par le communisme ne pouvaient pas être ouvertement communistes parce que c'était interdit et on les mettait en prison, y compris des Juifs. Et il y avait des juifs communistes. Un de mes copains, qui habitait la même rue que moi, était mort en prison comme communiste. Mais à l'époque être communiste c'était pas, on ne savait pas ce que c'était véritablement. C'était être libéré des différences, des distinctions, des persécutions. Mais après, ça a disparu petit à petit.

[00:35:26] Interviewer:

Quand vous avez fait vos préparatifs pour quitter l'Irak, est-ce que votre famille et vous même, vous pensez que un jour ça allait être vraiment très, très mauvais pour les juifs?

[00:35:42] Naïm Kattan:

C'était déjà très mauvais pour les Juifs. Et pour partir de l'Irak en '47, il y avait le beau-frère de mon oncle Nessim [ph], qui connaissait quelqu'un dans la police, qui a pris la garantie que je ne vais pas partir pour de bon. Il a dit que si je n'en revenais pas, il y aurait de l'argent, deux mille dollars à l'époque ou enfin deux mille dinars qu'il fallait payer. Il a pris un engagement pour moi pour que je puisse avoir mon passeport.

[00:36:22] Naïm Kattan:

Ce qui m'a facilité aussi pour avoir le passeport parce qu'il y avait beaucoup de corruption à l'époque. C'était un camarade de classe de l'école arabe où j'allais le soir et qui à l'examen, voulait copier sur moi. Je l'ai laissé copier sur moi et il était très reconnaissant après. Et quand je suis allé, il était employé au bureau de passeport, ce que je ne savais pas. Il m'a aidé à terminer la préparation de mon voyage pour avoir le passeport et partir. Et je suis parti. Je suis arrivé à Paris et j'ai été pris en charge par le gouvernement français.

[00:37:11] Interviewer:

En Irak, il y avait déjà des difficultés pour les juifs pour avoir des passeports et pour quitter?

[00:37:18] Naïm Kattan:

Oh, absolument. Après le nazisme, il y avait les antisionistes. Alors ils faisaient des manifestations quand il y avait l'anniversaire de Balfour, la déclaration de Balfour, il y avait beaucoup de manifestations. Et le gouvernement irakien, comme Israël allait être fondé, empêchait les juifs d'avoir des entreprises à eux-mêmes. Et c'était déjà la persécution, pas persécution, la discrimination.

[00:38:03] Naïm Kattan:

Et j'ai connu un type qui était un haut fonctionnaire qui m'a dit que quand j'étais déjà à Paris, j'étais un an après, j'étais en Suisse et je l'ai vu. Il travaillait au bureau du travail à Genève. Il m'a dit, "Au lieu de dire que les juifs restent ou on va les mettre en prison, on va les juger, il faut les laisser partir et comme ça, on n'aura plus de problèmes." Et après un an, après '50, après la fondation de l'État d'Israël l'Irak envoyait, a envoyé des armées, une armée contre Israël à l'époque encore en '50 ils ont dit les juifs, c'était le moment [inaudible].

[00:38:58] Naïm Kattan:

C'est à dire, on pouvait se séparer de sa nationalité irakienne. On pouvait se départir de sa nationalité irakienne, ce qui veut dire aussi de tous ses biens. On pouvait partir de l'Irak avec je sais pas, quoi, 210 dinars ou 300 dinars mais avec rien d'autre. Alors les Juifs sont partis en une énorme majorité en Israël. Mais au début, ils s'arrêtaient pas en Israël directement, ils s'arrêtaient à Chypre. Et c'est de là que les Israéliens venir les chercher.

[00:39:29] Naïm Kattan:

Et c'est là que... C'était très dur pour les juifs irakiens. Je suis allé en '51 visiter ma famille qui était dans le mabarot dans les camps... Et là, c'était très dur. Mais après, mon frère est devenu juriste israélien. Ça s'est bien passé. Après, les gens travaillent. Il y avait de la discrimination parce qu'ils étaient sépharade. Mais comme des juifs irakiens ne se renferment pas sur eux mêmes. Ils vont là où il y a...

[00:40:09] Naïm Kattan:

Je vous donne un exemple on est dans une synagogue ici, c'est un cousin à moi Aron Kattan [ph] qui, à un certain moment, quand on est arrivé - c'était vraiment iraquien - quand on est arrivé à Montréal, il y avait très peu de juifs irakiens qui étaient à Young Israël [ph]. Alors on leur donnait une petite salle, etc. Il y avait cette synagogue sépharade où il n'y avait pas, il n'y avait personne, il n'y avait pas de séfarades, il n'y avait que des ashkénazes. Alors Aron Kattan [ph] est venu et il a négocié avec le rabbin Frank [ph], qui était un homme extraordinaire.

[00:40:48] Naïm Kattan:

Et le rabbin Frank [ph] a dit, Mais venez! Et Aron Kattan est devenu le président de cette synagogue pendant des années. Les juifs irakiens, au lieu de fonder leur propre synagogue, ils ont pris la plus vieille synagogue sépharade et ils sont installés là-dedans. Et c'est ça qu'ils font dans le monde entier quand ils vont quelque part. Et c'est ça que j'ai remarqué. J'ai écrit beaucoup là-dessus. J'ai vu des juifs irakiens qui sont restés, qui sont devenus des communautés, qui ont fondée des synagogues qui ont fait beaucoup de choses dans le monde, en Asie, en Proche-Orient.

[00:41:22] Naïm Kattan:

Et ça, bon, j'ai jamais compris totalement, qui ils étaient. J'y suis encore à la recherche de ce qui les animent, qui est une force intérieure incroyable pour moi enfin bon. Comme je vous dis, je dis toujours je suis un juif de Bagdad.

[00:41:41] Naïm Kattan:

Je vous raconte une autre histoire, des anecdotes là-dessus. J'ai fondé - j'ai été directeur du Conseil des arts du Canada et j'ai fondé le Prix Canada-Australie. Et quand je suis arrivé en Australie, j'ai été invité comme écrivain canadien à Adelaïde, en Australie. Alors il y avait quelqu'un qui était venu. Il a vu que je suis né à Bagdad. Il était venu à moi et m'a dit, "Vous êtes né à Bagdad. Vous êtes juif?" Oui, j'ai dit je suis juif de Bagdad, c'est écrit.

[00:42:14] Naïm Kattan:

Alors il me dit moi aussi, mais je suis né en...Je suis juif de Bagdad mais je suis né au Japon. J'ai dit oui, j'avais un copain de classe qui, après le farhoud, il s'appelle Maurice Gordji [ph] et lui et sa famille ont quitté l'Irak pour aller en Australie. Il dit, "Ah Maurice, il est un des avocats très connus à Melbourne. Et il veut être député. Il va être député, etc."

[00:42:44] Naïm Kattan:

Et quand je suis allé à Melbourne, Maurice Gordji [ph] qui était un copain à moi à Bagdad, à 12, 13 ans, 14 ans, et il m'a fait célébrer le shabbat chez lui à Melbourne, un juif de Bagdad. Ses enfants et sa femme et était juif de Bagdad aussi. Ses enfants ne parlaient que des écrivains australiens que je rencontrais. Ils n'étaient pas intéressés par Bagdad, mais intéressé par l'Australie. Ce qui était normal.

[00:43:13] Interviewer:

C'est très intéressant, mais je vais vous -

[00:43:18] Naïm Kattan:

Mais alors, allez, je suis allé très loin en Australie et je suis tombé sur les juifs de Bagdad. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?

[00:43:25] Interviewer:

C'est magnifique. Je vais vous ramener parce que j'ai une autre question. Avant votre départ de l'Irak, donc, vous avez parlé déjà que les juifs se préparaient pour partir parce qu'ils étaient persécutés. Le gouvernement voulait les décourager d'avoir des commerces, de travailler...

[00:43:46] Naïm Kattan:

Pas seulement décourager, mais les empêcher.

[00:43:48] Interviewer:

D’Accord. Alors, est ce que vous avez connu ou fréquenté des sionistes irakiens?

[00:43:54] Naïm Kattan:

Oui, oui, beaucoup. Il y avait beaucoup et moi, je ne l'étais pas. Alors il y avait un débat entre moi et les juifs sionistes. Moi, je dis le judaïsme est une ouverture au monde, pas seulement un seul pays, pas seulement Israël, mais le monde entier est ouvert à moi et moi, je voulais aller en Europe. Bon, alors je n'étais pas d'accord avec les sionistes, mais j'étais pas contre, mais je n'étais pas d'accord. Oui, oui, il y avait un mouvement sioniste qui était nourri aussi par une aide indirecte d'Israël.

[00:44:32] Interviewer:

Est-ce que vous avez senti aussi qu'ils forçaient les juifs irakiens à partir?

[00:44:42] Naïm Kattan:

Oui, mais en '50, ils ont fait une loi gouvernementale irakienne. Ils disent des juifs irakiens peuvent partir. C'était une manière de se débarrasser des juifs. Et ils sont partis en grande partie. La grande majorité des Juifs irakiens sont partis en '51 avec l'aide d'Israël.

[00:45:05] Interviewer:

Avec l'aide d'Israël. Mais est-ce qu'il y a eu un encouragement ou une aides des sionistes locaux?

[00:45:10] Naïm Kattan:

Oui, évidemment. Évidemment, c'était... Il y avait même une rumeur, enfin ce n'était peut-être pas tout à fait une rumeur, que les sionistes lançaient des bombes près des synagogues pour encourager les juifs d'avoir peur et de partir. Bon, j'ai connu Ben Porat [ph] qui venaient, ceux qui sont devenus des ministres après en Israël, c'était eux qui étaient les Irakiens, Ben Porat [ph], par exemple, que j'ai connu. Il était devenu un homme très important en Israël après, et les juifs irakiens en Israël sont aussi...

[00:45:56] Naïm Kattan:

Ils ont fondé un musée de juifs irakiens en Israël. Donc les juifs irakiens demeurent irakiens mais ils demeurent d'abord juifs. C'est ça qui est important.

[00:46:11] Interviewer:

Vous-même, vous n'avez pas fait partie d'un groupe sioniste en Irak?

[00:46:18] Naïm Kattan:

Non, non, non, non, jamais.

[00:46:20] Interviewer:

  1. Bon, alors, vous avez parlé des préparatifs pour partir en France.

[00:46:27] Naïm Kattan:

J'ai eu la bourse. C'était une chance inouïe d'avoir la Bourse en '47 et de pouvoir partir. Je l'ai eu, je savais que j'allais l'avoir en '46, alors c'était déjà bien avant la naissance de l'État d'Israël. En '46 et je l’ai eue 47 et je suis parti en '47.

[00:46:49] Interviewer: 

Votre famille, comment ils ont considéré ce départ?

[00:46:55] Naïm Kattan:

Alors, ils étaient contents qu'il y a un de la famille qui parte déjà, parce qu'on avait l'occasion. Mais j'avais des deux côtés, maternel et paternel, des oncles ils étaient partis de l'Irak et que moi je partais, évidemment. Ma mère était triste, mais elle n'était pas, était très, très solennelle et ma grand-mère ne cessait de me dire, "Fais attention à ce que tu manges parce que quand on mange de porc, on est empoisonné."

[00:47:32] Naïm Kattan:

[Rit] Et bon, fais attention. J'ai dit oui, oui, oui, oui. Enfin, bon. J'aimais tellement ma grand-mère. J'ai dit oui, oui, bon. Je l'ai revu après en Israël. Elle était aussi -

[00:47:50] Interviewer:

Donc est-ce que c'était le souhait de la plupart des parents de familles juifs que leurs enfants puissent partir pour l'Occident ou pour Israël?

[00:48:02] Naïm Kattan:

Oui, ils l'ont fait.

[00:48:05] Interviewer:

Ils l'ont fait mais est-ce que c'était leur souhait?

[00:48:08] Naïm Kattan:

Mais c'était pas possible. La vie est devenue impossible. C'est devenu terrible et quand il y a eu l'occasion, comme les juifs irakiens, on pense toujours qu'il y a moyen se refaire vie. Je l'ai vu partout. J'ai vu des juifs irakiens et ils viennent - bon, il y en a qui échouent et tous ne gagnent pas. Il y en a qui ne parviennent pas à réussir. Il y en a d'autres qui se mêlent de la vie du pays où ils sont et ils sont là-dedans et ils demeurent ce qu'ils sont eux mêmes, c'est à dire des juifs irakiens. Mais ils sont du pays où ils sont.

[00:48:46] Naïm Kattan:

Quand je suis allé... J'ai été envoyé par le gouvernement canadien pour des négociations avec la Chine sur le rapport culturel entre la Chine et le Canada. Et moi, comme je savais que à Hong Kong, il y avait un juif irakien, Lord Kaddouri, qui a exprimé à mon semi-cousin Haron Kattan [ph] qu'il a visité et était, alors ...Lord Kaddouri c'était un lord britannique, mais qui était irakien alors qui possédait la moitié de Hong Kong.

[00:49:31] Naïm Kattan:

Alors tout ce qu'il a pu, Haron Kattan [ph] a pu lui offrir, parce qu'il avait tout, lui a offert mon livre Adieu Babylone sur les juifs de Bagdad. Et Lord Kaddouri a dit. "Si ce type là vient, qu'il vienne me voir." Alors je suis allé le visiter à Hong Kong et j'avais l'impression d'être à Bagdad avec un oncle. Ce type là qui était un Lord, qui possédait tout, possédait les tramways de Hong Kong. Alors, il me faisait visiter sa collection d'ivoire chinois. Et c'était le juif irakien le plus grand connaisseur de l'ivoire, des sculptures chinoises en ivoire. C'est ça. C'est tout à fait irakien.

[00:50:22] Naïm Kattan:

Alors quand il voulait aider les Vietnamiens à Hong Kong il leur a dit, "Je ne vous donne pas de l'argent, je vous donne un terrain. Vous allez vous installer là et faire votre village là-dedans." Et ils l'ont fait et ils l'ont célébré après. Et il me regarde et me dit, "Mon père m'a dit, "Tout ce que tu possèdes ne t'appartient pas, tu l'administre. Tu n'es que l'administrateur de tout ce que tu possèdes. Alors fais attention à bien l'administrer, à l'administrer honnêtement. Mais c'est pas à toi, il faut que ce soit pour le bien."

[00:51:01] Naïm Kattan:

Et ça j'ai dit, voilà. Bon, là je dis que du bien des juifs irakiens mais il y en a qui n'étaient pas aussi bien que ça. Il est vrai. Mais ceux que j'ai connus, ceux que j'ai célébrés sont ceux que j'ai beaucoup aimé.

[00:51:19] Interviewer:

Avez-vous eu des incidents en Irak avec des...?

[00:51:26] Naïm Kattan:

Non, non. J'ai été employé par la banque Zilkha et [arabe] à Paris? Non, non, non, non, je n'ai aucune. Non, non, je n'ai eu que...

[00:51:39] Interviewer:

Que de bonnes choses.

[00:51:41] Naïm Kattan:

[Arabe] Et même celui qui est directeur de la banque, ils m'ont confié un jour, c'était bizarre, je raconte ça. La clé d'un coffre fort à la banque. Et moi qui ne perd jamais de clés, je l'ai perdu. Alors directeur de la banque, qui était le beau-frère de Zilkha me regarde et il dit, "Je n'ai pas peur, c'est un homme honnête. Naïm Kattan c'est un garçon honnête. On a une autre clé. On va faire une autre clé et puis c'est terminé." Alors donc il m'a fait confiance. Et ça, pour moi, c'était un cadeau inoubliable.

[00:52:34] Interviewer:

Alors, vous êtes parti à Paris pour faire des études à la Sorbonne et vous avez dit vous êtes pris en charge par le gouvernement français.

[00:52:45] Naïm Kattan:

Oui.

[00:52:46] Interviewer:

C'est ça? Mais est ce que en arrivant à Paris, est ce que vous avez essayé d'établir des contacts avec des juifs irakiens?

[00:52:53] Naïm Kattan:

Oui. Alors, il y avait avec moi plusieurs étudiants irakiens, juifs et musulmans qui venaient manger avec moi en même temps que moi. Alors les juifs, il y avait trois ou quatre, quatre je crois, qui faisaient des études de médecine et de dentisterie. On est resté, on mangeait au même restaurant et quand je leur parlait avec notre dialecte de Bagdad, ils étaient gênés parce que autour de nous, il n'y avait que des Irakiens, que des Français. J'ai dit, moi, avec toi, je ne suis pas Parisien, je suis comme toi de Bagdad.

[00:53:33] Naïm Kattan:

Mais enfin bon, c'était amusant à l'époque. Mais enfin, oui, j'avais des contacts avec des étudiants juifs, irakiens et musulmans aussi.

[00:53:43] Interviewer:

Est-ce que vous avez essayé de fréquenter une synagogue à Paris?

[00:53:50] Naïm Kattan:

Oui, alors, la première année je suis allé pour le Yom Kippour à la grande synagogue de la Victoire... Il n'y avait plus de place pour entrer. Alors, je suis resté debout dehors, mais j'ai fait le kippur quand même près d'une synagogue. Je dis ça parce que maintenant, je suis membre du comité de la synagogue de la Victoire et le grand rabbin de France, qui est Gilles Bernheim, qui était le grand - alors je suis allé à cette synagogue à Paris parce que j'ai dit, je suis dans la synagogue à Montréal je veux aller - j'ai fait partie de cette synagogue, alors je vais aller à une synagogue où on ne me connaît pas.

[00:54:40] Naïm Kattan:

Alors je suis allé à la synagogue de la victoire. Et Bernheim, quand il est devenu ministre, rabbin de cette synagogue, quand il a fait le [inaudible], il a dit, "Il y a dans la salle un homme que je respecte et que j'admire. Naïm Kattan." Et après, il m'a dit il a découvert quand il était étudiant à Strasbourg les juifs orientaux par mon roman Adieu Babylone, qui était publié en France.

[00:55:09] Naïm Kattan:

Et il m'a dit, "J'ai toujours été très impressionné par ça." Alors après, on est devenus très amis. Maintenant, on se voit ailleurs qu'à la synagogue. Mais cette synagogue - alors après dans cette synagogue ashkénaze, il y avait plein de sépharades et le shamash est un sépharade qui s'appelle Srours [ph], qui était Libanais qui est venu me parler en arabe dans cette synagogue ultra ashkénaze. M'enfin bon.

[00:55:38] Naïm Kattan:

Mais à Paris, il y avait aussi, là où je fréquentais… un lieu, enfin on avait une salle des étudiants juifs de France. On avait une salle près de Denfert-Rochereau et j'y allais. Et là, j'ai rencontré les juifs, enfin tout ça, des étudiants, surtout des étudiants.

[00:56:04] Naïm Kattan:

Alors je suis allé aussi à Paris à l'Alliance israélite, au bureau de l'Alliance israélite qui me recevait. Et j'ai revu le directeur de l'école de Bagdad, qui s’appelait Loredo [ph], qui était là, et Saba [ph], qui était mon professeur de français, je les ai revus à Paris.

[00:56:31] Interviewer:

Mais quand vous étiez à Paris, vous avez mentionné, vous avez participé à une rédaction arabe.

[00:56:42] Naïm Kattan:

Oh oui, j'étais le correspondant de Grand Journal al-Sharb [ph]. C'était le grand quotidien de Bagdad. Je leur ai envoyé deux ou trois articles par semaine et ils me payaient aussi.

[00:56:56] Interviewer:

La thématique de ces articles était culturelle?

[00:57:01] Naïm Kattan:

Non, non, c'était la politique internationale et la politique du Proche-Orient. Mais je ne signais pas de mon nom parce que ma famille était encore là et j'avais peur. Je signais un autre nom. Mais un jour, le directeur de cette revue, de ce journal, enfin c'était un copain à moi et après un ami [arabe] Il était musulman, évidemment. Quand il est venu à Paris, il était venu avec un ancien premier ministre, Salek Jaber [ph]. Il m'a fait déjeuner avec lui avec Salek Jaber [ph] qui avait une infirmière qui était juive aussi avec lui.

[00:57:38] Naïm Kattan:

Mais Salek Jabber [ph] il voulait voir vraiment, s'il était vraiment correspondant et il m'a vu et [inaudible] a accepté. Alors il y avait un journal nationaliste qui disait le correspondant de [inaudible] était juif, etc. Il dit nous, il a écrit un article, il a écrit dans le journal. Nous, on ne demande pas la religion de nos journalistes, on leur demande leurs compétences de journaliste et notre correspondant on est très content de lui et il a la compétence d'être notre correspondant. Alors comme ça, je suis resté.

[00:58:15] Interviewer:

Donc ça c'était entre les années 1950 jusqu'à '54?

[00:58:20] Naïm Kattan:

De ’47 jusqu’à ’50…oui. De ’48, ’49 jusqu’à ’54 oui.

[00:58:31] Interviewer:

Même après la fondation de l’État d’Israël?

[00:58:34] Naïm Kattan:

Oui, oui, même après la fondation de l’État d’Israël. Oui, oui. J’étais correspondent, oui. Mais sous le nom de Maurice Sklar [ph].

[00:58:44] Interviewer:

Comment avez-vous vécu votre identité juive irakienne à Paris? Vous vous sentiez confortable ou vous sentiez aussi qu’il y avait un peu d’antisémitisme, que vous étiez pas bien accueilli?

[00:59:05] Naïm Kattan:

D’abord, au début, je ne savais pas ce que c’était les noms des Juifs ashkénazes. J’ai rencontré dans un colloque dans une réunion en Hollande un type qui s’appelle Veil [ph]. Je ne savais pas que c’était un nom juif et après c’était devenu l’un de mes grands amis de toute ma vie. Pendant la guerre il s’était caché, etc. Il m’a raconté son histoire après. Mais j’ai commencé à rencontrer des gens qui me racontaient leur histoire. Mais les gens à l’époque cachaient ce qu’ils étaient parce que c’était juste après la guerre.

[00:59:46] Naïm Kattan:

Et les nazis n’étaient pas tous morts encore. C’était en ’47. Mais après, comme juif irakien, je défendais les - J’écrivais sur les juifs irakiens dans leur journal, Évidence. Et j’ai essayé d’écrire aussi dans d’autres journaux et surtout il y avait un journal d’Arnold Mandell [ph] où j’ai écrit sur les juifs irakiens aussi. Mais c’était inconnu, les Juifs irakiens c’était pas encore important et l’Irak était très loin à l’époque. On me demandait où ça se trouve, l’Irak souvent.

[01:00:35] Interviewer:

Comment avez-vous pensé à venir au Québec?

[01:00:41] Naïm Kattan:

J’y ai pensé quand je suis allé en ’51 à New York. J’ai dit, mon avenir c’est d’aller en Amérique. Et d’aller en Amérique comme francophone il n’y avait que le Québec, alors c’est comme ça que j’ai décidé d’aller au Canada parce que c’était français et c’était l’Amérique.

[01:01:05] Interviewer:

Mais pourquoi pas rester à Paris?

[01:01:07] Naïm Kattan:

Parce que c’était très difficile à l’époque de gagner ma vie à Paris. Pour plusieurs raisons. D’abord, je n’étais pas français et je ne voulais pas le devenir parce qu’à l’époque, c’était la guerre au Vietnam et la guerre en Algérie. Et dès qu’on devenait Français, on était engagé dans l’armée et c’était aussi envoyé en guerre. J’avais pas envie de tout d’être dans l’armée, alors j’ai évité d’être Français.

[01:01:41] Naïm Kattan:

Et pour pouvoir travailler à Paris après la fin de ma bourse, après trois ans de bourse, j’ai cherché du travail. Alors… il fallait - à l’époque qu’il y avait une loi, une règle en France qui disait que on ne pouvait pas travailler, faire un travail comme étranger s’il y a un Français qui peut le faire.

[01:02:13] Naïm Kattan: Alors il fallait qu’on trouve le moyen que je fasse un travail qu’aucun Français ne peut faire. Et j’ai trouvé un Irakien, juif irakien, Sesso Soufer [ph], qui était à Paris, et qui avait une grande entreprise, qui était… l’agent de roulette PACA de ARCA [ph]. Enfin était une grande entreprise d’électricité, etc.

[01:02:43] Naïm Kattan:

Je suis allé le voir et lui dit, “Je veux travailler. Faudra que tu me trouve moyen de travailler.” Il m’a donné un emploi, enfin à l’époque, pas important, presque comme messager. Mais il a fait une déclaration qu’il avait besoin de quelqu’un qui parle arabe, hébreu, anglais et français. [Rit] Alors comme j’étais l’un des rares à pouvoir à le faire, on m’a accordé le pouvoir de travailler. Mais j’ai vu que chez lui, chez Sesso Soufer [ph] je n’avais pas d’avenir.

[01:03:17] Naïm Kattan:

Et c’’est pas ce que je voulais faire parce que je continuais quand même à faire des études. Je voulais faire un doctorat, etc. J’ai décidé de ne pas le faire et j’ai commencé à écrire dans les journaux. Je voulais faire autre chose et c’est pour ça que j’ai cherché à partir ailleurs.

[01:03:31] Interviewer:

Mais à cette époque-là vous avez vécu pendant votre séjour en France…

[01:03:36] Naïm Kattan: Comme employé de Sesso Soufer [ph], d’un irakien juif.

[01:03:40] Interviewer: Mais vous avez vécu la naissance et la fondation de l’Etat d’Israël.

[01:03:45] Naïm Kattan:

Oui, j’étais à mon hôtel et le jour où l’État d’Israël était fondé, j’ai reçu le téléphone de quelqu’un qui partageait ma cabine dans le bateau qui m’emmenait de Beyrouth à Marseille et qui était un prêtre libanais. Il me félicitait pour la fondation de l’État d’Israël. Il dit, “J’attends le moment où on fonde notre État chrétien en Orient, au Liban.” Bon, mais, et c’est tout. Mais évidemment, j’étais très, très content à l’époque.

[01:04:27] Interviewer:

 Avez-vous eu le souhait d’aller voir Israël?

[01:04:32] Naïm Kattan:

Oui, j’y suis allé. Quand ma famille était là j’y allais en ’51, oui.

[01:04:36] Interviewer: Mais vous ne vouliez pas…

[01:04:37] Naïm Kattan: Non, je ne voulais pas rester là, non.

[01:04:39] Interviewer: Pourquoi?

[01:04:40] Naïm Kattan:

Parce que je voulais être écrivain et écrivain en français plutôt qu’en hébreu. Et j’ai vu que j’aurais une autre difficulté énorme parce que j’ai été dirigé vers l’Occident, vers le français et de me reclasser dans l’écriture en hébreu comme beaucoup de mes amis, Sarba Moshe [ph], plusieurs, tous les juifs irakiens ont commencé à écrire en hébreu et je les ai rencontrés. Ils voulaient que je reste avec eux là-bas quand je suis allé en ’51. Shaoul Barhaïm [ph] qui est devenu ambassadeur aux Nations Unies, enfin d’Israël. J’ai rencontré les Juifs irakiens, mais non. Mon avenir, pour moi, c’était d’être francophone.

[01:05:32] Interviewer:

Donc vous êtes venu vous installer…

[01:05:35] Naïm Kattan: Au Canada

[01:05:36] Interviewer: Aviez-vous déjà des contacts ici avec votre cousin? Ou ça s’est établi après?

[01:05:47] Naïm Kattan: 

Quand je suis arrivé - je raconte une anecdote qui était très intéressante pour moi, très amusante. Quand je suis arrivé à Halifax, parce que c’était l’hiver, en plein hiver, c’était au mois de février. Et il y avait beaucoup de neige, etc. Alors le bateau ne pouvait pas avancer jusqu’à Québec, il fallait s’arrêter à Halifax, c’était gelé autrement, le St-Laurent. Alors je suis arrivé à Halifax et l’officier de la police canadienne qui m’examinait regardait, je n’avais pas de passeport.

[01:06:28] Naïm Kattan: 

J’étais, j’avais des papiers français de réfugiés en France. J’avais des papiers de réfugié en France. Il me regarde et il dit vous dit où vous êtes né où? Je dis, je suis né à Bagdad. C’était marqué. Il dit, où ça se trouve Bagdad? J’ai dit, en Irak. Il dit, l’Irak, ça se trouve où? Je dis, en Asie. Alors il me regarde et dit, vous n’êtes pas asiatique. Parce qu’à l’époque, il y avait une loi canadienne qu’on ne pouvait pas admettre plus que 100 asiatiques par année dans tout le Canada, 100 asiatiques.

[01:07:08] Naïm Kattan: 

Une loi, c’était une loi. Alors il me voit, il dit ce qu’on va - j’avais le visa canadien. J’ai mis de temps à l’avoir, mais je l’avais comme immigrant. Alors je le regarde, j’ai dit, ah il veut savoir si j’étais musulman ou juif, etc. J’ai dit, vous savez, je suis né en Irak, mais je suis juif. “Ah! Il fallait le dire! Pour le Canada les Juifs sont des caucasiens, ils ne sont pas asiatiques, ils ne peuvent pas être asiatiques. Vous êtes, vous êtes caucasien!”

[01:07:42] Naïm Kattan: 

Bon, j’ai dit à quel merveilleux pays on accueille les juifs comme juifs. J’ai dit c’est merveilleux. Mais quand je suis descendu des bateaux, il y avait des gens qui donnaient des journaux, il y avait des catholiques qui donnaient Le Devoir et des anglophones qui donnaient le Montreal Star. Alors dans Le Devoir, c’était marqué 5000 chômeurs de plus cette année, non, ce mois-ci, à Montréal.

[01:08:23] Naïm Kattan: 

J’ai dit bon, j’arrive dans un pays où on parle des chômeurs. Je dis, mais comme on me l’a pas donné parce qu’on me demandait, “Est ce que vous êtes catholique ou protestant?” J’ai dit ne suis ni catholique ni protestant, on ne m’a pas donné de journaux. Je suis passé entre les deux.

[01:08:42] Naïm Kattan: 

J’ai dit puisque c’est aux catholiques, on dit qu’il y a des chômeurs, moi, ça ne me regarde pas. Je vais trouver du travail, bon, enfin.

[01:08:51] Interviewer:

Alors, continuez. Comment vous êtes venus de Halifax à Montréal?

[01:08:56] Naïm Kattan:

Je suis venu par train et quand je suis arrivé dans le train, je suis arrivé à huit heures du matin, non à six heures du matin, et on nous gardait dans le train jusqu’à huit heures parce que c’était des immigrants et on ne savait pas où aller. Et à six heures du matin, il n’y avait personne, tout était fermé. Alors à huit heures du matin c’était ouvert. Je suis à la gare centrale de Montréal et… j’ai vu dehors, c’était le 4 février. Il n’y avait plein de neige.

[01:09:33] Naïm Kattan:

Je dis c’est la première fois que je voyais de la neige comme ça. Je devais faire deux téléphones, d’abord pour avoir une chambre. Je voulais avoir - comme je ne connaissais personne et comme j’étais à Bagdad au YMCA j’ai dit il y a un YMCA à Montréal, je vais aller au YMCA.

[01:09:54] Naïm Kattan:

J’ai téléphoné au YMCA. Il a dit, oui, il y aura une chambre, mais il faut venir à midi. On ne peut pas vous admettre avant midi. Alors je devais rester à la gare centrale de huit heures à midi, attendre de pouvoir aller à ma chambre au YMCA rue Drummond. Et mon oncle Menashe à New York m’avait écrit que je pouvais faire un téléphone que je ferais payer par lui pour lui parler. Alors je lui ai téléphoné et il m’a beaucoup encouragé.

[01:10:28] Naïm Kattan:

Il m’a dit, ah bienvenue. J’ai dit, il y a de la neige. Il dit, ah ben t’es jeune, qu’est-ce que - tu as peur de la neige? Bon, j’ai pas eu peur de la neige. Et puis bon, après bon, ça a commencé. Ma vie a commencé.

[01:11:10.21] Interviewer: Puisque vous êtes arrivé en plein hiver, aviez-vous les vêtements?

[01:10:46] Naïm Kattan:

J’avais…des bottes, non. Mais j’ai acheté des bottes, j’ai dù acheter. Non, j’avais de grands souliers, non, non, pas des bottes mais des grands souliers. J’avais ce qu’il fallait. J’étais habillé et on me parlait beaucoup de neige. Et il y avait à l’ambassade du Canada à Paris, il y avait quelqu’un qui me soupçonnait de vouloir passer par le Canada pour aller à New York, parce que celui qui me garantissait de pouvoir me faire vivre si je n’avais aucun sou, c’était mon oncle Menashe de New York.

[01:11:27] Naïm Kattan:

Pourquoi? J’ai dit oui, je ne veux pas aller à New York, je veux aller au Canada. Il ne comprenait pas pourquoi. Et après, il a été échangé [ph] et il m’a obligé d’aller - Je voulais retarder un peu mon voyage. Je voulais aller voir ma famille en Israël. Ce que j’ai fait, d’ailleurs. Et après, je voulais aller, je voulais aller plus tard que février. Il dit, non, non, ça vous ne pouvez pas allonger. Louez, j’ai réservé sur un bateau hollandais pour aller à Montréal et donc à Halifax.

[01:12:07] Naïm Kattan:

Et après, c’était monsieur Dupont qui était celui qui m’accueillait à l’ambassade du Canada. C’était un hôte. Alors lui, il m’a pris on en confiance. Je lui ai dit, est-ce que je dois porter, acheter des vêtements pour jusqu’à… (tout de pieds), mettre des salopettes, etc. Il dit, mais non, vous n’allez pas travailler dans les champs. Vous allez travailler à Montréal. Vous êtes jeune, vous allez travailler à Montréal. Vous avez besoin d’aucun vêtement supplémentaire. Vous êtes très bien comme vous êtes.

[01:13:03] Naïm Kattan:

Et après quand il m’a quitté, il m’a salué. Il dit, je salue mon futur…mon futur pro canadien, mon futur Canadien, un futur Canadien. Alors, il m’a salué comme un frère. J’ai été très impressionné par ça. J’ai dit bon. Mais j’ai eu beaucoup de difficultés la première année, je mangeais une fois par jour.

[01:13:34] Interviewer:

Alors vous êtes arrivé à Montréal, et avez pris votre chambre eu YMCA.

[01:13:40] Naïm Kattan:

Oui, c’était deux dollars et demi, $2.50 par jour. Je n’avais pas beaucoup d’argent. J’avais, je crois que j’avais 400 ou 500 dollars. Et alors j’ai trouvé une chambre rue Du Fort, là, pas loin de la rue Sherbrooke, qui était $7 par semaine. Alors, je suis allé dans une maison de chambres où je payais $7 par semaine.

[01:14:08] Interviewer: Et après vous avez cherché un travail?

[01:14:12] Naïm Kattan:

Je cherchais un travail, alors j’allais chez les Canadiens français. Ils disaient à quelle paroisse vous appartenez? J’ai dit, je suis juif. Oui, mais enfin, vous appartenez bien à une paroisse. Mais puisque vous parlez français… parce que tout ce qui parlait français c’était des catholiques à l’époque. Bon, il n’avait pas de chance avec les…et je suis allé voir les Canadiens anglais. Ils me disaient, allez chez les vôtres. Alors je suis allé voir le Congrès juif et il y avait Saul Hayes [ph] qui m’a reçu.

[01:14:54] Naïm Kattan: Et il était très intéressé par mon parcours en France, ce que j’ai fait pour les juifs irakiens, en France, etc. Ce que c’était les Juifs d’Irak. C’était la première fois qu’il en rencontrait un et il m’a pas donné de travail tout de suite, il m’a donné un travail deux ou trois mois après pour fonder un journal juif. C’est le premier journal juif francophone au Canada que j’ai fondé, un journal mensuel et qui me donnait du travail.

[01:15:33] Naïm Kattan:

Mais la chose qu’il a fait le plus, qui était extraordinaire pour moi, j’étais inconnu, je connaissais personne, j’étais tout seul. Et il me dit où est ce que vous allez passer le seder? C’était le directeur du Congrès juif, hein? Il dit, où est-ce que vous allez passer le seder. J’ai dit, nulle part. Il dit, venez dans ma famille, venez chez moi. J’ai dit bon, voilà, le directeur du Congrès juif m’invite chez lui pour le seder. Bon, mais il a fait son travail du juif.

[01:16:04] Naïm Kattan:

C’était une merveille pour moi et quand j’étais là, c’était évidemment des ashkénaze et il m’a dit, est-ce que vous pouvez chanter les chants des chants de seder comme à Bagdad? Je l’ai fait. [hebreu] et les gens m’écoutaient et les enfants riaient. J’étais différent, j’étais exotique, mais enfin bon, mais les gens m’accueillent quand même.

[01:16:34] Interviewer:

Les seder suivants, quand est-ce que vous avez fait vos rencontres avec d’autres juifs irakiens?

[01:16:43] Naïm Kattan:

Dès le départ il y avait un petit groupe de juifs irakiens à Young Israël. Je suis allé, je les ai rencontrés. Et puis bon, c’était des semi-familles. On m’invitait. Je ne peux pas donner tous les noms de tous ceux qui m’ont invité chez eux. C’était une petite communauté de juifs irakiens encore, et on se voyait.

[01:17:10] Interviewer:

Est-ce que c’’est là que vous avez rencontré Aron Kattan [ph]?

[01:17:13] Naïm Kattan: Aron Kattan [ph], je donnais des cours de français au Young Israël, des cours de français du soir pour gagner un peu plus et Aron Kattan [ph] était un de mes étudiants.

[01:17:26] Interviewer:

Ah vous, vous donniez des cours.

[01:17:28] Naïm Kattan:

Oui, oui.

[01:17:29] Interviewer:

Ok, puis Aron Kattan [ph] [inaudible]

[01:17:32] Naïm Kattan:

Il dirigeait le groupe des juifs de Young Israël qui sont venus après Spanish and Portugese.

[01:17:41] Interviewer:

Est-ce que vous avez connu d’autres familles comme les Laoui, des…

[01:17:45] Naïm Kattan:

Tous, tous, tous. Je les ai connus. Ils m’invitaient chez eux.

[01:17:48] Interviewer: Comment vous les avez rencontrés?

[01:17:51] Naïm Kattan: Mais c’est des juifs irakiens. On allait chez les uns et les autres étaient là. Venez nous voir. Je les voyais tous. C’est rien, c’est simple. C’est tout simple. À l’époque c’était tout simple.

[01:18:04] Interviewer:

Est-ce qu’ils vous ont aidé à trouver un emploi?

[01:18:07] Naïm Kattan:

Il y avait un ami, enfin, quelqu’un que j’ai rencontré qui s’appelle Shaheen [ph], Anouar Shaheen [ph] qui était à la synagogue Spanish and Portugese, son frère Nagi Shaheen [ph]. Il m’a dit, il était importateur à Montréal de biens d’ailleurs. Moi, je cherchais du travail et comme j’avais un travail à mi-temps au Congrès juif, je cherchais d’autre travail. Il me dit, bon, tu peux aller vendre des tissus que j’importe d’Asie, je crois du Japon à l’époque, à des manufacturiers canadiens.

[01:18:58] Naïm Kattan:

Alors j’ai pris les noms. Je suis allé d’un endroit à l’autre et j’ai fait ma première vente à un Libanais qui faisait des jupes, enfin, je ne sais pas quoi et il l’a acheté. Alors là, je gagnais à l’époque, pas 100 dollars ou 200 dollars et j’ai vu que je pouvais continuer comme ça. Mais c’était pas mon avenir, mais quand même Shaheen a été très gentil avec moi pour me trouver du travail. Parce que lui aussi il essayait de gagner bien sa vie.

[01:19:32] Naïm Kattan:

Il a bien fini par gagner sa vie. Il était très proche de la famille…Masherhal [ph]. Sa fille a épousé un Masherhal [ph] d’ailleurs. Je les vois encore aujourd’hui, mais c’était il y a de ça très, très longtemps. Et son grand père, enfin bon.

[01:19:59] Interviewer:

Mais la plupart de ces juifs irakiens étaient plutôt anglophone. Vous étiez francophone.

[01:20:07] Naïm Kattan:

Oui, mais je parlais arabe avec eux. Mais je pouvais parler l’anglais parce que j’ai appris l’anglais déjà à Bagdad et je parlais bien l’anglais quand je suis arrivé ici.

[01:20:17] Interviewer:

Mais puisque vous étiez dans la littérature française et la culture française, est-ce que ça vous a forcé d’établir des contacts avec le milieu francophone?

[01:20:31] Naïm Kattan:

Évidemment, évidemment. C’est le premier milieu avec lequel j’ai eu des contacts. Et j’ai eu des contacts tout de suite avec le journal Le Devoir. Le correspondant du Devoir à Paris, c’était un collègue à moi, pas un collègue, un copain à moi qui était étudiant à Paris, Pierre Degrandpré. Il m’a dit, allez voir Fillion, qui était le directeur. Quand je suis allé voir Fillion le Devoir était dans un état lamentable, financier. Il m’a dit, qu’est-ce que vous êtes venu faire ici? On fait mourir au Québec les intellectuels. Je vous conseille de ne pas rester dans ce pays. Enfin, il était très pessimiste sur l’avenir.

[01:21:15] Naïm Kattan:

Je suis resté. Je suis resté et après quand j’ai fait une conférence au Congrès juif, c’était le cercle juif que je dirigeais. Il y avait David Rohom [ph] qui était à la bibliothèque juive, qui parlait bien le français, qui m’a accueilli très favorablement.

[01:21:46] Naïm Kattan:

Et alors j’ai fait une conférence où je racontais mes rencontres avec des écrivains français comme Gide, Claudel. C’était quelque chose de très nouveau. Quelqu’un qui a connu des écrivains connus en France: André Breton, Gide, Malraux, etc.

[01:22:04] Naïm Kattan:

Alors on m’a interviewé à la radio…par Judith Jasmin, elle m’a interviewé, et c’était René Lévesque qui avait une émission à la radio. René Lévesque à l’époque il avait une émission. Il m’a accueilli à son émission et il m’a accueilli une autre fois parce qu’il y avait Yves Thériault, qui était un écrivain francophone, enfin québécois, qui a écrit le premier livre sur les communautés juives, sur les juifs, il les connaissait pas mais il a fait un roman qui s’appelle Aaron.

[01:22:38] Naïm Kattan:

Je l’ai lu, le roman. Je lui ai dit, appelez - et le père d’Aaron, il l’appelait Jethro. J’ai écrit dans un article dans le journal - c’était pas encore le bulletin [inaudible] c’était le Congress Bulletin - je lui ai dit, il n’y a pas de Jethro juif. Il dit, mais c’est dans la Bible. J’ai dit oui, mais enfin bon, j’ai appelez-le Moshe. Il l’a changé. À la deuxième édition, il dit, c’est grâce à Naïm Kattan que j’ai changé de nom.

[01:23:10] Naïm Kattan:

Mais alors après, René Lévesque m’a invité à parler de ce roman à une émission de radio et c’est la première fois que j’ai gagné 15 dollars pour une émission de radio, grâce à René Lévesque. Et après, évidemment, René Lévesque m’a invité à des tas d’autres émissions à la télévision, etc. J’ai commencé à faire ma vie petit à petit, mais c’était dur au début. Le premier 15 dollars, c’était quelque chose.

[01:23:36] Interviewer:

Mais en même temps, vous êtes devenu un genre d’ambassadeur juifs irakiens.

[01:23:44] Naïm Kattan:

Pas seulement, puisque j’étais au Congrès juif, j’ai travaillé au Congrès juif, j’étais pas juif irakienne seulement, j’étais juif, tout simplement. Et c’était tous les juifs que... je parlais de tous les Juifs quand je parlais. Alors, André-Laurendeau avait une émission qui s’appelait Pays et merveilles à la télévision, où ils choisissaient une ville dans le monde où on racontait. Et j’ai fait une émission sur Bagdad…avec des photos, etc.

[01:24:23] Naïm Kattan:

Et quand, à la fin de l’émission, j’ai parlé des juifs avec lui, il était fasciné comment les juifs ont pu survivre comme communauté pendant 25 siècles en gardant leur communauté et leur culture sans avoir un état. Pour lui, c’était quelque chose que les Canadiens-Français pourraient faire, le cas échéant, mais pas…qu’ils faisaient aussi. Il y avait un rapport entre ce qu’essayaient de faire des Canadiens-Français sans avoir à leur état comme tel, mais en Amérique du Nord, qui était complètement anglophone, et ils arrivaient comme les Juifs de Babylone ont réussi à rester juifs, même si tout, tout était contre eux pendant 25 siècles.

[01:25:14] Naïm Kattan:

Pas contre eux, mais différents. Alors, il était devenu un grand ami à moi et il était rédacteur en chef du Devoir. C’était très bizarre, lui, le nationaliste canadien-français, etc. Il a été député avant et on allait déjeuner ensemble tous les mois, en tête à tête, en parlant de choses et d’autres jours. Un jour je lui ai dit, vous avez un merveilleux journal culturel, etc. Vous ne parlez jamais des écrivains anglophones du Canada et des écrivains anglophones des États-Unis et vous êtes à côté.

[01:25:54] Naïm Kattan:

Il dit, ça vous intéresse? J’ai dit oui. Alors il dit, vous êtes notre chroniqueur. C’est comme ça que j’ai commencé à être chroniqueur au Devoir chaque semaine. C’était la première fois qu’on parlait de Canadiens anglais littéraire et des américains littéraires que j’ai fait. Je suis resté chroniqueur du Devoir pendant 50 ans, chaque semaine. Grâce à ce début, j’ai évidemment réuni, après certains de mes articles, dans des livres sur les écrivains anglophones. Le premier livre sur les écrivains anglophones en français c’était moi qui l’avait écrit.

[01:26:36] Naïm Kattan:

Enfin, et c’est comme ça après, Jean Boucher qui était au ministère de l’immigration, quand il m’a connu, quand je suis devenu Canadien, etc. Quand il cherchait quelque quelqu’un, il était devenu le directeur au Conseil des arts et moi, j’étais à la fois, je connaissais la culture canadienne française et canadienne anglaise. Il dit, venez travailler au Conseil des arts. J’ai dit non, je ne veux pas. À Ottawa, c’est compliqué, etc.

[01:27:14] Naïm Kattan:

Et c’est cette année-là que j’ai appris que ma femme était enceinte et que je devais être père. C’était en ’67. Alors j’ai dit, je ne peux pas être père sans avoir un emploi régulier et bien. Et le Conseil des arts m’offrait un emploi régulier et bien mais c’était à Ottawa. Et pendant 25 ans je faisais l’aller-retour Ottawa-Montréal, mais j’étais après devenu directeur du Conseil des arts. J’ai fait beaucoup de choses au Conseil des arts et j’ai écrit des livres là-dessus, etc.

[01:27:56] Interviewer:

Mais en quelle année êtes-vous mariés la première fois?

[01:28:01] Naïm Kattan: 

En ’61.

[01:28:02] Interviewer:

Et votre fils est né…

[01:28:04] Naïm Kattan:

En ’68.

[01:28:06] Interviewer:

Combien d’enfants avez-vous eu?

[01:28:09] Naïm Kattan:

Un seul et unique.

[01:28:12] Interviewer: 

Est-ce qu’il habite…

[01:28:13] Naïm Kattan:

Il habite New York maintenant et on a fait un livre récemment, ensemble, où il me fait parler de moi même de ce que je fais. Il est écrivain lui aussi. Il est maintenant directeur à l’Université Columbia, à New York, des relations de Columbia avec la France. Et là, elle a été boursier Rhodes. Il a fait trois ans à Oxford. C’est quelqu’un de très brillant.

[01:28:44] Interviewer:

Vous avez un contact avec plusieurs cultures, la culture juive d’Irak, Bagdad, la culture musulmane et arabe, même après Paris, la culture française à Paris et la culture française ici. Quelles sont vos réflexions, si vous regardez en arrière, du point de vue identité? Qu’est-ce que vous retenez maintenant quand vous faites un retour sur votre vie? Quelles sont vos réflexions?

[01:29:22] Naïm Kattan:

Oui, moi je dis que les cultures ne s’affrontent pas, mais se complètent et se composent par rapport l’une à l’autre. Qu’on peut être à la fois francophone et admirer la culture, comme je le fais, américaine et anglophone. J’ai appris aussi plusieurs autres langues. J’ai appris le hollandais. J’ai appris l’italien. J’ai appris le portugais. J’ai écrit beaucoup sur la culture Sud-Américain, j’écris beaucoup sur la culture italienne. Toutes les cultures s’enchainent.

[01:30:03] Naïm Kattan:

Mais il faut avoir un point de départ et savoir qu’on est partis de quelque part et que tout le reste s’enchaîne après, vient à l’un après l’autre. Mais l’un n’empêche pas l’autre. Mais bon, alors moi, la base, c’était d’être juif de Bagdad. Après, je suis francophone, j’écris en français, je peux écrire en anglais, mais pas des romans, j’écris des articles ou j’ai travaillé au Conseil des arts. Je faisais tout mon travail aussi en anglais, mais je suis écrivain francophone.

[01:30:43] Naïm Kattan:

Il faut être quelque part. Il faut avoir un fond, un endroit où on s’installe. Alors j’essaie de m’installer dans la culture francophone, dans le monde. Et heureusement, les Québécois m’ont reconnu et ils m’ont donné des prix. La France m’a reconnue, m’a donné des prix. La Belgique m’a reconnue, m’a donné des prix. Bon, mais je suis francophone, mais j’ai écrit sur Bagdad.

[01:31:18] Naïm Kattan:

Mais Bagdad m’a ouvert le monde. Mais je ne suis pas restée à Bagdad. J’ai écrit mon livre de Bagdad, mais après j’ai fait deux livres qui se passent à Bagdad mais après, j’ai fait des tas d’autres choses.

[01:31:31] Interviewer:

Donc votre point de départ c’est vraiment être juif de Bagdad.

[01:31:35] Naïm Kattan:

Absolument.

[01:31:37] Interviewer: Si on regarde vers l’avenir, quand votre fils, par exemple et peut-être ses enfants à lui, pensez-vous que ça se transmettrait? Est-ce qu’il resterait quelque chose de cette richesse culturelle?

[01:31:55] Naïm Kattan:

Je vais raconter quelque chose qui est incroyable. Emmanuel, mon fils, est allé pour ses Rhodes à Oxford en philosophie. Il a fait d’abord philosophie à l’Université de Montréal. Il a fait sa thèse de maîtrise ici et après, il est allé à Londres comme boursier Rhodes. Il faisait philosophie. Et qui il rencontre comme étudiant en philosophie? Une juive, irakienne d’origine, mais qui est née à Paris de parents irakiens et qui faisait philosophie.

[01:32:33] Interviewer:

Vous vous rappelez de son nom?

[01:32:35] Naïm Kattan:

Ben oui, c’est devenu ma belle-fille. [Rit]

[01:32:40] Interviewer:

Alors son nom c’était?

[01:32:43] Naïm Kattan:

Valérie Monshie [ph]. [Inaudible], ils ont changé leurs noms, etc. à Paris. Elle faisait aussi philosophie bon, ils sont mariés, ils ont deux enfants. Mes petits enfants sont trois-quarts irakiens.

[01:33:04] Interviewer:

Et un quart…

[01:33:05] Naïm Kattan: 

Un quart québécois, parce que ma première femme était Québécois. Mais alors, c’était incroyable que mon fils à Londres… J’ai dit, comment une juive irakienne fait de la philosophie à Oxford. C’est invraisemblable. Oui, il y en avait une et il l’a rencontrée et l’a épousée. Quand je l’ai rencontrée la première fois, ils n’étaient pas mariés évidement, ils étaient copains, etc.

[01:33:36] Naïm Kattan: 

Je les ai invités à Londres à un restaurant libanais. On était tellement bien. Elle m’a adoré aussi. Enfin, bon, c’est ma belle-fille. Ça fait de ça 25 ans, plus de 25 ans, ils viennent de célébrer leur 25e anniversaire. Alors après elle était tellement triste que je parte si vite. Emmanuel m’a dit, oui, je l’aime, Valérie. Je vais l’épouser, mais je ne veux pas que je sois ton influence à toi, parce que tu l’as aimée. J’ai dit non, mais c’est toi qui l’aime, qui qui est avec elle. Enfin bon. Jusqu’à maintenant, ils ont fait deux enfants.

[01:34:31] Interviewer:

Dernière question: est-ce que - parce que vous étiez en révolte contre le judaïsme sérieux en Irak. Parce que après votre expérience vous avez dit de vous étiez plus incliné vers la laïcité.

[01:34:52] Naïm Kattan:

Oui. La gauche mettons.

[01:34:57] Interviewer:

Est-ce ce que votre fils est dans ça aussi?

[01:34:59] Naïm Kattan:

Mon fils a fait la bar-mitzvah à cette synagogue. C’est le rabbin Joseph qui a célébré sa bar-mitzvah. Et comme il était de mère non-juive, il l’a fait convertir et c’était une merveille. Le rabbin Joseph était une merveille pour moi et pour mon fils. Et dès que mon fils, et il est vrai qu’il était libre, mon fils était allé à l’école Maïmonide. Il a appris le judaïsme à l’école Maïmonide. Il connaît l’hébreu à cause de ses études et il était plus juif que moi-même. Il mangeait kasher et mange toujours kasher, d’ailleurs.

[01:35:38] Naïm Kattan: 

Quand il était bar-mitzvah, on commençait à venir chaque samedi à la synagogue et je n’ai pas arrêté depuis. Alors c’est grâce au rabbin Joseph, enfin non, grâce à mon fils et à moi-même, enfin je voulais qu’il soit juif, qu’il aille à l’école juive et il a accepté. Je lui dis, tu peux devenir de ce que tu veux, c’est à toi de choisir. Il a choisi - il est juif enfin bon.

[01:36:11] Naïm Kattan:

Et ses enfants sont juifs aussi, ils mangent kasher à la maison.

[01:36:19] Interviewer:

Là vous êtes…

[01:36:21] Naïm Kattan:

Et il est associé à communauté irakienne par sa femme partout à New York ou à Londres. Ces juifs irakiens qu’il rencontre aussi à Londres et à New York.

[01:36:32] Interviewer:

Là, maintenant, vous faites la navette entre Montréal et Paris?

[01:36:38] Naïm Kattan: Oui.

[01:36:39] Interviewer:

J’aurais une dernière question. Quel message aimeriez-vous…

[01:36:45] Naïm Kattan:

Ma femme maintenant, Annie Goldman et juive de Tunis. Alors elle ne parle pas arabe, mais elle est séfarade aussi. Mais elle est tout aussi juive que moi.

[01:37:04] Interviewer:

Alors ensemble, quel serait le message que vous aimeriez donner aux personnes qui vont écouter votre entrevue aujourd’hui? Est-ce que vous aurez un message en particulier à transmettre?

[01:37:19] Naïm Kattan:

Le message à transmettre, c’est d’appartenir à la culture qui est notre fondation. C’est à dire si on est de culture francophone québécoise, il vaut mieux garder cela et devenir quelque chose [inaudible]. Mais en se libérant et en allant vers le monde. À partir d’une culture, on peut aller vers le monde. Mais il faut avoir une culture à soi pour aller vers d’autres.

[01:37:50] Naïm Kattan:

Et moi, avec ma femme, avec Annie, ma vie juive et une ouverture au monde et un intérêt dans le monde et ce qui est le monde. Et nos enfants, elle et moi, sont des enfants qui se connaissent, qui sont bien. Et notre avenir, on ne sait pas, le nôtre et déjà fait, enfin, on est assez âgés, mais nos enfants, on voit le monde qui est difficile, compliqué. Mais il faut avoir une foi dans l’avenir, une foi en soi et être généreux avec ceux qui nous entourent.

[01:38:35] Naïm Kattan:

Honnête et généreux avec ceux qui nous entourent, c’est tout ce que je peux dire. C’est banal ce que je dis, mais être soi même, appartenir à sa propre culture et être ouvert à toutes les cultures du monde.

[01:38:49] Interviewer: Merci beaucoup. C’est une richesse inouïe ce que vous venez de nous communiquer. Je suis sûr que tous ceux qui vont écouter cette entrevue aujourd’hui vont apprécier énormément la richesse que vous y avez amené.

[01:39:05] Naïm Kattan:

 Merci.

[01:39:06] Interviewer: 

Merci infiniment.

[01:39:07] Naïm Kattan:

C’est à moi de vous remercier.

[01:39:09] Interviewer: Merci beaucoup.