Transcription par: Marika Lapointe
Date de l’entretien: Inconnu
Intervieweuse: Inconnu
Lieu: Inconnu
Durée: 01:17:31
Henri Ouaknine est né à Casablanca au Maroc le 29 octobre, 1947. Déménage au Canada le 12 septembre 1966.
[00:00:19] Intervieweuse: Quel est votre nom?
Henri Ouaknine [00:00:20]:
Alors mon nom c’est Henri Ouaknine et je suis né à Casablanca, au Maroc, le 29 octobre, 1947. Donc j’ai 74 ans.
[00:00:33] Intervieweuse: Pouvez-vous nous dire quelque chose à propos des origines de votre famille?
Intervieweuse [00:00:38]:
Les origines…alors les origines de ma famille, du côté de ma mère d’origine espagnole, parce que sa famille, probablement, venait d’Espagne. Et quand il y a eu l’Inquisition, ils ont été refoulés vers le Maroc. Et alors, donc l’origine du côté de ma mère, c’était le nord du Maroc qui, à l’époque, était espagnol. Et du côté de mon père, eh bien mon père était marocain, ok? Mais comme je le disais là, Ouaknine c’est, quand on a fait des recherches, c’est d’origine berbère. Donc nous sommes des Juifs berbères.
Intervieweuse [00:01:21]:
C’est très intéressant. C’est très peu connu cette relation entre berbères et juifs.
Henri Ouaknine [00:01:27]:
Mais moi, avec un nom comme Ouaknine, qui n’est quand-même pas une, je pensais qu’on était d’origine russe. Je me suis dit que russes, qu’est-ce qu’on est venu foutre au Maroc? C’est loin. Et c’est après que c’est quelqu’un de ma famille qui a fait des recherches au musée de Yad Vashem à Jérusalem, qui a trouvé que c’était un nom qui est d’origine, qui est d’origine berbère.
Intervieweuse [00:01:55]:
Berbère.
Henri Ouaknine [00:01:55]:
Donc il y avait. Il y a d’ailleurs, d’ailleurs, comme je l’ai précisé, il y avait, il y avait des benchekroun, par exemple des benchekroun qui étaient musulmans, il y avait des benchekroun juifs, il y avait même des cohen. C’était, je me rappelle, c’était des cohen-scali, qui étaient musulmans, et il y en avait qui étaient qui étaient juifs.
Intervieweuse [00:02:19]:
On a bien commencé parce que, est-ce que vous pouvez nous dire plus de vos grands-parents? Est-ce que vous avez des anecdotes? Est-ce que vous avez connu vos grands-parents?
Henri Ouaknine [00:02:30]:
Malheureusement non. J’en ai connu aucun. Je crois que du côté de mon père, je crois qu’il était décédé bien avant. Du côté de ma mère, je crois qu’il est décédé l’année où je suis née, en 1947 et il est mort d’un froid. Il avait attrapé froid et c’était pendant la guerre. Il n’y avait pas de pénicilline à l’époque et tout ça. Et je ne l’ai pas connu, mais je sais que c’est un grand homme d’affaires. D’ailleurs, ma grand-mère vivait dans une très grande maison. Ils étaient huit enfants. Mais il y a une anecdote, tiens, j’ai une anecdote pour…C’est pas très très - quand je raconte ça, les gens ils sont un peu choqués, mais c’est la réalité, ok. [00:03:23] Mon grand-père avait acheté une femme pour aider sa femme, comme, on pourrait dire une esclave. Il l’avait achetée d’accord? Mais par la suite, cette femme, elle est devenue membre de la famille. Elle était comme ma tante, elle était comme ma tante et elle a vécu toute sa vie avec ma grand-mère, ok? Et quand elle est décédée, ils ont ramené son corps au Maroc pour qu’elle soit décédée, pour qu’elle soit enterrée là-bas. Et c’est quelque chose de dire, “Mon grand-père, il a acheté un être humain.” C’est pas… mais c’est une anecdote. Mais cette femme, elle a été comme ma tante toute sa vie. C’était…et avec ma grand-mère, ils parlaient en espagnol. C’est pour ça que quand je vais en Espagne aujourd’hui, je me débrouille bien en espagnol parce que d’abord j’ai appris un petit peu à l’école, et puis aussi parce que je l’entendais, je l’entendais tout le temps avec ma mère et sa maman.
Intervieweuse [00:04:36]:
Donc vos grands-parents sont partis.
Henri Ouaknine [00:04:38]:
Du côté de mon père, du côté de mon père, tout ce que je sais, tout ce que je sais, c’est que mon père, mon grand-père était armurier, il vendait des armes et je crois que, je crois que c’était pour la chasse, ok? Et c’est tout ce que je sais. C’est pas grand-chose, mais là aussi, dans la famille de mon père, ils étaient aussi huit enfants aussi.
Intervieweuse [00:05:07]:
Mais quand ils sont morts, ils sont morts où, dans quel pays?
Henri Ouaknine [00:05:12]:
Alors ma, mes grands-parents paternels sont morts au Maroc. Ils sont enterrés au Maroc. Ils sont morts là-bas. Du côté de ma mère son père est décédé au Maroc. Mais sa mère est décédée en France. Elle est enterrée à Paris.
Intervieweuse [00:05:34]:
Ok, alors là, on vient à vos parents. Où est-ce qu’ils sont nés? Où est-ce qu’ils ont grandi? Et où est-ce que…
Henri Ouaknine [00:05:44]:
Mes parents sont nés tous les deux à Casablanca et ma mère était l’aînée de sa famille. Elle était l’aînée alors donc elle était la première qui s’est mariée. Et mon père, lui, travaillait pour une grosse compagnie française, ok, qui était partout en Afrique du Nord. Ça s’appelait les Moulins du Maghreb. Et puis mon père, il était l’un des cadres. Son métier, c’était lui qui était en charge d’acheter les récoltes, d’acheter les récoltes pour la minoterie, là où on faisait la farine, ok? Et mon grand-père, c’était un dandy. Il aimait, il aimait la belle vie. Il aimait bien manger et il était…il prenait ça de ses collègues français, parce qu’il travaillait beaucoup avec des Français. Ses collègues étaient français. Et à cette époque, les Français qui géraient le Maroc, c’était eux qui géraient le Maroc. Il n’y avait pas encore de gouvernement marocain vraiment marocain. À mon époque, ça n’existait pas encore et…qu’est-ce que je voulais dire? J’ai oublié.
Intervieweuse [00:07:07]:
Donc il y avait beaucoup d’affinités avec les …
Henri Ouaknine [00:07:10]:
Oui, oui, c’est ça. Alors ce que je disais, c’était que mon père, il aimait bien manger, il aimait la bonne chair [ph]. Mes parents avaient l’habitude, en été, de partir pendant trois mois. C’était mes sœurs qui prenaient soin de mon frère et moi, mon plus jeune frère et moi. Et euh…
Intervieweuse [00:07:31]:
Mais ils partaient où?
Henri Ouaknine [00:07:33]:
Ils partaient en voyage?
Intervieweuse [00:07:36]:
Où?
Henri Ouaknine [00:07:36]:
En Europe. Même ils sont partis, une fois, ils sont allés, ils sont même allés en Israël parce qu’on avait de la famille là-bas. Alors, mon père était allé voir si peut-être quelque chose de ça, mais c’était il y a très longtemps. C’était encore, en Israël c’était pas… parce qu’il a, mon père il avait un, ils étaient sept frères dans la famille de mon père. Ils étaient sept frères et une sœur. Et ils adoraient cette sœur. C’était la seule. Ils adoraient cette sœur. Mais ce que j’ai entendu, les histoires de famille, tout ça, c’était qu’il y avait un des frères qui était qui était joueur, qui était joueur, ok? Gambling. [00:08:21] Et il avait amassé des dettes, des dettes de jeu. Et à ce moment-là, l’État d’Israël venait d’être créé. Alors, les frères, ils ont pris, ils ont pris le frère, sa famille, et ils les ont envoyés en Israël. Ils sont arrivés là-bas. C’était 1949 ou 1950, ok? Il n’y avait pas grand-chose, ok. Et ils ont vécu sous des tentes et puis, par après, ils ont construit leur propre maison, doucement, doucement. Et alors, ça, c’était du côté de mon père, la branche israélienne.
Intervieweuse [00:08:58]:
Est-ce que c’est-ce qu’on appelait ma’abarot? Les tantes, les tantes, on les appelait les ma’abarot. C’est à dire lieu de passage, parce que tous les immigrés arrivés là-bas, mais il n’y avait pas de maison pour les…
Henri Ouaknine [00:09:14]:
Non, c’était pas…
Intervieweuse [00:09:15]:
Ils accommodaient.
Intervieweuse [00:09:17]:
C’était pas comme les Irakiens en ’70. C’était déjà…
Intervieweuse [00:09:22]:
Non, la plupart des Irakiens sont arrivés en même temps, en 1950.
Henri Ouaknine [00:09:25]:
Ah oui? Ah ok, ok, ok, ok.
Intervieweuse [00:09:27]:
Il y avait à peu près 150 000 qui sont partis de l’Irak en 1950 et ils ont vécu sous les tentes.
Intervieweuse [00:09:39]:
Mais, alors mon père, comme je le disais, il aimait, il aimait la belle vie, la bonne vie, les voyages. Bon, il avait un bon métier. Je me rappelle, on habitait dans un immeuble ok, et puis il y avait quelques garages pour mettre sa voiture, mais il y en avait que peut être trois ou quatre. Et l’immeuble il y avait, il y avait peut-être 80 appartements, mais mon père il avait le garage. Et il y avait un épicier, il y avait un épicier en bas de l’immeuble. D’ailleurs cet immeuble, je l’ai dans mon truc, je l’ai trouvé sur Google Maps. Oui je l’ai. Et il y avait un épicier en bas et l’épicier vendait des cartes postales, ok? Et sur les cartes postales il y avait des photos du port de Casablanca. Et moi j’étais gamin, je savais que mon père, il allait souvent au port, parce qu’on recevait du blé du Canada. C’est tout ce que je savais du Canada, moi, à l’époque, qu’il y avait beaucoup de blé. [00:10:41] Et alors, mon père, il allait quand les bateaux arrivaient, il aller inspecter le blé, s’il était de bonne qualité, si tout était bien, ok. Et alors, moi, je disais à mes copains, j’étais tout jeune, j’avais huit ans ou dix ans, je disais mes copains, mon père, tous ces bateaux, ça lui appartient. Alors c’est comme l’histoire, parce que moi j’étais très….quand j’étais jeune, j’avais la diphtérie, ok? Alors j’étais maigre, maigre, maigre, maigre. Alors mes parents m’amenaient souvent en voyage avec eux. Ils m’emmenaient chez le médecin et le médecin disait, “Non, écoutez, foutez lui la paix, il n’a rien du tout, il a rien du tout, tout ça.” Et alors, comme ça, j’ai eu la chance de beaucoup voyager avec mes parents ouais. [00:11:32] Et un jour ils m’ont envoyé avec ma sœur et on est allé, je me rappelle, on était allés à Vichy, ok? Et puis après on était allés en Italie, parce que j’avais de la famille à Milan. Et alors à Vichy, elle m’a amené chez un médecin et le médecin encore, il lui a dit, “Non, votre frère il a rien. Il est très bien, laissez le tranquille.” Et puis regarde ma sœur et il dit, “Par contre, vous, vous devez maigrir.” Parce qu’elle était…. Alors, mon père, pour revenir, j’ai pas fini. Oui. Alors il allait à la chasse. On n’a jamais vu un Juif aller à la chasse, ça n’existe pas. Il allait à la chasse, il revenait avec des perdrix, des trucs comme ça. Et il était, et il allait avec ses collègues français à la chasse.
Intervieweuse [00:12:28]:
Mais ça, c’était en dehors de la ville? Où est-ce qu’il allait à la chasse?
Henri Ouaknine [00:12:34]:
Ah oui, bien sûr, c’était en dehors de la ville. Mon père aussi, Il aimait beaucoup la campagne, ce qu’il m’a légué à moi parce que j’adore la campagne. Et il avait. Il paraît qu’il avait eu deux fermes à un moment donné. Il avait deux fermes, ok? Et moi, je n’en ai connu que une, que une. Peut-être qu’il avait vendu l’autre. Et alors on allait tous les dimanches, tous les dimanches à la ferme pour ramener le lait, pour ramener le lait là-bas. Alors il y avait, c’était, la ferme était gérée par des employés qu’il avait là-bas, et c’est eux qui s’occupaient de la ferme. Il y avait des, il y avait des vaches. Il y avait le, il y avait le mâle qui était impressionnant.
Intervieweuse [00:13:30]:
Le taureau.
Henri Ouaknine [00:13:30]:
Le taureau était impressionnant et il y avait, il y avait même une piscine. Il y avait même une piscine et tout. C’était, ah les souvenirs. C’était pas loin de Casablanca, peut-être 40 minutes de route.
Intervieweuse [00:13:44]:
C’est de beaux souvenirs que vous avez de votre père. Parlez-nous un peu de votre mère. Où elle est née?
Henri Ouaknine [00:13:53]:
Alors comme je l’ai dit, ma mère, elle est née à Casablanca. Comme j’ai dit, sa famille était d’origine espagnole, alors ça parlait l’espagnol, beaucoup dans la famille.
Intervieweuse [00:14:08]:
À quel âge est-ce qu’elle s’est mariée?
Henri Ouaknine [00:14:13]:
Je ne sais pas. Elle devait avoir, à cette époque ils se mariaient jeunes. Elle devait avoir peut-être 20 ans, pas plus.
Intervieweuse [00:14:22]:
Est-ce qu’il y avait un grand écart d’âge avec…
Henri Ouaknine [00:14:25]:
Cinq ans.
Intervieweuse [00:14:26]:
Cinq ans?
Henri Ouaknine [00:14:27]:
Cinq ans. C’est pas énorme.
Intervieweuse [00:14:29]:
Non.
Henri Ouaknine [00:14:30]:
Pour l’époque.
Intervieweuse [00:14:32]:
Oui, oui, oui.
Henri Ouaknine [00:14:34]:
Mais…non et puis non, mon père avait un bon métier, il gagnait bien sa vie. Ils avaient cinq enfants. Je crois qu’on aurait pu avoir plus… j’ai entendu que ma mère a eu plusieurs, a perdu plusieurs enfants, Elle a eu plusieurs fausses couches et on aurait eu, on aurait pu être plus nombreux. Et alors elle s’occupait de la maison, s’occupait de la maison. Il ne faut pas oublier au Maroc tout fermait à Casablanca. Tout fermait entre midi et deux heures. Il y avait, il y avait une espèce de sirène comme, comme une alarme, une espèce de sirène. Et puis ça, ça voulait dire qu’il était midi et tout fermait. Tout, tout, tout, tout fermé. Le silence. Et puis les commerces ouvraient à deux heures, alors il fallait qu’elle fasse le repas du midi. Alors là, il y avait le petit déjeuner, le repas du midi, le soir. [00:15:39] Ok, donc elle était occupée. Et en général elle finissait vers trois heures comme ça. Ok, alors là, elle s’habillait très chic. Elle était toujours très, très chic. C’est une très belle femme. Et puis elle allait, elle allait soi-disant faire du shopping. Elle n’achetait jamais rien. Elle allait faire du shopping et puis elle allait… plus tard, après, quand mon père est tombé malade et qu’il a dû quitter son travail et ça, alors elle rejoignait son commerce et ils revenaient ensemble, ou avec moi des fois.
Intervieweuse [00:16:22]:
Du côté de vie sociale, votre mère était très belle, chic. Est-ce qu’il y avait une vie sociale, des invitations, des clubs?
Henri Ouaknine [00:16:32]:
Bien sûr. Ils avaient des amis, Ils avaient de très, de très bons amis. Et tous les samedi soir, on était très nombreux à la maison. Il y avait beaucoup d’amis qui venaient des amis à eux, des amis à nous, ça et puis c’était café au lait, café au lait, fromage et tout ça, ce genre de trucs. Et non, mon père recevait. Je me rappelle aussi mon père, il recevait des copains à lui et puis le dimanche, ok, ils jouaient aux cartes, ils jouaient au rami. Et alors, il fallait que ma mère prépare les trucs, leur servir le café, toutes sortes de trucs. Et ça, ils faisaient ça et ils allaient, ils allaient au cinéma et ils allaient au théâtre. Je ne pense pas qu’ils faisaient partie de clubs et de trucs comme ça.
Intervieweuse [00:17:40]:
Est-ce qu’il y avait une synagogue qu’ils fréquentaient?
Henri Ouaknine [00:17:43]:
Oui, oui, bien sûr. Mon père était, il avait sa place à la synagogue. D’ailleurs, il avait hérité de la place de son, de son beau-père, c’est à dire le père de ma mère. Il avait hérité de cette place. La synagogue, elle s’appelait la synagogue Benaroch, je m’en souviens et ce n’était pas loin de là où on habitait. C’est pas loin. Et puis le samedi, je ne sais pas si vous faites ça en Irak, on faisait, on faisait la dafina, ce que les Ashkénazes appellent cholent. Et alors on faisait ça. Alors il fallait, il fallait amener la casserole dans un endroit spécial, dans un endroit où il y avait un four, où habituellement ils font le pain. Il fallait amener la casserole là-bas et puis aller la chercher le samedi. [00:18:34] On l’amenait le vendredi et on allait la chercher le samedi. Ok, alors on avait un numéro, un bout de papier et puis ils mettaient le numéro sur la casserole et moi ils m’ont envoyé chercher la casserole. Et moi j’aimais pas ça. Parce que c’est pas cool de me promener avec une casserole. Ah non, non, on va chercher la casserole. Alors vous savez, c’est quelque chose qui a cuit toute la nuit. Alors après ça, il faut faire la sieste, il faut faire la sieste. Alors moi j’allais dans un lycée français où j’avais école le samedi, j’avais école le samedi. Et puis il y a eu une année où le samedi après-midi, j’avais gym, gym. Alors après la dafina, il fallait, il fallait que j’aille courir. Ou alors quand le temps, quand le temps était au beau, on avait la piscine, On faisait natation aussi. Ok, alors après la dafina, plonge.
Intervieweuse [00:19:41]:
Et les grandes fêtes, est-ce que c’était célébré?
Henri Ouaknine [00:19:44]:
Oui. Oui, Oui, oui.
Intervieweuse [00:19:45]:
Pâques.
Henri Ouaknine [00:19:47]:
Mon père, mon père il rentrait le, il rentrait le vendredi tôt. Et puis il avait toujours sa routine et il prenait, il prenait son bain ou sa douche. Et puis je me rappelle, il mettait, il mettait un peignoir, ok, et puis il allait dans son fauteuil, dans un coin, et puis il faisait ses prières. Il faisait la prière à la maison. Et puis après on avait le repas familial du shabbat. Et donc on avait quand même une vie bien, bien, bien, bien réglée. Mais on faisait, mon père n’a jamais été extrêmement religieux, mais il respectait les fêtes principales, tout ça. Mais il faisait sa prière tous les vendredis soirs.
Intervieweuse [00:20:49]:
Et vous, est-ce que vous avez appris l’hébreu à l’école, les prières à l’école?
Henri Ouaknine [00:20:54]:
Non, pas à l’école. Moi j’ai eu une vie un petit peu…à un moment donné, à un moment donné, j’ai dû passer d’un lycée français à une école juive où j’étais dispensé d’hébreu parce que j’étais en retard au lycée. On n’apprenait pas l’hébreu et… ça, c’est par après.
Intervieweuse [00:21:16]:
Mais c’est toujours à Casablanca.
Henri Ouaknine [00:21:18]:
À Casablanca. Oui, oui, toujours à Casablanca.
Intervieweuse [00:21:21]:
Quelle était la langue que vous parliez à la maison?
Henri Ouaknine [00:21:24]:
Le français.
Intervieweuse [00:21:25]:
Le français?
Henri Ouaknine [00:21:28]:
Nous on parlait le français. Mes parents entre eux, ils parlaient l’arabe.
Intervieweuse [00:21:32]:
Est-ce que c’était un dialecte marocain ou…
Henri Ouaknine [00:21:36]:
Bien, l’arabe… Enfin, à cette époque, je ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui, mais je pense qu’il parle toujours le même truc, c’est un arabe dialectal.
Intervieweuse [00:21:44]:
Dialectal.
Henri Ouaknine [00:21:45]:
C’est un arabe dialectal, c’est un dialecte, c’est pas, c’est pas l’arabe qui se parle au Moyen Orient.
Intervieweuse [00:21:51]:
Ok.
Henri Ouaknine [00:21:51]:
C’est pas l’arabe qu’on parle en Égypte. Mais ça, ils l’apprennent à l’école aujourd’hui.
Intervieweuse [00:21:56]:
Ok, mais vous, vous l’avez pas appris à l’école?
Henri Ouaknine [00:21:59]:
Non, non, non, parce que j’allais, à cette époque-là, tout le système éducatif était français à mon époque. Mais il y avait l’Alliance israélite. Alors l’Alliance israélite, ils étaient partout. Ok, alors à un moment donné, j’ai eu un petit problème au lycée et j’ai été à l’Alliance, à l’Alliance israélite. Mais là, c’est-ce qui est drôle, c’est que, c’est qu’ils avaient de l’avance. À l’Alliance israélite, ils avaient de l’avance parce qu’il y avait l’hébreu, mais il y avait l’arabe aussi. Il y avait l’arabe aussi, alors qu’au lycée ils avaient mis l’arabe que quelques années après. Aujourd’hui, le système éducatif c’est fini, il est totalement marocain et juste en arabe et tout ça. Mais à mon époque c’était français.
Intervieweuse [00:22:53]:
Est-ce que c’était des écoles mixtes garçons-filles?
Henri Ouaknine [00:22:56]:
Non. L’école, l’école juive, oui. C’était bien d’ailleurs, l’école juive, l’Alliance, c’était mixte, Mais, non, quand j’étais dans les écoles du système français, à l’école élémentaire, c’était pas mixte, ni le lycée, c’était pas, c’était pas mixte. Il y avait, il y avait le lycée pour garçons et il y avait le lycée pour filles.
Intervieweuse [00:23:28]:
Est-ce qu’il y avait des messages qui étaient véhiculés au lycée comparé à l’Alliance israélite? Est-ce que c’était très différent du points de valeurs?
Henri Ouaknine [00:23:42]:
À cette époque, au lycée, au lycée français, il y avait surtout, c’était surtout des Français et des Juifs. J’ai une photo d’ailleurs de où je suis allé à l’école élémentaire, ok? Et puis dans la photo, il y a un seul arabe, un seul. Ils avaient leurs propres école. C’était peut-être des madrassas, des écoles religieuses, tout ça à cette époque. Mais il y avait quelques, quelques Arabes qui venaient de familles déjà, de grandes familles mais il n’y en avait pas beaucoup. Il n’y en avait pas beaucoup. Je regardais l’autre jour cette photo avec ma femme. J’ai dit, “Tu vois, ici, voilà, ça c’était le seul Arabe qu’il y avait dans la classe.” On est 40. C’était le seul. C’était juste Juif et les Français. [00:24:40] Et mon père, j’ai entendu est allé à l’école française, ok, en cachette de son père. Parce qu’en principe, il aurait dû aller à l’école religieuse. Il aurait dû aller dans une école juive religieuse, pas l’Alliance, une école plus orthodoxe. Mais il savait que pour leur avenir, c’était mieux d’aller à l’école… d’ailleurs. D’ailleurs, les compagnies françaises préféraient engager des Juifs parce qu’ils savaient qu’ils n’allaient pas avoir de problèmes avec eux. Parce que déjà à cette époque-là ont commençait, il y avait des partis révolutionnaires qui voulaient, qui voulaient que l’indépendance du Maroc et tout ça. Alors, c’est pour ça.
Intervieweuse [00:25:32]:
Est-ce que vous pratiquez des sports à l’école?
Henri Ouaknine [00:25:37]:
Pratiquer….
Intervieweuse [00:25:37]:
Des sports.
Henri Ouaknine [00:25:38]:
Ah, à l’école au Maroc?
Intervieweuse [00:25:40]:
Oui.
Henri Ouaknine [00:25:40]:
Oui, oui, bien sûr, Oui, oui, bien sûr on avait du sport. Ouais, plus, plus qu’ici.
Intervieweuse [00:25:46]:
Plus qu’ici.
Henri Ouaknine [00:25:47]:
Oui.
Intervieweuse [00:25:47]:
C’est à dire? Quel genre de sport?
Henri Ouaknine [00:25:49]:
De l’athlétisme? Beaucoup, beaucoup d’athlétisme, natation.
Intervieweuse [00:25:53]:
Natation.
Henri Ouaknine [00:25:54]:
Oui, oui, on avait, on avait trois, quatre heures gym par semaine.
Intervieweuse [00:26:00]:
Ok. C’est bon. Le quartier où vous habitiez, est-ce que c’était juif ou non-juif ou…
Intervieweuse [00:26:08]:
Non, non. C’était un quartier, un quartier résidentiel, ok, où il y avait surtout des Juifs et des Français, ok. Et il y avait un petit truc aussi, c’est sympa. C’est que nos voisins à côté, c’était une famille Arabe, ok? Et cette famille-là, c’était le père, le papa de cette famille, il était le cuisinier de l’appartement à côté de… Ok, c’était, le monsieur c’était un grand avocat français, ok, et il était le cuisinier. Mais nous on était voisins avec la famille du cuisinier et moi j’étais copain avec le fils qui avait mon âge, Abdelatif. Il s’appelait Abdelatif. [00:27:12] Et on a grandi, j’ai grandi dans cet immeuble où on était toutes sortes, on était toute une bande. Il ne faut pas oublier au Maroc, on était tout le temps dehors, on était tout le temps, tout le temps dehors, le climat hein? Et on était toute une bande. On était Français, Juifs, Arabes et on faisait des sports, on s’amusait ensemble et tout. C’était fantastique. Et puis je connaissais la maman. Alors évidemment, je le voyais, il avait une sœur, on était copains avec, j’étais copain avec la sœur, avec le fils Abdelatif. Et puis je connaissais la maman et Alkia elle s’appelait. L’Alkia. Et puis un jour, je vois une jeune femme, je vois une jeune femme qui apparaît. Je me dis que ça doit être une cousine qui vient du village. Ça se faisait beaucoup là-bas, ok. [00:28:14] Et puis je me suis dit, bon alors elle reste une semaine, deux semaines, un mois, deux mois, elle ne part pas? Alors un jour, je demande à mon copain Abdelatif, j’ai dit, c’est qui cette femme-là? Il dit, Ah non, tu sais pas ça, c’est la deuxième femme de mon père.
Intervieweuse [00:28:33]:
Donc c’est ça, ils avaient quatre femmes6
Henri Ouaknine [00:28:37]:
Ben, ils avaient le droit d’avoir quatre.
Intervieweuse [00:28:38]:
D’avoir quatre femmes, mais est-ce que c’était la pratique ou bien c’était l’exception?
Henri Ouaknine [00:28:42]:
Je ne sais pas si ça se faisait beaucoup, mais lui, il n’a pas eu plus que deux et les deux étaient, elles étaient très jeunes. C’était drôle de voir la première femme qui collaborait avec la deuxième, qui lui montrait comment cuisiner et tout ça, et tout ça parce que c’est normal là-bas, pour eux, c’est normal. Et lui, le papa, il m’impressionnait beaucoup parce qu’il était toujours habillé de blanc immaculé, il est en blanc mais habillé façon arabe, ok. Mais blanc, blanc, blanc. Et il allait faire le marché et il revenait avec… Et il était très impressionnant. Il m’impressionnait, il ne parlait pas beaucoup.
Intervieweuse [00:29:24]:
est-ce qu’il portait le fez?
Henri Ouaknine [00:29:25]:
Oui, oui. Pas le fez, un truc blanc.
Intervieweuse [00:29:28]:
Blanc.
Henri Ouaknine [00:29:30]:
Il était tout en blanc et…. C’est tout?
Intervieweuse [00:29:37]:
Oui. Non, mais c’est les hommes qui faisaient le marché. Oui, les femmes n’allaient jamais.
Henri Ouaknine [00:29:41]:
Oui, mon père, il allait au marché.
Intervieweuse [00:29:42]:
Oui.
Henri Ouaknine [00:29:43]:
Il allait, il revenait avec ce qu’on appelait à l’époque, c’est un peu honteux de dire ça, avec le porteur, le porteur, le bonhomme qui qui avait tout le truc. On était cinq enfants mais après il était obligé, mon père, après sa maladie, il était obligé de… il ne pouvait pas transporter quoi que ce soit. C’est ça.
Intervieweuse [00:30:06]:
À quel âge il était malade?
Henri Ouaknine [00:30:10]:
Mon père, je crois qu’il a eu son ACV, il avait 48 ans je crois, 47, 48 ans. Je me rappelle, un jour, je rentrais de l’école et puis moi je rentrais toujours, jamais par la porte de l’immeuble, Je rentrais toujours par derrière, à arrière. On appelait ça la cour. Et puis moi je sifflait tout le temps et. ça. Et puis un jour, il y a une voisine qui me dit, je me rappelle madame Moreno, elle me dit Henri, Henri ne fait pas de bruit parce qu’il est arrivé quelque chose à votre père. Et puis, il était à la maison, et puis après, il était dans les hôpitaux et après il est allé en France pour… Comment on appelle ça, là? Pour se remettre. Réhabilitation.
Intervieweuse [00:31:04]:
Et puis est-ce que il s’est repris ou bien c’était…
Henri Ouaknine [00:31:09]:
C’était un mauvais ACV très, très mauvais, qui lui a laissé des séquelles, qui lui a laissé des séquelles. Et je crois que, par la suite, il en a eu d’autres. Il en a eu d’autres et il est mort. Il est mort jeune, mon père. Il est mort ici. Il est mort jeune. Il avait 64 ans.
Intervieweuse [00:31:29]:
À quel moment il a décidé de revenir au Canada et pourquoi?
Henri Ouaknine [00:31:35]:
Mon père, je vais vous dire, quand on a commencé à penser, parce que ce qui se passait, c’est que les gens commençaient à quitter, à quitter Casablanca, à quitter le Maroc.
Intervieweuse [00:31:48]:
Quelle année?
Henri Ouaknine [00:31:49]:
Ça a commencé dans les années ’60. Beaucoup dans les années ’60, ok. Parce qu’il y a eu, il y a eu à un moment donné, ce qu’ils appelaient des campagnes de marocanisation, ok. Alors, bien que nous on était d’origine berbère, on était plus marocains que les Arabes marocains et on n’était pas considérés comme des vrais Marocains parce qu’on était Juifs. Ok. Alors c’est… Alors ils avaient sorti, je me rappelle, une loi où il fallait que, il fallait que si vous aviez une compagnie, il fallait prendre un associé, un associé musulman. Alors ça a commencé ça. [00:32:34] Et puis il y a eu l’histoire des passeports, l’histoire des passeports. À un moment donné, ils ont passé une loi. Il ne fallait pas que les Juifs aient des passeports. Ok, bon. Mais comme on vit au Maroc, évidemment que la corruption elle est… Alors on achetait les passeports. Alors pour ça, mon père à l’époque il était malade, il pouvait pas aller, il pouvait pas se déplacer. Il marchait doucement, il tirait la patte un peu et il m’envoyait, il m’envoyait à moi. Alors il me disait, Voilà. Henri, voilà, tu prends cette enveloppe, tu vas aller à tel bureau et tu vas aller à tel endroit, tu vas demander tel monsieur et tu vas lui donner cette enveloppe. Et puis lui en retour, il va te donner des documents. Ok? Alors n’oublie pas, il doit te donner le truc en retour. Oui, papa. Alors j’allais là-bas, je regardais monsieur. Bonjour monsieur. Voilà mon papa, il m’a dit de vous remettre ça.
Intervieweuse [00:33:33]:
Est-ce que vous saviez qu’est-ce qu’il y avait dans l’enveloppe?
Henri Ouaknine [00:33:35]:
Oui, il savait. Oui, bien sûr, il savait Alors moi je dis, je dis, mais vous Monsieur, il dit, ok vous pouvez partir. Vous devez me donner quelque chose. Il me dit, Non, tu sais, tu vas dire à ton papa que la semaine prochaine je veux la même enveloppe. Alors je faisais des allers retours comme ça, tac tac tac. Et c’est là que ça a commencé à travailler dans ma tête. C’est pour ça, moi, à seize ans. J’ai dit à mon père, je ne vis pas dans ce pays, je n’ai pas de patience pour ces conneries là. Lui, il avait il avait de la patience pour ça, parce que c’était hein? C’était, c’était, c’était ça. C’était la culture, c’était ça la culture du bakchich. Et j’ai dit moi j’ai pas de patience pour ça. J’ai dit si on ne part pas à 18 ans, moi je m’en vais tout seul. Voilà. Et puis on a fini par partir. [00:34:32] Mon père, il voulait pas aller ailleurs. Il voulait aller, il voulait aller en France, dans le sud de la France, ok, parce qu’il avait déjà un frère qui vivait à Nice. Alors il voulait, il voulait aller plutôt dans le sud de la France. Il parlait des villes comme Sète, comme Tarbes, je me rappelle, c’était ce qu’il mentionnait, hein? Mais nous les enfants, on voulait pas Nous on voulait l’Amérique. Et puis on avait ma sœur, ma sœur qui réside ici deux étages plus bas, qui était partie à 18 ans. À 18 ans, elle était partie toute seule en Amérique, aux États-Unis, ok. [00:35:18] Ça c’était du jamais vu, qu’un père à cette époque laisse partir sa fille de 18 ans en Amérique. Mais mon père, c’était sa mentalité, c’était sa mentalité. C’est comme ça que vous allez apprendre qu’est-ce que c’est que la vie, tatati tatata. Et alors il y avait. Il y avait déjà ma sœur qui était aux États-Unis, mais ils n’ont pas voulu de renouveler le visa. Alors elle est venue ici et puis, et puis nous, bon, les États-Unis, c’était fermé pour nous. Il n’y avait pas de quotas pour les Marocains. Mais le Canada accueillait des gens du Maroc. [00:36:05] Alors on a commencé à faire les documents et tout ça et tout ça, puis on nous a dit, on nous a dit, vous savez, si vous allez à Paris, ça sera plus rapide avec l’ambassade du Canada. Alors, on est allé à Paris. On a vécu trois mois, on a vécu trois mois dans un hôtel, et c’est là qu’on a fait nos documents et tout ça. Et puis moi j’ai avancé tout seul parce que mes parents étaient bloqués, parce qu’ils avaient trouvé un petit problème de santé avec mon jeune frère, un petit truc de rien du tout. Et alors ils m’ont dit d’avancer pour que je commence mon année à l’école. Alors je suis arrivé ici le 12 septembre 1966, alors on était à Paris, c’était le mois d’août et à Paris le mois d’août, tout est fermé, presque tout. Et moi, mes parents m’ont dit Il faut que - tu vas au Canada, il faut acheter un manteau, il fait froid là-bas. [00:37:06] Et alors j’allais dans des magasins et je dis Bonjour, vous avez des manteaux? C’était en plein été. Non, on n’a pas de manteaux. Bref, à un moment donné, je trouve un endroit où ils avaient encore des manteaux et il dit mais pourquoi vous voulez un manteau au mois d’août? Si, mais c’est parce que je m’en vais au Canada. Mon pauvre monsieur, vous allez là-bas? Mais il fait froid, C’est terrible. Alors le 12 septembre, j’ai atterri à Montréal, ok, et à cette époque-là, quand on sortait de l’avion, c’était directement sur la piste. Il n’y avait pas les trucs là. Et alors, je sors, il faisait une chaleur, il faisait comme il y a eu il n’y a pas longtemps. Il faisait une chaleur et moi j’avais le gros manteau en laine comme ça. J’ai dit, mais qu’est-ce que c’est ça? [00:38:04] Mais à cette époque, en 1966, on savait rien. Nous, on savait rien du Canada. Moi, je savais qu’il y avait beaucoup de blé à cause de mon père et puis je savais qu’il y avait des Français qui vivaient quelque part, mais je pensais que c’était à Québec. Ok, c’était mon peu de géographie que j’avais sur le Canada, parce que naturellement, en principe, j’étais très bon en géographie et je pensais qu’il y avait la ville de Québec et que Montréal, c’était plutôt anglais. Donc je n’étais pas tellement loin. Et alors, c’était ça.
Intervieweuse [00:38:46]:
Et est-ce que vous étiez déjà inscrit dans une école ou bien vous avez atterri ici puis il fallait chercher?
Henri Ouaknine [00:38:52]:
Non, non, on avait de la famille ici. D’abord, il y avait déjà ma sœur. J’avais un frère, une sœur de ma mère, une tante, une tante qui vivait déjà ici. Et j’avais un cousin aussi qui vivait ici, ok. Et alors d’abord, ils m’ont envoyé dans une école anglaise au grade douze. Mais moi j’avais mon anglais du Maroc, qui était pas mal quand même parce que j’avais un bon professeur d’anglais, madame Giblin. Mais le grade douze anglais, c’était pas - j’arrivais pas à suivre. Il y avait un égyptien qui était parfaitement bilingue qui m’avait aidé. Mais après j’ai dû changer d’école parce que c’était trop dur pour moi. Et là, je suis allé, ah oui parce… que je suis allé à l’Institut des technologies Laval, qui s’appelle maintenant le… ça s’appelle...à Laval comment ça s’appelle? C’est un…
Intervieweuse [00:40:00]:
Pas un ETS?
Henri Ouaknine [00:40:01]:
Non, non, non, non. Comment ça s’appelle? C’est les collèges, là, comment on les appelle? Les cégeps.
Intervieweuse [00:40:09]:
Les cégeps.
Henri Ouaknine [00:40:09]:
Voilà, cégep. C’est devenu un cégep maintenant, je crois. Mais à l’époque, à l’époque, au collège, l’Institut de technologie de Laval, c’était pour apprendre des métiers. Et moi au Maroc, parce que moi, au Maroc, j’ai eu un petit peu… je me suis promené un petit peu et à un moment donné, j’étais à l’ORT je sais pas si vous avez entendu parler de l’ORT.
Intervieweuse [00:40:31]:
C’est un œuvre de charité?
Henri Ouaknine [00:40:33]:
Non, c’est des écoles, des écoles juives dans le monde, dans le monde entier, où on apprend des métiers pour apprendre un métier. Pour une femme, pour apprendre le métier de coiffeuse et tout ça. Alors moi c’était laborantin pour apprendre à travailler dans un laboratoire. Et j’avais horreur de ça. Alors quand j’ai changé d’école, je suis allée encore pour le laboratoire. J’aimais pas ça. Et c’est comme ça que j’ai connu ma femme d’ailleurs.
Intervieweuse [00:41:06]:
Racontez-nous.
Henri Ouaknine [00:41:07]:
Ah ça c’est une belle histoire!
Intervieweuse [00:41:08]:
Oui, oui, allez-y!
Henri Ouaknine [00:41:10]:
Alors, si vous voulez cette histoire, c’est… Donc je reviens à mon copain égyptien qui s’appelait Percy, Percy, Zelnick, Percy Zelnick et quand j’ai quitté l’école, on est resté, on est resté copains et on était copains avec un autre gars qui était d’origine grecque, juif, grec, ok. Et un jour, Percy me dit, écoute Henri, bientôt ça va être Halloween. Alors tu vas venir avec nous. Je dis, Halloween, c’est quoi ça? Il me dit, il m’explique ce que c’est. Je lui dis, mais tu es fou? Ça c’est des trucs pour enfants. Il me dit, non, non, tu vas voir, c’est très rigolo, c’est très rigolo et tout ça. J’ai dit ok, alors quelque… on a fixé rendez-vous, tout ça et puis ce jour-là, je venais d’avoir six heures de laboratoire. [00:42:13] J’avais horreur de ça et j’étais d’une humeur massacrante. Et il vient me chercher et il me dit, allez Henri, on y va. Je lui dis, non, non, écoute Percy, vraiment je suis d’une humeur, vraiment, j’ai une dure journée, je suis crevé, j’ai vraiment pas envie de sortir et tout et tout et tout, ok. Il insiste, il insiste. J’ai dit non, je ne veux pas. Il me dit écoute, il y a une fille en bas et je vais te la présenter. J’ai dit, non, non, écoute, je vais …elle va pas m’aimer beaucoup parce que je suis vraiment de mauvaise humeur etc. Et moi je suis très, très buté. Je suis têtu et je ne suis pas descendu, d’accord. Je ne suis pas descendu. Et puis un jour, je rentre chez moi et je vois mon père assis avec un monsieur. [00:43:11] Et il me présente. Il me dit je te présente, c’est Monsieur Azoulay. Mon père, il voulait investir dans l’immobilier, alors il a ouvert les pages jaunes et il a vu quelqu’un, Azoulay, il s’est dit tiens, celui-là, il doit parler français. Mon père, il parlait pas l’anglais, il parlait le français et l’arabe et peut être un petit peu l’espagnol et alors il me présente, il me dit, mais tu sais, monsieur Azoulay il est Égyptien. Alors attends, il faut que je refuse en arrière, j’ai mal dit mon histoire. M’excuse, il faut que je revienne en arrière. [00:43:55] Donc quelques semaines après, je reviens en arrière, quelques semaines après, avec mon copain qui est l’histoire de Halloween, ok, je parlais avec une ancienne copine du Maroc. On était en classe ensemble à l’Alliance Israélite, on était ensemble, elle avait migré ici. On se parlait au téléphone, comment ça va? Qu’est-ce que tu fais? Est-ce que tu as connu des gens? Tu as connu quelqu’un en particulier? Non, ça va. Rien de rien de spécial. Elle me dit, tu sais, j’étais à un mariage hier. J’ai rencontré cette fille tellement intéressante. J’ai dit Henri, elle est faite pour toi. Je dis quoi elle est faite pour moi? Ah, mon vieux. Écoute, ma vieille, il faut que je la rencontre, il faut que je la rencontre. Elle me dit, ah non, non! Elle me dit, je sais pas, il faudrait que je lui demande, faudrait que je lui demande si elle accepte de te rencontrer, etc.
Intervieweuse [00:44:47] Et puis elle me rappelle, elle me dit voilà son numéro, elle a dit ok, tu peux, tu peux, tu peux l’appeler. Moi je l’appelle et on commence à bavarder. Et puis de fil en aiguille, on arrive au truc que j’étais le gars qui n’était pas descendu, qui n’était pas descendu. Alors on s’est parlé pendant, pendant toute la semaine parce qu’elle me dit, là je suis en plein examen et tout ça, on ne peut pas se voir. Mais vendredi, on se voit. C’était de lundi à vendredi parce que le mariage était le dimanche. [00:45:32] Alors, pendant toute la semaine, on s’est parlé au téléphone, on est tombé amoureux au téléphone, mais je l’avais jamais vu. Et puis là je reviens maintenant au truc où je vois ce monsieur qui est avec mon père, qui est assis, etc. Mon père me présente, etc. Il me dit Monsieur Azoulay, mais tu sais, il est Égyptien. J’ai dit, vous n’avez pas une fille qui s’appelle Maryse? Il me regarde, il dit, ah, c’est vous avec le téléphone. Vous monopolisez le téléphone toute la soirée. C’est un gentil bonhomme son père, c’est vraiment un type. Et je lui ai dit, je suis supposée la voir ce soir. Il me dit, allez, viens, je vais t’amener là-bas. C’est comme ça que…
Intervieweuse [00:46:22]:
Incroyable.
Henri Ouaknine [00:46:23]:
Donc, je l’ai rencontré par tout à fait une autre source. Par tout à fait une autre source. Pas par Percy. C’était cette fille, elle s’appelle Andrée Sebag. Elle vit ici.
Intervieweuse [00:46:42]:
Et combien de temps après vous vous êtes…?
Henri Ouaknine [00:46:45]:
Eh bien, on s’est connus. On est resté ensemble, on était très jeunes. On est resté ensemble quatre ans. Et puis on a vécu ensemble quand son père est décédé, son père est décédé aussi à 40, 47 ans aussi d’une crise cardiaque. Et j’étais là quand il est décédé. On a essayé de le sauver, on a fait le bouche à bouche et bon. Donc on était déjà… Et puis un jour, sa mère s’est trouvée veuve. Elle avait, je sais pas, 38 ans. Quelque chose comme ça. Et alors, on était ensemble, ça faisait quatre ans qu’on était ensemble. Elle commençait à s’inquiéter. Alors elle a dit à son frère, tu devrais lui parler. Alors le frère, un jour, il me dit Henri, tu l’aimes, Maryse? Oui, bien sûr. Et il me dit est-ce que tu as des… est-ce que tu te marierais avec elle? J’ai dit, ah moi, bien sûr. A l’époque j’avais, je sais pas, 21 ans, 20 ou 21 ans, quelque chose comme ça. [00:47:54] Il me dit, mais qu’est-ce qui t’empêche? Qu’est-ce qui te retient? J’ai dit, ben, on est jeunes, moi je commence dans la vie. Moi je n’avais pas de, j’ai pas été à l’école très longtemps ici, j’étais en première année d’université. Ça, ça m’emmerde. Et puis j’avais un père qui était malade, qui était malade, alors il fallait que je travaille. Il me dit, mais si on vous on vous meuble une maison et tout ça. est-ce que tu marierais? J’ai dit, ah bien sûr, pas de problème. Et on s’est mariés comme ça.
Intervieweuse [00:48:30]:
Super.
Henri Ouaknine [00:48:31]:
On s’est mariés comme ça. Le premier appartement était à Ville Mont-Royal. C’était, je me rappelle, c’était un immeuble, un vieil immeuble qui avait brûlé et ils l’ont reconstruit exactement comme il était avant. Alors c’était neuf.
Intervieweuse [00:48:50]:
Vous vous rappelles l’adresse?
Henri Ouaknine [00:48:52]:
Oui, c’était sur Graham, le rond-point à Ville Mont-Royal, le rond-point, là où il y a la station de train. On a habitait là, on habitait là, l’immeuble… juste et on avait la…
Intervieweuse [00:49:02]:
Là il y a la SAQ ou l’autre côté?
Henri Ouaknine [00:49:05]:
La SAQ?
Intervieweuse [00:49:07]:
Le rond-point.
Henri Ouaknine [00:49:08]:
Non, le rond-point, il n’y a rien autour. C’est rien que des immeubles. C’est un truc, c’est rond comme ça. Là, il y a une station de train et, non. Et alors, on a habitait dans un trois et demi, puis après elle est tombée enceinte, on a pris un quatre et demi. On a eu un enfant. Voilà.
Intervieweuse [00:49:29]:
Combien d’enfants avez-vous?
Henri Ouaknine [00:49:30]:
Trois.
Intervieweuse [00:49:31]:
Trois. Est-ce qu’ils sont tous à Montréal?
Henri Ouaknine [00:49:34]:
Oui, nous on a beaucoup de chance.
Intervieweuse [00:49:35]:
Oui.
Henri Ouaknine [00:49:36]:
On a beaucoup de chance.
Intervieweuse [00:49:38]:
Sans doute vous avez des petits-enfants?
Henri Ouaknine [00:49:40]:
On a sept petits-enfants là-bas. Non, là-bas c’est mes enfants. Mais, oui, on a vécu - à Ville Mont-Royal c’est là où il y avait le club de tennis qui est au milieu. Il y avait le tennis, il y avait des jardins où il y avait cinquante sortes de roses. Alors quand on se mettait au balcon, ça sentait, ça sentait les roses.
Intervieweuse [00:50:08]:
Oui, oui, oui, oui.
Henri Ouaknine [00:50:09]:
Puis, quand je travaillais en ville, je prenais le train. Je n’avais même pas besoin de prendre de voiture. Je prenais le train pour aller au boulot et Maryse aussi. Elle avait un boulot dans une compagnie de langue, enseigner les langues, c’était en ville. C’est ça.
Intervieweuse [00:50:27]:
Super, super! Et alors, bien sûr, est-ce que vous avez amené vos valeurs de la communauté? Le Shabbat?
Henri Ouaknine [00:50:39]:
Moi je suivais ce que faisaient mes parents. Pour les enfants, d’abord, en semaine les cinq, c’est à dire nous et les trois enfants, on mangeait toujours ensemble. Tous, toujours ensemble à table, ok. Et s’il y en a un qui voulait se lever? Non, non, non, non, Tu restes jusqu’à ce que…Et on avait les Shabbat diner, ce qui était une bonne chose, ce qui est une bonne chose.
Intervieweuse [00:51:12]:
La Dafina?
Henri Ouaknine [00:51:14]:
Dafina, en Égypte, ils connaissaient pas ça, ok. Alors Maryse, elle a commencé, elle a appris à la faire etc. Mais la vérité c’est très, c’est très lourd. Mais j’ai en ce moment ma belle-sœur, c’est à dire, la femme de mon frère, la femme de mon frère qui la fait tous les samedis et nous en amène. C’est très bon, mais c’est la sieste garantie après. Elle la fait, Elle la fait très, très très bien. Et c’est tout. Au Maroc, par contre, je reviens en arrière. J’ai été à un moment donné, j’étais dans les scouts, c’était les éclaireurs israélites du Maroc, ça s’appelait comme ça. Et ça, c’était dans l’immeuble où j’habitais, le premier immeuble parce qu’on a déménagé une fois où j’habitais. Il y avait un copain et il nous a ramassé. Il voulait nous mettre dans le scoutisme. [00:52:20] Mon frère et moi, on a passé des moments magnifiques avec les scouts. On a voyagé, on a campé en Espagne, en France et vraiment on a passé de bons moments. Je n’oublierai jamais.
Intervieweuse [00:52:37]:
Est-ce qu’il y a quelque chose de semblable ici?
Henri Ouaknine [00:52:40]:
Il y a les scouts, mais ce n’est pas populaire ici.
Intervieweuse [00:52:43]:
Non.
Henri Ouaknine [00:52:43]:
Pas très… mais ça fait un peu vieux, même en France. Mais à l’époque, mais nous, à notre époque, c’était - on était une bande de jeunes, alors il fallait qu’on s’occupe. On jouait au foot, on jouait au volley-ball, on faisait tout ensemble.
Intervieweuse [00:53:05]:
Ce n’est pas la même chose ici, pour les enfants.
Henri Ouaknine [00:53:08]:
Ben c’était - là-bas, c’était le climat. On était tout le temps dehors.
Intervieweuse [00:53:13]:
Et il n’y avait pas autant de télé, de jeux vidéo.
Henri Ouaknine [00:53:16]:
On n’avait pas de télévision, nous. À un moment donné, il y a eu, il y a eu la télé au Maroc, mais ça ne valait pas la peine d’acheter une télévision. Il n’y avait que je crois, une heure de français. Le reste était en arabe et il y avait une heure ou deux heures de français, c’est tout. Et puis c’était très amateur. Ça ne valait pas la peine d’acheter une télévision. Par contre, ma mère - mon père, un jour, il a acheté, il a acheté une machine, une machine à laver à ma mère. Il a dit voilà, parce que ma mère elle faisait, la pauvre, elle faisait sa lessive elle-même. Elle avait des bonnes, elle les laissait pas travailler. Les bonnes la regardaient. Je la voyais, je vois encore ma mère à genoux, ok, à la baignoire, elle avait mis un truc en bois et puis elle prenait le linge de la baignoire et elle le frottait comme ça. [00:54:08] Mon père, il a dit, je vais t’acheter une machine, une machine à laver le linge, ok? Elle ne l’a jamais utilisé. Elle a mis un napperon dessus et elle a mis des petites bouteilles d’eau de Cologne, des trucs comme ça. Elle n’a jamais utilisé la machine.
Intervieweuse [00:54:23]:
Et le lavage, est-ce que c’était dehors, sur des cordes?
Henri Ouaknine [00:54:27]:
Oui, sur les cordes, dehors. C’était dehors, ça séchait dehors. Il n’y avait pas besoin de sécheuse là-bas, il y avait le soleil.
Intervieweuse [00:54:38]:
Donc, votre famille, vous étiez plusieurs frères? Vous avez dit cinq frères?
Henri Ouaknine [00:54:45]:
Non, non, non. Nous, on était cinq enfants, ok? C’était deux sœurs et trois frères.
Intervieweuse [00:54:50]:
Deux sœurs et trois frères. Est-ce qu’ils sont tous venus au Canada?
Henri Ouaknine [00:54:54]:
Ils sont tous venus ici, ouais. Et j’ai mon frère aîné qui est décédé lui aussi jeune. Lui aussi il avait 64 ans ou 65 ans. Il est enterré ici. Et puis j’ai une de mes sœurs, les plus âgées, c’était les deux sœurs. Alors l’une de mes sœurs, la plus âgée, qui est décédée récemment, décédée l’année dernière ici. D’ailleurs, elle a habité dans cet immeuble. Alors j’ai une sœur qui était au septième, j’avais l’autre au huitième et nous au neuvième.
Intervieweuse [00:55:34]:
Et est-ce que les mariages, est-ce que c’est une occasion pour réunir toute la famille?
Henri Ouaknine [00:55:39]:
Bien sûr, les mariages, les bar mitzvah. On vient d’avoir un de nos petits-enfants qui a fait sa bar mitzvah il y a quelques semaines. Oui.
Intervieweuse [00:55:53]:
Bon, sur un autre sujet, quelle est votre vision? Pourquoi - est-ce que vous avez pris en considération d’aller en Israël faire Aliyah? Quelle est votre opinion de tout ce qui se passe?
Henri Ouaknine [00:56:08]:
À un moment donné, quand j’étais encore au Maroc sur mes dernières années, je devais avoir seize ans, quinze ou seize ans. J’ai fait partie d’un mouvement, d’un mouvement sioniste. On aidait les gens à aller faire Aliyah en Israël, à partir en Israël. Mais c’était dangereux ce qu’on faisait. Il fallait qu’on se rencontre dans un immeuble. Il fallait que je surveille: si les rideaux étaient ouverts ou si les rideaux étaient fermés, il ne fallait pas que j’aille. C’était très mais…mais c’est tout. J’ai pas fait ça longtemps parce qu’on devait partir. Mais j’y ai pensé à un moment donné mais. Mais toute la famille, on a dit le Canada.
Intervieweuse [00:57:07]:
Mais autour de vous, les autres familles?
Henri Ouaknine [00:57:09]:
Ah autour de moi. Oui, oui, j’ai de la famille en Israël, ok. J’ai une cousine, une cousine qui vit à Beer-sheva. Son mari travaillait là où il y a le truc atomique. Comment ça s’appelle? Dans le sud, près de Beer-sheva.
Intervieweuse [00:57:35]:
Oui. Nata…
Henri Ouaknine [00:57:37]:
Non, non, non, pas là. Récemment, bon là j’ai un de mes neveux qui est religieux, qui a fait Alyah là-bas. Il a huit enfants. Il a huit enfants et là dernièrement, il y a mon beau-frère, c’est à dire celui qui était qui était marié à ma sœur, qui est décédée, qui est là-bas maintenant. Son fils, qui vit là-bas l’a fait venir et il est heureux, lui. Parce qu’il fait beau, il est tout le temps dehors. Et il a quelqu’un avec lui qui prend soin de lui 24 heures sur 24, un Éthiopien, qui lui cuisine et tout. Et il habite juste à côté de son fils, juste à côté. Et il est très heureux.
Intervieweuse [00:58:34]:
Donc il y a une différence, sûrement, entre ceux qui sont partis en Israël…
Henri Ouaknine [00:58:41]:
Il y avait - J’ai une photo ici de mes parents. Ils sont allés, je ne sais pas, dans les années ’50, je crois, voir les possibilités, etc. Mais à l’époque c’était difficile. C’était très difficile. Mon père était allé voir là-bas. Mes parents sont allés voir mais non.
Intervieweuse [00:59:04]:
Et vous avez mentionné les États-Unis.
Henri Ouaknine [00:59:07]:
Non les États-Unis, parce que c’était notre rêve, l’Amérique, l’Amérique, l’Amérique. Moi, je suis bien content d’être ici. Je préfère.
Intervieweuse [00:59:16]:
Oui, mais ça, c’est maintenant. Regarder en arrière, mais à l’époque.
Henri Ouaknine [00:59:21]:
Non, Non, mais à l’époque, il n’y avait pas de…il n’y avait pas de quotas pour les gens du Maroc, mais j’ai de la famille aux États-Unis.
Intervieweuse [00:59:31]:
La famille proche ou…
Henri Ouaknine [00:59:34]:
Oui, des cousins germains.
Intervieweuse [00:59:37]:
Alors comment ils ont pu partir?
Henri Ouaknine [00:59:42]:
Les premiers, j’avais, j’avais, j’avais un oncle, c’est à dire un frère à mon père qui a eu treize enfants. Treize. Et à un moment donné, il a pris, je ne sais pas, quatre ou cinq de ses enfants, et il les a envoyés en Israël. Et ses frères lui ont dit, mais tu es fou de faire ça? Pourquoi? C’est pas gentil, tatati tatata. Il les a envoyé là-bas. Et ce sont eux après qui sont allés aux États-Unis, d’Israël aux États-Unis, c’est vrai. Et ils ont fait venir le reste.
Intervieweuse [01:00:25]:
Incroyable.
Henri Ouaknine [01:00:26]:
Ils ont fait venir le reste. Et ce qui est rigolo, c’est que ce sont ceux qui ont le mieux réussi dans la vie.
Intervieweuse [01:00:33]:
Ah oui?
Henri Ouaknine [01:00:34]:
Oui.
Intervieweuse [01:00:34]:
Et là ils se trouvent où? Dans quel partie?
Henri Ouaknine [01:00:37]:
Ils sont tous aux États-Unis. Il y en a qui sont décédés maintenant. Il y en a eu plusieurs qui sont décédés, c’était treize enfants.
Intervieweuse [01:00:42]:
Descendants.
Henri Ouaknine [01:00:44]:
Malheureusement, on ne les voit pas. Non, non, non. Mais mon frère est allé, il y a quelques semaines, à New York et il a vu certains de ses cousins germains, pas leurs enfants. Ils ont tous dans les 80 ans maintenant, ok. Il a vu certains de ses cousins qui vivent à New York. L’un d’entre eux, il a l’un des plus grands salons de coiffure de New York. Genre, il y a une centaine de places là. Et alors, ils sont allés le voir là-bas au salon de coiffure. Et il a pris sa… mon frère était avec sa femme et sa fille, et ils les ont coiffés, tatati tatata. Mais c’est tout. Autrement, on n’était pas très…Non. C’est dommage.
Intervieweuse [01:01:39]:
Bon, là, vous avez raconté beaucoup de souvenirs. Juste à vous écouter, je vous sens jouer dehors avec une bande d’amis et tout ça. Ça, c’est des valeurs qui sont restées de là-bas.
Henri Ouaknine [01:01:57]:
Oui.
Intervieweuse [01:01:56]:
Est-ce qu’il y a d’autres valeurs qui vous manquent, dont vous pensez que vous n’avez pas retrouvé ici? Non. On arrive à une partie qui sont des réflexions. C’est vraiment regarder en arrière puis faire des réflexions. Alors conservez-vous votre héritage sépharade? Traditions, célébrations, prières, nourriture, langues?
Henri Ouaknine [01:02:20]:
Je viens d’aller payer, je viens d’aller payer mon membership à ma synagogue hier.
Intervieweuse [01:02:33]:
Vous avez mentionné le nom, je pense.
Henri Ouaknine [01:02:35]:
C’est… nous on a habité longtemps à Ville Saint-Laurent. Alors c’est une Synagogue qui est située à Ville-Saint-Laurent, Petah Tikva, Petah Tikva. Et j’étais là depuis le début. Et puis je suis attaché à cet endroit. C’est un peu, un peu orthodoxe alors ma femme n’aime pas beaucoup.
Intervieweuse [01:02:59]:
Donc c’est pas séfarade, c’est pas la tradition séfarade?
Henri Ouaknine [01:03:02]:
Oui, oui, oui. C’est séfarade à mourir.
Intervieweuse [01:03:04]:
À mourir, ok.
Henri Ouaknine [01:03:06]:
C’est séfarade. Alors là, vous l’avez, poof. C’est pas reconstructionniste. Non, non, c’est.
Intervieweuse [01:03:13]:
Et le rabbin?
Henri Ouaknine [01:03:14]:
C’est the Real Thing.
Intervieweuse [01:03:15]:
Le rabbin de la synagogue?
Henri Ouaknine [01:03:17]:
Le rabbin. Il est très bien. C’est l’un des meilleurs rabbins qu’ils ont. Il est jeune, il a la quarantaine. Le type, un type qui a été d’ailleurs à l’université avec mon jeune neveu, qui est neurologue. Il est très bien et très cultivé, très intelligent. C’est mon rabbin préféré parce que des fois ils sont un petit peu trop…un petit peu trop vieux jeu.
Intervieweuse [01:03:50]:
Bon, comment décrivez-vous votre identité culturelle?
Henri Ouaknine [01:03:55]:
Culturelle, d’abord, il y a la culture française que je suis attaché.
Intervieweuse [01:03:59]:
Juif?
Henri Ouaknine [01:04:01]:
Juif, bien sûr. Moi, je suis Juif et je suis je mourrai Juif.
Intervieweuse [01:04:07]:
Mais ensuite, il y a sépharade. Français.
Henri Ouaknine [01:04:13]:
Séfarade et Ashkénaze, c’est tout.
Intervieweuse [01:04:15]:
Oui, oui, oui mais quand-même, il y a la culture française. Parce que vous avez été au lycée, vous avez grandi…
Henri Ouaknine [01:04:20]:
Oui, ma belle-mère se fout de ma gueule des fois parce que je suis très attaché à TV5. Parce qu’ils sont Égyptiens. Ils sont arrivés bien avant, alors ils ont évolué dans le milieu anglophone. Moi, quand j’ai connu ma femme, elle parlait avec un accent anglais et puis j’ai dit, darling, l’amour, c’est en français. Mais non, non, je suis encore attaché à la culture française, très, très attaché, ok. Et ici, c’est un peu une autre mentalité, C’est un peu l’Amérique. On est en Amérique, c’est une autre sorte de vie, etc. [01:05:10] Mais on garde notre culture française, notre culture juive. Moi, je suis très fier d’être Canadien, très, très fier. Et quand on m’a - Quand j’ai émigré, j’ai immigré au Canada.
Intervieweuse [01:05:29]:
Justement, ça c’est la prochaine question. Est-ce que vous vous considérez comme réfugié ou comme immigré?
Henri Ouaknine [01:05:36]:
Non, non, non. Moi je dis je suis un immigrant, pas réfugié. Non, non, non, non, non, non, non, non! Au Maroc, ce n’est pas comme en Égypte ou en Irak, ok. Au Maroc, on nous a fait comprendre que c’était mieux si on partait. Voilà. C’était très subtil, c’était très, très, très subtil. Mais à un moment donné, quand les gens se sont mis à partir, là, ça crée - Quand vous voyez vos voisins qui s’en vont, ça crée un peu la panique. Et puis je me rappelle les six dernières années au Maroc, les conversations qu’on avait, c’était tout, alors quand est-ce qu’on s’en va? Celui-là ils sont partis. Ils sont allés ici. Alors quand est-ce que - c’était que ça. J’entendais mes parents avec leurs amis et la famille, ça parlait. C’était que ça.
Intervieweuse [01:06:26]:
Est-ce que vous connaissez quelqu’un qui est resté? Une famille qui est restée là-bas? Avez-vous des fantasmes?
Henri Ouaknine [01:06:32]:
Écoutez, il y avait un quart de million de Juifs au Maroc dans les années ’50. Aujourd’hui, il y en a peut-être 2000. C’est bien, mais il y en a. J’ai une, j’en connais qui sont restés là-bas. Il y a, j’ai des voisins ici qui…eux ils sont arrivés récemment. Ceux qui restaient là-bas, ce qu’ils faisaient, ils envoyaient leurs enfants, ils ont envoyé leurs enfants au Canada, mais eux, ils restaient là-bas. Mais eux, ils restaient là-bas. Et j’ai des voisins là, juste au fond, c’était leur cas. Ils sont venus assez récemment. Mais c’est tout.
Intervieweuse [01:07:23]:
Et si vous avez l’occasion de retourner au Maroc, est-ce que vous irez?
Henri Ouaknine [01:07:29]:
Je suis retourné au Maroc.
Intervieweuse [01:07:30]:
Oui? Quand?
Henri Ouaknine [01:07:31]:
Je suis retourné, il y a, je ne sais pas, il y a 20 ans de ça. Ça m’a pris plus que 20 ans. Moi je voulais retourner, mais ma femme ne voulait plus retourner dans un pays arabe. Et elle avait des mauvais souvenirs de l’Égypte. Et ça m’a pris 20 ans pour la convaincre, ok. Alors on a décidé, on va faire ce voyage. Et puis c’était - on faisait Montréal-Paris et Paris-Casablanca. Et à Paris, on devait passer plusieurs heures à Paris. Alors on est allé voir de la famille et puis après on a pris l’avion pour Casablanca et on est arrivé à Casablanca tard le soir, tard le soir. Et puis là on prend un taxi, on lui donne l’adresse de l’hôtel. Là, à un moment donné, au milieu du trajet, le taxi nous dit mais vous savez, vous n’allez pas trouver vos chambres d’hôtel. [01:08:26] Je dis pardon, mais j’ai des confirmations, j’ai des réservations. Et il dit, non, non, vous ne comprenez pas. Il dit, il y a un sommet arabe. Ce n’était pas dans les journaux, rien du tout. Ça a été pareil que ça avait été décidé au dernier moment. Et il me dit, toutes les hôtels ont été réquisitionnés. J’ai dit, non, non, non, Moi je ne vous crois pas. Amenez-moi à l’hôtel. Et on arrive à l’hôtel et puis effectivement, l’hôtel avait été réquisitionné. Et alors j’ai dit où on va aller puisque tous les hôtels ont été réquisitionnés? Parce que, évidemment, dans la mentalité arabe, quand on reçoit quelqu’un, quand il y a un président ou un ministre qui arrive ou un roi qui arrive, il faut lui donner tout l’hôtel et pas juste un étage. Non, tout l’hôtel. [01:09:18] Alors tous les hôtels avaient été avaient été réquisitionnés. Alors on est arrivé tard le soir. Alors le gars me dit, ne vous inquiétez pas, on va vous trouver quelque chose. Ils font des appels, des appels, des appels, et puis à un moment donné, il me dit, bon, je vous ai trouvé quelque chose à Marrakech. J’ai dit whoa, whoa à Marrakech. Si je me rappelle, c’est à plus de trois heures d’ici. Il est une heure du matin, là, je ne veux pas aller à Marrakech, c’est trop loin. Alors après ça, il continue. Je vous ai trouvé quelque chose à El Jadida. El Jadida, ok, c’est une heure et demie de route. Alors, il y avait des soldats partout. Ici, on ne voit jamais un soldat. C’est rare. Là-bas, les mitraillettes partout, des trucs comme ça, des endroits où il fallait s’arrêter pour vérifier. Alors il a fallu aller à Casablanca, au centre-ville, pour aller chercher une passe spécial pour le taxi, parce qu’il nous amenait en dehors de Casablanca. [01:10:20] Bref, on est resté. On a dit on va foutre le camp vite parce que je ne pouvais pas - je voulais montrer à ma femme, là où j’ai grandi, là où j’ai été à l’école, tous ces trucs-là et ce n’était pas possible. Je lui ai dit, moi, ça ne m’intéresse plus. Et alors on était en contact avec Air France. On devait aller retourner en France, à Nice et là, il me dit écoutez, on peut vous donner ça que dans deux jours. [01:11:06] Alors, on est resté deux jours à El Jadida, et puis après on a pris un taxi, on lui dit de venir à cinq heures du matin. Et là on est retourné. Il fallait - Alors on arrive vers l’aéroport. Là, à un moment donné, ils arrêtent le taxi. Non, vous ne pouvez pas aller plus loin. On avait des valises. J’ai dit, quoi? On va marcher? Je voyais l’aéroport, il était loin. Non, non, ne vous inquiétez pas. Vous voyez cet autobus? Il va vous amener là-bas. Ok, on va dans l’autobus. L’autobus, il roule. Il a fait je sais pas, 200 ou 300 mètres. Et puis on a arrêté. Vous ne pouvez pas aller plus loin. Il a fallu qu’on marche à travers des champs et il y avait des gens avec des enfants et tout ça. Anyway. On est partis.
Intervieweuse [01:11:50]:
Toute une aventure.
Henri Ouaknine [01:11:52]:
Une aventure. Et là, j’ai des amis qui viennent de… Avec une cousine aussi, qui viennent de revenir du Maroc et ça a changé maintenant. C’est très….Il paraît, quelqu’un m’a dit aujourd’hui, il paraît, il paraît qu’il y a un avion de EL AL chaque jour qui se pose à Casablanca avec, chaque jour, avec des touristes. Donc, ça a changé.
Intervieweuse [01:12:23]:
Énormément. Bon, dernière question et on est à la fin. Quel message voulez-vous partager avec les gens qui écoutent cette entrevue? Parce que j’espère que vous allez… on va vous donner des copies que vous allez remettre aux membres de la famille, à votre choix, bien sûr.
Henri Ouaknine [01:12:45]:
Quel message? D’avoir la santé, c’est le principal, c’est le principal. Sans la santé, on n’est rien du tout. Et d’être heureux, c’est tout. Et d’avoir le respect pour les autres êtres humains. Et c’est tout. Et de ne pas avoir peur d’émigrer, de ne pas avoir peur. Comme je l’avais dit à cette guide en Égypte. Vous voyez, nous on est - vous nous avez foutu à la porte, mais on a fait nos vies ailleurs. On est très heureux, on est très bien et voilà, On n’est pas rancuniers. On vient vous revoir. C’est tout. Mais voilà, on a fondé une famille, on a des beaux petits-enfants et c’est ça qui est…c’est ça qui est bien.
Intervieweuse [01:13:34]:
Et qu’est-ce que vous pensez de l’État d’Israël? Est-ce que c’est important pour le peuple juif ailleurs dans le monde?
Henri Ouaknine [01:13:41]:
Bien sûr.
Intervieweuse [01:13:41]:
Dans quel sens?
Henri Ouaknine [01:13:43]:
Ben Israël, c’est Israël, vous savez. Vous savez, la première fois, parce que j’ai mon fils aîné qui a, mon fils aîné qui a vécu cinq ou six ans là-bas. Il a même fondé une compagnie là-bas. Et il venait de finir l’université, il avait 23 ans. Et il a dit, je m’en vais. Où tu vas? Il me dit, non, je m’en vais en Israël. Je veux apprendre la high tech parce que là-bas, c’est… Et un an après, il a fondé une compagnie là-bas avec un associé israélien qu’ils ont vendue par la suite. Et alors, on a été souvent. Ma femme est allée au moins cinq fois. Moi je suis allé trois ou quatre fois là-bas pour le voir. C’est incroyable. Vous savez, la première fois que vous allez, que vous allez vers le mur, ça fait quelque chose. Vous savez .[01:14:40] C’est des choses qu’on ressent. Mais je n’aurais jamais pu vivre là-bas parce qu’ils sont très rudes. Ils sont très rudes et puis moi, il ne faut pas plaisanter avec moi, je n’aime pas ça. Ils vous donnent l’impression, vous savez, vous rentrez dans par exemple dans un magasin, eux, ils vous font une faveur alors que ce doit être le contraire. Mais ils sont rudes, ils mènent une vie rude. Il faut les comprendre. Mais ce qu’ils ont accompli, c’est magnifique. C’est incroyable. C’est incroyable ce qu’ils ont accompli là-bas. Quand on le voit sur place, c’est impressionnant.[01:15:27] Et puis ensuite le cousin de ma femme, qui était dans les journaux récemment, Moshe Safdie, l’architecte.
Intervieweuse [01:15:34]:
Oui.
Henri Ouaknine [01:15:35]:
C’est un cousin de ma femme.
Intervieweuse [01:15:36]:
Mais il est bien connu ici aussi Moshe Safdie
Henri Ouaknine [01:15:39]:
Mais oui. Il a fait ses études ici, il vient de tout léguer à McGill, ok. Mais lui, il a fait beaucoup en Israël. C’est - tout ce qui est autour du mur, c’est lui. Et Yad Vashem, c’est lui. Ici, le musée sur Sherbrooke, c’est lui. À Ottawa, la galerie d’art, c’est lui aussi. Et à Québec, le musée de la civilisation, c’est lui. Et à Vancouver, le palais de justice, c’est lui.
Intervieweuse [01:16:12]:
C’est vrai.
Henri Ouaknine [01:16:14]:
Et il a, il travaille toujours. Il aime ça. Il était sur les journaux, à la télévision. Et tout dernièrement, il a légué tous ces trucs. Il a 84 ans, Il a légué toutes ces choses à l’Université McGill. Et puis ici, il a fait le Habitat. J’ai oublié ça, Habitat 67. C’était son projet, son projet d’étudiant, c’était sa maîtrise. C’était incroyable. Et alors lui, il a des bureaux là-bas, en Israël, parce qu’il travaille beaucoup aussi là-bas.
Intervieweuse [01:16:57]:
Bon, sur ça, on finit sur une très belle note. Merci beaucoup d’avoir participé à cette entrevue.
Henri Ouaknine [01:17:02]:
Ça m’a fait plaisir.