[00:00:15] David Elhadad: Alors mon nom, Elhadad et mon prénom est David. 

[00:00:19] Interviewer: Et votre nom à la naissance? 

[00:00:21] David Elhadad: Mon nom à la naissance était David Elhadad. 

[00:00:25] Interviewer: Et quelle est votre date naissance? 

[00:00:26] David Elhadad: Ma date de naissance est le 8 juin, 1939. Je suis né à Ouezzane. 

[00:00:32] Interviewer: Ouezzane au Maroc. 

[00:00:32] David Elhadad: Ouezzane est une petite ville au nord du Maroc qui était situé entre la frontière - entre la Maroc espagnol et le Maroc français. 

[00:00:43] Interviewer: Alors tout d’abord merci d’avoir accepté de participer au projet Sephardi Voices. Alors notre première question ouverte. Pouvez-vous nous dire quelque chose à propos des origines de votre famille? 

[00:00:56] David Elhadad: Les origines de ma famille c’est une histoire assez longue parce que mon père me racontait ça. Euh, nous sommes originaires de Pinhas, Pinhas était le fils de Aaron, le grand prêtre, Pinahs. Et Pinhas il a donné naissance à quatre familles d’ouvriers dans le temple, qui sont symbolisées par les initiales de Pinhas, P.C. [hébreu] et sa mère c’est Scali [ph]. [00:01:33] Donc les initiales qui forment Pinhas forment les quatre noms des familles d’ouvriers. Et nous nous sommes de la familles d’ouvriers qui étaient, qui travaillaient les métaux dans le temple. Or, dans le temple qui n’y avait comme métaux que l’argent et l’or. Nous étions donc des cohanim. Mais à un moment donné y’a un de nos ancêtres qui a épousé une divorcée et on nous a enlevé le titre. [00:01:59] Mais nous avons gardé le nom de métier. Nous étions des Cohen-hadad. Nous avons gardé le Hadad, nous avons perdu le titre de cohen. 

[00:02:10] Interviewer: Merci. 

[00:02:10] David Elhadad: J’ai essayé de faire des recherches pour savoir si ce que mon père m’avait raconté était vrai. Et j’ai trouvée effectivement, au 16e siècle, qu’il y des rabbins qui vivaient à Safed et qui s’appelaient Rabbi Yosef Elhadad Hacohen [ph]. 

[00:02:32] Interviewer: Et votre famille venait de l’Espagne avant ça? 

[00:02:36] David Elhadad: Ma famille est venue de l’Espagne effectivement. Alors en Espagne on nous appelait Herrera ou Herrero et comme les Arabes n’arrivaient pas à dire ce mot, ils l’ont transformé en Hadad. Voilà. Hadad ça veut dire le forgeron. En français ce serait Desforges, en quelque sorte. 

[00:03:04] Interviewer: Ok, et pouvez-vous nous dire quelque chose à propos de vos grands-parents? [00:03:08] David Elhadad: Alors mes grands-parents, mon grand-père, c’est à dire le père de mon père s’appelait Yuda ou Yehuda Elhadad. Et ma grand-mère s’appelait Zahara [ph]. Zaharah Elhadad. Ma grand-mère était originaire de Tétouan. Et il faut savoir que Ouezzane c’est le résultat de rencontres entre des gens de Maknès et des gens des Tétouan. Parce que l’histoire de Ouezzane elle est véritablement intéressante. [00:03:42] En ce sens que Ouezzane est une ville religieuse musulmane. Et le Juif était interdit, il ne pouvait pas vivre à Ouezzane. À un moment donné les shérifs de Ouezzane, c’est à dire les autorités de Ouezzane avaient besoin d’ouvrier, de menuisiers, de tailles, de ferblantiers. Ils sont allés les chercher à Fez, à Meknès et à Fez. Et ces hommes quand ils venaient, ils allaient prendre femmes à Tétouan. Ce qui fait que ma grand-mère elle est originaire de Tétouan. [00:04:14] C’est une Serouya [ph]. Et mon grand-père c’était un Elhadad. Et mon grand-père était connu pour être un homme très hospitalier. Il y avait des rabbins, qui passaient entièrement l’hiver à Ouezzane, chez lui, à la maison. Mais en même temps c’était un échange culturel extraordinaire parce qu’ils apportaient leur mihagim, leurs coutumes, ils apportaient des pihoutim qui étaient inconnus à Ouezzane. Ils apportaient des connaissances, des livres et c’était donc un échange en même - culturel, très intéressant. [00:04:48] Et mon père a gardé cette coutume également quand il avait un rabbin qui venait à Ouezzane où un juif qui n’avait pas où loger, il venait chez nous à la maison. 

[00:05:00] Interviewer: Et vous avez des connaissances ou des souvenirs sur vos grands-parents maternels?

[00:05:07] David Elhadad: Je ne les ai pas connus. Moi je n’ai pas connu mes - j’ai connu, la seule grand-mère que j’ai connu c’était la mère de ma mère. 

[00:05:15] Interviewer: La mère de…

[00:05:16] David Elhadad: La mère de ma mère, elle était extraordinaire parce que je me rappelle quand on allait à la synagogue à Em Habanim parce que nous nous avons fait l’école religieuse avant de faire l’école de l’Alliance. Alors l’école religieuse c’était de 5 ans à 10 ans. Et à 10 ans on nous mettait à l’oncle de l’Alliance pour apprendre les français. Mais de 5 ans à 10 ans c’était uniquement les études juives. [00:05:37] Je me rappelle que elle avait tellement peur pour nous que quand on arrivait à la maison mon frère et moi on la trouvait au milieu de la rue en train de nous attendre. Elle nous prenait par la main et nous amenait à la maison. 

[00:05:53] Interviewer: Bon, pouvez-vous nous dire quelque chose à propos de vos parents? 

[00:05:57] David Elhadad: Alors mon père était un grand lettré. C’était un spécialiste en histoire juive. Il était un grand lecteur de la bible et c’était quelqu’un qui connaissait la liturgie sépharade de bout en bout. Moi je connais pas le 10 pour-cent de ce que lui connaissait. Et en histoire juive moi j’ai fait des études dans l’histoire juive mais je n’ai jamais atteint son niveau. C’était un homme lettré, vraiment un grand lettré et il nous a transmis sa passion de la lecture à mon frère et moi. [00:06:31] Mon frère était un grand écrivain en France, journaliste et écrivain. Et moi aussi j’ai hérité de lui cet amour de la lecture, de l’histoire juive, de la curiosité et des recherches - de la recherche. 

[00:06:45] Interviewer: Et votre maman?

[00:06:46] David Elhadad: Ma maman était une femme qui avait assez - qui était assez occupée parce qu’elle avait neuf enfants et elle avait deux bonnes bien sur mais…elle était très occupée toute la journée donc - et puis autre chose c’est que à l’époque de ma mère, les femmes n’allaient pas à l’école. Donc euh, elles ne savaient même pas lire et écrire. 

[00:07:07] Interviewer: Et où est-ce que votre père a étudié. Est-ce que vous connaissez le nom d’une yeshiva, le nom des rabbins? 

[00:07:13] David Elhadad: Euh, à Ouezzane il n’y avait pas yeshiva. Il y avait ce que mon appelle le talmud torah, ou Em Habanim. Et quand mon père a été en âge d’étudier, c’est à dire à l’âge de 5 ans, on le mettait, c’était - l’école se passait dans la synagogue même, dans la synagogue. Il y avait un rabbin n’est-ce pas, qui leur enseignait essentiellement la torah traduite en Arabe, c’est à dire le, le Pentateuque traduit en Arabe et ensuite la liturgie, c’est à dire la liturgie de Rosh Hashana, de Kippur, les fêtes, les haftarot, les piyyoutim. [00:07:52] C’était ça essentiellement l’enseignement qui était dispensé à Ouezzane avant l’arrivée de l’Alliance. 

[00:08:00] Interviewer: Rappelez-nous le nom de la synagogue. 

[00:08:02] David Elhadad: La synagogue c’était - il y avait plusieurs synagogues à Ouezzane. Mais principalement c’était Em Habanim. 

[00:08:12] Interviewer: Vous connaissez le nom des rabbins? 

[00:08:14] David Elhadad: Oui je me…

[00:08:15] Interviewer: Les rabbins de votre père. 

[00:08:16] David Elhadad: Oui. Mon père a eu un rabbin de Meknes qui était très, très, très sévère. Mon père me raconte pour la sévérité. Il s’appelait Rabia Yacob [ph]. C’était, il était craint. Quand les gens le voyaient à Ouezzane, ils changeaient de trottoir tellement il était craint. Il me raconte que pendant la semaine ils étudiaient. Et le mercredi c’était le jour où ils devaient passer à un examen oral. Ils passaient devant le prof, devant le rabbin et celui-ci les interrogeaient. [00:08:54] Et celui qui ne sait pas, évidement, alors il recevait des, des coups de bâtons sur les mains - pas de bâton, de nerf de bœuf. C’était le nerf de bœuf que les cavaliers utilisent pour les chevaux. 

[00:09:11] Interviewer: Très intéressant. Alors…comment vos parents se sont-ils rencontrés? Vous savez?

[00:09:19] David Elhadad: À l’époque…les gens ne sortaient pas. Les femmes ne sortent pas alors ils ne se sont pas rencontrés. Alors, sans doute mon père a vu ma mère un jour et puis il a pris deux notables et les deux notables ont été chez ma grand-mère et pour demander la maison de ma mère, pour mon père. C’est comme ça que ça se passé. 

[00:09:45] Interviewer: Quand se sont-ils mariés? 

[00:09:48] David Elhadad: Je pense qu’ils se sont mariés…peut-être ma mère avait 17 ans et elle est née en 1804, 1921 peut-être. 

[00:10:02] Interviewer: Et  à Ouezzane. 

[00:10:04] David Elhadad: À Ouezzane, oui. 

[00:10:06] Interviewer: Et elle avait quel âge? Avait 17 ans. 

[00:10:07] David Elhadad: 17 ans. 

[00:10:09] Interviewer: D’accord. Alors comment s’appelait votre père?

[00:10:13] David Elhadad: Mon père s’appelait Joseph. 

[00:10:14] Interviewer: Ok, et il est né à Ouezzane. 

[00:10:16] David Elhadad: Il est né à Ouezzane. 

[00:10:18] Interviewer: Et donc son métier c’était. 

[00:10:24] David Elhadad: Ben mon père euh, était un…grand commerçant. Il vendait les épices, il vendait le sucre, le thé. Il avait un très grand magasin qui était divisé en trois parties. Une partie était pour la quincaillerie, l’autre partie était pour les épices et la troisième était pour le, ce qu’on appelle les, les…le blé, le…les pois chiches. Parce que la région de Ouezzane est une région très, t très, très riche. 

[00:10:58] Interviewer: Ah. 

[00:10:59] David Elhadad: Très riche en céréales. 

[00:11:01] Interviewer: Et comment s’appelait votre mère?

[00:11:04] David Elhadad: Ma mère s’appelait Sultana. 

[00:11:06] Interviewer: Ok. Et elle est née aussi à Ouezzane?

[00:11:09] David Elhadad: Elle est née à Ouezzane aussi. 

[00:11:11] Interviewer: Et son nom de jeune fille? 

[00:11:13] David Elhadad: Son nom de jeune fille était Ben Shimon [ph]. 

[00:11:16] Interviewer: Ok. Donc votre mère était…est-ce que vous aviez des frères et sœurs? Et pouvez...oui frères et sœurs. 

[00:11:27] David Elhadad: Oui euh, ma mère a mis au monde 14 enfants. Et elle en a perdu six, euh, cinq. Et il y a neuf qui sont restés vivants. Moi quand je suis né moi, j’avais plusieurs mères. J’avais des sœurs, j’avais une sœur qui était déjà mariée, je m’amusais avec ma nièce, nous avions le même âge. Alors ma grande  sœur s’appelait Zohar [ph]. Quand moi je suis né elle était déjà mariée. Ma deuxième grande  sœur s’appelait Messody. Ensuite j’ai eu un frère Gingin qu’on appelait, qui était Yehuda Léoni. Ensuite une autre  sœur, Alegria. [00:12:07] Une autre  sœur Gina. Un frère Jacob et…deux sœurs qui sont venues après moi. Nous étions neuf. Six filles et trois garçons. 

[00:12:20] Interviewer: Le nom des deux sœurs après vous c’est…?

[00:12:21] David Elhadad: Le nom des deux sœurs après moi c’est Rachel et Esther. 

[00:12:25] Interviewer: D’accord. Et pouvez-vous nous dire quelque chose au sujet d’un de vos frères ou de vos sœurs? 

[00:12:32] David Elhadad: Ben…

[00:12:34] Interviewer: [inaudible] Est-ce que vous aviez tous des bonnes relations entre grandissant?

[00:12:38] David Elhadad: Oui. Moi j’avais des très bonnes relations. Moi je sais, je vous ai dit que j’avais plusieurs mères. J’avais, j’avais ma mère qui ne s’occupait pas beaucoup de moi mais c’était mes sœurs surtout qui s’occupaient de moi. Moi j’ai eu pour, pour vrai mère Alegria. C’est elle qui était ma vraie mère, c’est elle qui me faisait faire les devoirs, c’est elle qui me surveillait, c’est elle - si j’avais travaillé, si j’avais étudié, si je n’avais pas étudié, etc. Oui. [00:13:04] Et autre chose, un petit détail de l’enfance, quand je venais chez ma mère à midi, je disais, “Quel plat tu as mis, tu as fait?” Elle me disait un plat, si le plat ne me plaisait pas j’allais chez ma sœur manger. [rit] 

[00:13:19] Interviewer: Alors dans le pays natal, donc à Ouezzane, quels sont vos premiers souvenirs? 

[00:13:22] David Elhadad: Mes premiers souvenirs de Ouezzane? Oh c’est…C’est loin ça. 

[00:13:32] Interviewer: L’école…

[00:13:33] David Elhadad: Mes premiers souvenirs c’est, je me rappelle le magasin de mon père. Il était très grand et puis il avait des, des, des parfums extraordinaires qui se dégageaient des épices. Ça c’était un souvenir marquant pour moi. Et…surtout j’allais demander à mon père des feuilles et un crayon pour pouvoir dessiner ou pour pouvoir faire des, des graffitis ou pour pouvoir - c’était…

[00:14:03] Interviewer: Alors pouvez-vous décrire où vous avez grandi? La maison où vous avez grandi. 

[00:14:07] David Elhadad: Alors l maison où j’ai grandi c’était pas notre maison parce que mon père faisait construire une maison spécialement pour nous. La maison où j’ai grandi jusqu’à l’âge de dix ans à peu près était située dans une rue près de la grande place, la grande place de Ouezzane. Et…c’était pas une très grande maison. Oui. [00:14:33] Mais quand j’ai eu à peu près 12 ans alors nous avons emménagé dans la même rue, dans une grande maison que mon père avait fait construire mais véritablement la maison juive avec le four spécial pour le Shabbat, avec deux fourneaux, un pour l’eau chaude et un pour la dafina. [00:14:53] Avec une cour spéciale sans plafond pour pouvoir faire la succot. C’était une très, très grande maison. Oui. 

[00:15:03] Interviewer: Et vous parents faisaient partie de quel milieux sociaux à Ouezzane? 

[00:15:06] David Elhadad: Riche. Très riche. 

[00:15:09] Interviewer: Et…

[00:15:10] David Elhadad: Mon père était très riche et c’était un homme qui était très bien vu. Et ma famille était très bien vue parce qu’elle a donné la plupart des présidents de la communauté de Ouezzane éteint tous des Elhadad. Le, celui qui s’occupait du talmud torah et des œuvres de bienfaisance c’était mon oncle, et il n’avait pas d’enfants. C’était un Elhadad, c’était le frère de mon père. Euh, quand mon père avait une minoterie [ph] et pour la fête de pâques par exemple, pour faire la matza shmura on faisait appel à lui. [00:15:43] Alors il devait kashereiser la minoterie et ça demandait une semaine pour la kasherization de la minoterie, total pour moudre 2000 kilos de blé. Oui. 

[00:15:56] Interviewer: Et…donc en termes de milieu sociaux, leurs amis, leurs fréquentations, c’était que des juifs? Ou aussi des Arabes, des Français? 

[00:16:07] David Elhadad: Euh, mon père avait un, un associé arabe parce qu’il avait acheté deux fermes. 

[00:16:12] Interviewer: Donc Musulman. 

[00:16:14] David Elhadad: Musulman, oui oui. Mais c’était un métayer musulman. Oui. Euh, c’est lui qui faisait travailler la ferme. C’est lui qui s’occupait des bêtes, c’est lui qui s’occupait des troupeaux, c’est lui qui s’occupait de la récolte et puis quand il, quand il -une fais la récolte faite il disait à mon père, “Cette année nous avons par exemple 40 sacs de blé.” Et il donnait la moitié à mon père et lui il prenait la moitié. [00:16:38] Sauf que lui et toute sa famille vivait pendant toute l’année gratis dans, dans la ferme. Alors la récompense de mon père en quelque sorte c’était la moitié de la récolte. Voilà. 

[00:16:51] Interviewer: Et donc vos parents fréquentaient aussi des Musulmans? 

[00:16:55] David Elhadad: Mon père, mon père fréquentait des Juifs, surtout des juifs, mais il lui arrivait de, en affaires, d’avoir affaire à des Musulmans et c’était des Musulmans qui étaient gentils, qui nous connaissaient, qui connaissaient ma famille et nous étions connus parmi eux. Pas comme la nouvelle génération. La nouvelle génération ne connait, ne connait pas de Juifs, mais les anciens nous connaissaient. [00:17:19] Un exemple très, très significatif, je me rappelle le 20 aout 1955 ou ’56, je ne suis pas sûr de l’année. Y’avait eu une révolution au Maroc dans toutes les villes du Maroc y’avait eu des manifestations violentes. ET le vendredi, ça c’était un samedi. Et le vendredi précédent le samedi de ces incidents, y’avait deux arabes qui étaient venus prévenir mon père et qui lui ont dit, “Demain tu ne sors pas et tu interdis à tous les membres de ta famille de sortir dans la rue.” [00:17:52] Il lui ont pas dit pourquoi, mais il lui ont dit, “Ne sort pas demain dans la rue. 

[00:18:00] Interviewer: Et est-ce qu’ils fréquentaient des français? 

[00:18:04] David Elhadad: Non. 

[00:18:04] Interviewer: Non, pas de français. Et alors vous parliez à la maison surtout le français? L’arabe?

[00:18:16] David Elhadad: È la maison mon père et ma mère quand ils ne voulaient pas qu’on comprenne ce qu’ils disaient ils parlaient en espagnol. Parce qu’ils avaient été habiter à El Ksar. Pendant deux ans ils avaient appris l’espagnol. Mes frères, mes grandes sœurs et mes frères, mes grands frères parlaient en français. Et donc moi j’ai eu trois langues. [00:18:39] J’ai eu le français par mes grands frères et mes grandes sœurs. J’ai eu un peu d’espagnol par mes parents et puis l’arabe. C’était la langue qui nous unissait, qu’on parlait tous. 

[00:18:52] Interviewer: Avec les non-juifs et les musulmans vous parliez en…

[00:18:57] David Elhadad: En arabe, ok. Alors quelle école avez-vous fréquenté? 

[00:19:02] David Elhadad: Alors j’ai fréquenté de l’âge de cinq ans à 10 ans, j’ai fréquenté Em Habanim, ça veut dire l’école religieuse juive où je faisais de l’hébreu de huit heures du matin jusqu’à quatre heures de l’après-midi, parfois jusqu’à cinq heures de l’après-midi pendant cinq ans. Uniquement de l’hébreu. À partir de dix ans je fréquentais l’école de l’Alliance où je suis arrivé aux cours supérieurs avec le certificat d’études primaire pendant quatre ans. [00:19:32] Ensuite j’ai passé un concours à Casablanca parce qu’à Ouezzane il n’y avait pas d’école secondaire de l’Alliance. Donc à Casablanca il y avait deux possibilités qui s’offraient à nous, soit l’école de métier qui s’appelait l’école Horte [ph], soit une école pour faire enseignant, qui était l’école normale hébraïque. Et l’école normale hébraïque exigeait un niveau assez fort. [00:19:56] On se présentait, l’année où je me suis présenté moi au concours de l’école normale hébraïque nous étions 130 et l’école a pris les 30 premiers. Il s’agissait pas d’avoir la moyenne ou autre chose, elle choisissait les meilleurs, vraiment les crème des crème. Nous avions en retour, nous avions toutes les études payées pendant cinq ans. Logés, nourris, blanchis et pendant cinq and tout était payé. 

[00:20:20] Interviewer: Payé par…

[00:20:20] David Elhadad: Par l’Alliance. 

[00:20:22] Interviewer: Par l’Alliance. 

[00:20:23] David Elhadad: En retour…

[00:20:23] Interviewer: L’Alliance française. 

[00:20:25] David Elhadad: Non, l’Alliance israélite universelle. L’AIU. 

[00:20:28] Interviewer: Qui récoltait des dons. 

[00:20:30] David Elhadad: C’est ça. Et en retour, quand on sortait de l’école on devait enseigner nous pendant cinq ans dans une école de l’Alliance. C’était ça les termes du contrat. Cinq ans d’études payées. En retour nous devions enseigner pendant cinq ans dans une des écoles de l’Alliance où on nous mutait. 

[00:20:46] Interviewer: D’accord. Contre un salaire quand même. 

[00:20:48] David Elhadad: Bien sûr. 

[00:20:49] Interviewer: Bien sûr ok. Alors quel souvenir avez-vous de votre scolarité? Quel message était véhiculé à travers l’école par exemple? 

[00:20:58] David Elhadad: École primaire ou l’école secondaire?

[00:20:59] Interviewer: Ce que vous a marqué. 

[00:21:03] David Elhadad: Ben moi ce qui m’a marqué c’est le premier jour où je suis allé dans l’école de l’Alliance. Je me rappelle parce qu’auparavant j’étais dans Em Habanim. Em Habanim c’était quatre classes exiguës, sales…des toilettes qu’on ne pouvait même pas voir. C’était vraiment la saleté repoussante. Et j’arrive à l’école de l’Alliance et je vois l’école de l’Alliance, des classes merveilleuses. Des jardins avec des roses extraordinaires. Et ça m’a frappé. Vraiment ça m’a frappé. Oui. 

[00:21:45] Interviewer: Est-ce que vous faisiez partie de groupe sociaux ou sportifs?

[00:21:52] David Elhadad: J’ai toujours été un peu solitaire. 

[00:21:55] Interviewer: D’accord. 

[00:21:56] David Elhadad: Mais…à l’école normale je, à la fin de l’école normale j’ai partie de ce qu’on appelle la pré-route]. Voilà. J’étais pré-routier. 

[00:22:09] Interviewer: Alors, vous pouvez nous expliquer?

[00:22:12] David Elhadad: Alors pré-routier c’est, y’a les catégories chez les scouts. Y’a d’abord les louveteaux, ensuite y’a les scouts, après il y a, je crois, les pré-routiers ensuit il y a les routiers. Et…nous nous étions, enfin dans ma classe, nous étions six ou sept pré-routier. J’ai également, la dernière année où j’était à l’école normale, c’est à dire en 1958, j’ai fait partie d’un mouvement sioniste qu’on appelle le H2, qu’on appelait chez-nous le H2, Hanohara tzahir [ph]. Et nous avions à faire un, un shaliah qui était venu d’Israël qui nous réunissaient tous les dimanches. [00:22:54] Et qui nous enseignait des chansons d’Israël, qui nous donnait des nouvelles d’Israël. Nous avons fait ça pendant cinq ans. Évidement c’était interdit au Maroc. Donc on faisait ça en cachette et puis - mais ça m’avait beaucoup enrichi, le contact avec les shaliah. 

[00:23:13] Interviewer: Pour reparler maintenant de la vie quotidienne, donc vous habitiez dans un quartier plutôt juif? 

[00:23:20] David Elhadad: Euh, c’était pas un quartier juif, c’était une rue où il y avait beaucoup de juifs qui habitaient. Mais…

[00:23:25] Interviewer: Ok et c’est pas dans de mellah. 

[00:23:26] David Elhadad: Non, ce n’était pas au mellah. Non. 

[00:23:29] Interviewer: Ok. Donc et alors…vous avez déjà parlé de rôle particulier que jouait votre grand-père dans la communauté, votre père aussi puisqu’il recevait beaucoup…

[00:23:45] David Elhadad: J’ajouterais que mon père était également galbai de, de ma synagogue parce que mon grand-père avait bâti une synagogue dans le mellah, dans le mellah. Et cette synagogue était dirigée par mon père. Voilà. C’est lui qui s’occupait également des rentrées d’argent et des sorties, c’est dire quand il y avait un don, c’est lui qui marquait qui a donné le don et qui ramassait l’argent également. 

[00:24:18] Interviewer: Alors il avait le protocole social qui était important dans votre famille?

[00:24:24] David Elhadad: Qu’est-ce que vous entendez par protocole social? 

[00:24:26] Interviewer: Certaines règles de familles, le père a sa place, la mère a sa place. 

[00:24:30] David Elhadad: Ah oui, y’avait un, y’avait un respect énorme. Moi, par exemple, je…quand j’ai terminé la prière avec mon père mais je devais lui embrasser la main. Ou quand je voyais mon oncle ou quand je voyais une tante ou autre chose c’était la main d’abord, avant de l’embrasser sur les joues. Ça c’était un signe extraordinaire de, de…de politesse. 

[00:24:59] Interviewer: Est-ce que vous avez des souvenirs de nourriture préparée? Spéciaux par vos parents? 

[00:25:03] David Elhadad: Oui. 

[00:25:03] Interviewer: Oui. 

[00:25:04] David Elhadad: Oh oui. [rit]. Chaque fête avait sa nourriture spéciale. Je me rappelle que Channukah par exemple, Channukah c’était les beignets, c’était le couscous. À Purim c’était le, le couscous à gros grains, barkoukesh. Oui, avec du lait et avec du…de la coriandre je crois, si j’ai bonne mémoire. [00:25:33] À pâques, il y avait évidemment l’agneau qui s’implosait avec les truffes, bien sûr. Euh…Shavuot, c’était des mets sucrés, des brioches sucrées, des…des gâteaux au miel euh… à Sukkot, Sukkot bon, c’était la sukka [ph] évidement avec les plats de la fête. Et il y avait des aliments qu’on ne mange plus aujourd’hui. Il y avait par exemple les abats, les tripes, il y avait les orbeh [ph], orbe c’est les mamelles de la vache. C’était des plats qu’on ne trouve plus aujourd’hui oui. 

[00:26:22] Interviewer: Vos parents et grands-parents, est-ce qu’ils s’habillaient de façon traditionnelle ou européenne? 

[00:26:26] David Elhadad: Non, moi quand j’ai connu mon père je l’ai connu euh, habillé de manière européenne. J’ai d’ailleurs une photo de lui si vous voulez la voir. 

[00:26:34] Interviewer: Oui, oui. 

[00:26:59] David Elhadad: Une très vieille photo. 

[00:27:07] Interviewer: Très élégant. [inaudible] 

[00:27:12] David Elhadad: Merci. 

[00:27:14] Interviewer: Et votre mère aussi, s’habillait de façon…

[00:27:16] David Elhadad: Ma mère aussi s’habillait à l’européenne oui. 

[00:27:18] Interviewer: Et vos grands-parents?

[00:27:20] David Elhadad: Mes grands-parents, ma…je vous ai dit que je ne les connaissais pas sauf ma, la mère de ma mère. Elle s’habillait de manière traditionnelle, c’est à dire avec la meherma [ph], c’est-à-dire un…elle…mais pas comme les religieuses d’aujourd’hui. Elle mettait comme un foulard, un grand foulard qui était là et qu’elle attachait derrière. Donc on lui voyait pas un cheveu. [00:27:48] Et elle portait des jupes longues, très, très longues. On lui voyait pas du tout la chair ni rien du tout. Ni aucun cheveu. 

[00:27:55] Interviewer: Tandis que votre mère avait pas les cheveux - 

[00:27:57] David Elhadad: Ma mère aussi avait les cheveux couverts. Oui, oui, avait les cheveux couverts. Mais elle s’habillait à l’européenne. 

[00:28:04] Homme: Est-ce que vous enlevez vos lunettes? 

[00:28:15] Interviewer: Sinon, bon, il y avait des soirées spéciales où votre mère portait le kaftan des fois, ou pas?

[00:28:24] David Elhadad: Je me rappelle pas avoir vu ma mère avec le kaftan, ni aucune de mes sœurs d’ailleurs, sauf le soir de, je me rappelle le soir où ma  sœur Messodi s’est mariée, pour le henné, ah là oui. Là, je me rappelle ma sœur avec le kaftan, mais pas ma mère. 

[00:28:44] Interviewer: D’accord. Donc juste la mariée. 

[00:28:46] David Elhadad: Oui, la mariée. 

[00:28:46] Interviewer: D’accord. Alors est-ce qu’il y a fait des coutumes et un déroulement particulier pour la préparation du shabbat? Et le shabbat en lui-même dont vous pouvez parler?

[00:29:01] David Elhadad: Ben le shabbat on, je me rappelle que les jours de la semaine chacun mangeait à une heure différente, parfois on se retrouver pas parce que parfois mon père ne venait même pas manger, il restait au magasin et mère lui envoyait le repas au magasin. Mais le shabbat nous étions tous à table réunis, aussi bien vendredi soir que samedi à midi et samedi soir. Alors…il avait beaucoup de salades, il y avait beaucoup de plats, il y avait…c’était vraiment l’ambiance du shabbat. Il y avait des chants. Je me rappelle que mon père avant le kiddush, il restait en train de tourner autour de la table. [00:29:38] Il était en train de lire les, des textes qu’on trouve dans tous les livres de prière. Et pendant à peu près 20 minutes, et le samedi soir, alors samedi après-midi, après le repas, mes sœurs venaient avec mes neveux, avec leurs enfants et le samedi soir c’était le, au moment du kiddush, de la havdalah, alors mon père devait bénir tous les petits-enfants, etc. [00:30:04] C’était vraiment un moment merveilleux, merveilleux. 

[00:30:09] Interviewer: Ok, et donc c’est votre mère qui préparait tout ça?

[00:30:12] David Elhadad: C’est ma mère qui préparait tout ça, aidée pas deux bonnes. Elle a toujours eu deux bonnes, sans compter celles qui venaient le mercredi et le jeudi pour le lunch. 

[00:30:23] Interviewer: Ok et vous aviez à la synagogue?

[00:30:25] David Elhadad: Oui. Quand j’étais petit, jusque’ à l’âge de 14 ans j’ai fréquenté la synagogue assidûment. Vraiment assidûment. À partir de 14 ans j’ai commencé à lâcher un petit peu la synagogue, oui. Et à 18 ans j’ai lâché totalement. 

[00:30:46] Interviewer: D’accord. 

[00:30:46] David Elhadad: Pour revenir après par la suite. 

[00:30:49] Interviewer: Et votre famille était impliquée dans la communauté de la synagogue puisque - 

[00:30:54] David Elhadad: Mais mon père était gabbai, il était [inaudible] en quelque sorte comme on dit aujourd’hui. 

[00:31:00] Interviewer: Vous avez certains souvenirs de la synagogue? 

[00:31:07] David Elhadad: Des souvenirs de la synagogue? Oui. 

[00:31:11] Interviewer: Ou votre bar mitzvah? 

[00:31:11] David Elhadad: Alors dans ma synagogue, ce qu’il avait d’extraordinaire, et qu’on ne trouve plus malheureusement, nous avions la tradition de Tétouan. La tradition des piyyoutim, les piyyoutim, c’est à dire les chants religieux qui sont chantés. Nous avions la tradition de Tétouan. Dans d’autres synagogues à Ouezzane il y avait la tradition de Fez et dans d’autres il y avait celle de Meknès. [00:31:40] Dans al mienne il y avait celle de Tétouan. Pourquoi? Parce qu’au milieu du 19e siècle y’avait un rabbin qui était venu de Tétouan qu’on appelait Rabbin Sephalbo [ph] et qui avait introduit cette- la liturgie de Tétouan. Et il a laissé deux fils et les deux fils, un était, Chaliah Tsibour [ph], ça veut dire chantre, cantor. Et l’autre était paitan [ph], paitan il chantait les piyyutim, uniquement les piyyutim. [00:32:09] Dans ma synagogue nous avions trois Chaliah Tsibour, trois. Et nous avions trois paitanim [ph]. Ça veut dire six personnes qui étaient destinées uniquement à enrichir l’office par leur chant, par leur voix, etc. Et avec la tradition de Tétouan. Ça c’est un souvenir qui m’est resté. Et chaque fête avait son piyyout spécial qui, en général, ressemblait beaucoup à la musique andalouse, qui se terminait par une finale et de cette finale on allait vers le kaddish de la fête. [00:32:48] C’était extraordinaire. Chaque fête avait le sien. 

[00:32:53] Interviewer: Est-ce que vous avez célébré votre bar mitzvah? 

[00:32:56] David Elhadad: Est-ce que j’ai…

[00:32:57] Interviewer: Célébré votre bar mitzvah? 

[00:32:58] David Elhadad: Oui. 

[00:33:00] Interviewer: Vous voulez nous parler de ça?

[00:33:01] David Elhadad: Ben ma bar mitzvah, voilà comment ça se passait. D’abord on préparait une darush [ph]. Une darush ça veut dire un [inaudible] qui était inspiré du talmud et du midrash. Un mois avant la bar mitzvah, ou même deux mois avant la bar mitzvah. On allait chez un maître qui nous préparait. À lire ça selon un certain air. La veille de al bar mitzvah se passait à la maison. On recevait la famille, les amis, les intimes, tous ceux qui ont été invités, n’est-ce pas? [00:33:40] Et le bar mitzvah faisait le darush. Quand il avait fini le darush, il y avait un coiffeur qui venait et lui coupait les cheveux. Et ensuite le coiffeur passait avec un plateau et chacun devait déposer un billet. Et toute l’argent qui était dans le plateau c’est le coiffeur qui le prenait. Après ça y’avait une grande fête, soit un dîner, soit uniquement des gâteaux, tout dépendait de la situation de la famille. [00:34:11] Le lendemain, le lendemain matin on allait à la synagogue. Y’avait deux amis du bar mitzvah qui prenait un grand bougeoir avec une grand bougie. Le bar mitzvah au milieu, c’est comme ça qu’on allait à la synagogue. Et arrivé à la synagogue ils devaient monter au Sefer. Voilà. Et le, une fois la prière terminée, à midi c’était les amis, les intimes, la famille qui venaient, qui était invités à déjeuner. 

[00:34:46] Interviewer: Alors vous avez d’autres souvenirs de, soit de tradition ou de fêtes que vous voulez partager avec nous?

[00:34:55] David Elhadad: Ben le…essentiellement les chants que on prie chantait à la maison pendant les fêtes, chaque fête avait ses chants particuliers, qu’on appelle les piyyutim. Et y’a des piyyutims dont je me rappelle l’air mais pas les paroles et y’a des piyyoutim où j’ai les parles amis j’ai oublié l’air. Y’a d’autres dont je connais l’air et le, et les paroles. N’est-ce pas? Des chansons spéciales consacrées à la fête. [00:35:24] Chaque fête avait ses chansons spéciales. Aussi bien, alors je me rappelle par exemple à Purim, y’avait des piyyoutim spécialement de Purim et on terminait par la khassida [ph] de Yossef Hatsadik. La krassida [ph] de Yossef Hatsadik  c’est une - c’est un poème épique écrit en arabe qui raconte toute l’histoire de Joseph depuis sa naissance jusqu’au moment où il devient roi d’Égypte. [00:35:52] C’est une krassida, c’est à dire, une véritable épopée. Oui. Et y’avait à Pessah, y’avait les piyyutim de Pessah, Sukkot, les piyyutim de Sukkot. Essentiellement on chantait les piyyutim qui avaient été écrits par le grand poète Rabid Havid Hassin [ph]. C’était un poète de Meknès. 

[00:36:15] Interviewer: Est-ce que vous avez des souvenirs d’autres sites juifs à part la synagogue? LEs lieux saints?

[00:36:23] David Elhadad: Ben le pèlerinage à Asjenn. Alors Asjenn c’est, je vous avait tout à l’heure que les autorités de Ouezzane, les Chorfa de Ouezzane avait amené des ouvriers de Meknès et de Fez parce qu’ils avaient besoin d’ouvriers pour la ville de Ouezzane. Mais ils n’avaient pas permis aux Juifs d’enterrer leurs morts à Ouezzane. Parce que Ouezzane est une ville sainte musulmane. [00:36:48] Y’a un shérif, qu’on appelle de shérif de Ouezzane qui était venu d’Arabie, qui est enterré à Ouezzane. Et à cause de ça, les juifs ne pouvaient pas enterrer un mort. Alors ils l’enterraient à neuf kilomètres de Ouezzane donc une, un petit village qu’on appelle Asjenn. Et c’est dans ce petit village que les premiers ouvriers juifs s’étaient installés. Parce qu’ils pouvaient même pas s’installer à Ouezzane vu que c’était une ville sainte musulmane. [00:37:15] Donc, on les avait installés à neuf kilomètres de Ouezzane dans ce village qui s’appelle Asjenn. Ils venaient le matin à dos d’âne où à dos de cheval jusqu’à Ouezzane, ils travaillaient et en soirée ils retournaient à Asjenn. Pas la suite on permis aux juifs de venir vivre à Ouezzane mais on leur a par permis d’enterrer leurs morts, ce qui fait que Rabiam Ram Mehdiouan [ph] quand il est venu à Ouezzane et qu’il est mort, on l’a enterré à Asjenn. [00:37:42] Le pèlerinage a lieu deux fois par an. Il a lieu le 33e jour du Omer, qui est le jour anniversaire de la mort de Rabbi Schon Bariochai [ph]. Et il a lieu également le jour de l’anniversaire du décès de Rabiam Ram Mehdiouan, qu’on situe vers le 15 Av. À peu près, le 15 du mois de Av, oui. 

[00:38:07] Interviewer: [overlap]

[00:38:08] David Elhadad: C’était des pèlerinages grandioses. Moi je me rappelle euh…

[00:38:13] Interviewer: …les deux dates? Une date du Rabbin et l’autre date…

[00:38:17] David Elhadad: Parce que l’autre date c’est une hillula pour tous les juifs du monde entier. 

[00:38:20] Interviewer: D’accord, ok. 

[00:38:22] David Elhadad: Celle de Rabbi Schon Bariochai, tous les juifs du monde entier célèbrent cette hillula. Et le meilleur endroit pour la célébrer c’était évidemment près du tombeau de Rabiam Ram Mehdiouan [ph] . On…

[00:38:36] Interviewer: Où est, on dirait d’autre rabbin?

[00:38:40] David Elhadad: Ah lui il est enterré en Israël. 

[00:38:41] Interviewer: En Israël. 

[00:38:42] David Elhadad: En Israël. À Meron. Oui. Le pèlerinage était grandiose. Chaque famille qui venait devait tuer un mouton, et le manger rôti. Je me rappelle que il avait tellement de voitures qu’on pouvait, que la route n’arrivait pas à englober toutes ces voitures alors, y’avait des horaires pour les départs et des horaires pour les retours. [00:39:14] Je me rappelle une nuit j’étais, on était sur le camion de mon père. Alors comme nous étions nombreux, nous étions évidement sur le, on n’était pas dans la cabine. Et il y avait une file, peut-être de deux kilomètres de voiture, L’une derrière l’autre, l’une derrière l’autre qui allait vers le saint [ph]. Oui. 

[00:39:38] Interviewer: Et avant…

[00:39:39] David Elhadad: Je m’excuse de vous interrompre, la communauté de Ouezzane, dans la communauté de Ouezzane il y avait beaucoup de pauvres. Y’avait quelques hommes qui étaient riches, quelques juifs qui étaient riches, mais y’avait beaucoup de pauvres. Et ces juifs riches ne pouvaient pas faire vivre toute la communauté des pauvres. Alors de quoi vivaient ces pauvres? Ils vivaient de, deux [inaudible]. Dans les ilulot [ph] mon oncle il était le frère de mon père, il s’appelait Eliyahu Elhadad. Il vendait des bougies. Il avait des bougies qui atteignaient je, je vous parle ça, en 1945, ’46. Je devais avoir six ans. [00:40:21] Des bougies qui étaient vendues à un million de francs de l’époque. ET c’est avec cet argent que la communauté faisait vivre les pauvres de Ouezzane, pendant toute l’année. 

[00:40:32] Interviewer: Très intéressant. Aviez-vous des superstitions dans la famille? Ou des superstitions de la région, dont vous vous rappelez? 

[00:40:41] David Elhadad: Je sais qu’à Ouezzane on croyait beaucoup au mauvais œil. Et alors quand quelqu’un était malade et que le médecin n’arrivait pas à détecter le genre de maladie qu’il avait, on disait que c’était le mauvais œil et puis on…on achetait de la pierre d’alun. La pierre d’alun c’est une pierre blanche. On la mettait au feu près de lui et y’avait un trou qui se formait. On disait, tiens, voilà le mauvais œil. Maintenant il est parti. 

[00:41:08] Interviewer: Ok, alors est-ce que vous pouvez décrire les plus importantes organisations juives non-religieuses qu’il y avait là-bas?

[00:41:18] David Elhadad: Y’avait Em Habanim d’abord qui s’occupait de l’enseignement. Hevrat Em Habanim [ph]. 

[00:41:25] Interviewer: Et non-religieuses? 

[00:41:27] David Elhadad: Alors non-religieuses, y’avait le, le…l’œuvre qui...faisait nourrir les enfants à midi. 

[00:41:37] Interviewer: Oui.

 [00:41:37] David Elhadad: Par exemple. Ça c’était mon oncle qui s’en occupait. Et il avait avec lui un shaliah, quelqu’un, et ils allaient faire le marché des deux, acheter les produits, les rapporter euh, la cuisinière qui devait cuisiner pour donner à manger à à peu près 80-100 élèves qui étaient à Em Habanim. 

[00:41:57] Interviewer: Wow.

[00:41:57] David Elhadad: Oui. 

[00:41:59] Interviewer: Et est-ce qu’il y avait des organisations sionistes à Ouezzane?

[00:42:04] David Elhadad: À partir de 1947, y’a eu des organisations. Y’avait un shaliah qui était venu, il s’appelait Da’an [ph] je crois si j’ai bonne mémoire, qui avait pris les filles, toutes les jeunes filles de Ouezzane qui leur avait enseigné la lecture, à lire l’hébreu, à écrire l’hébreu, qui leur avait enseignés pas mal de chants et, qui avait formé également des sionistes. C’est à partir de là que le mouvement sioniste est né. [00:42:32] Et c’est à partir de là qu’il y a beaucoup de jeunes gens qui sont allés et qui ont combattus pendant la guerre de l’indépendance. Mon frère, Léon par exemple, il est parti en décembre ’48 et il a combattu pour l’indépendance d’Israël. Oui. 

[00:42:52] Interviewer: Donc votre famille percevait comme l’État d’Israël? De Ouezzane?

[00:42:57] David Elhadad: Ben pour nous c’était le retour du messie. C’était le - vous vous imaginez une promesse dont on avait parlé pendant des milliers et des milliers d’années qui était en train de se réaliser, c’était, c’était extraordinaire. On avait commencé à inventer des, à composer des chants pour la Palestine en arabe pour que les gens les comprennent. On commençait à chanter, je me rappelle, dans toutes les fêtes, toutes les fêtes se terminaient par la, le chant, le Hatikvah, l’hymne d’Israël. C’était devenu vivant. Vraiment vivant. 

[00:43:35] Interviewer: Parce que bien sûr avant l’indépendance d’Israël, Israël était toujours présent dans - est-ce que Israël était présent dans votre [overlap]

[00:43:41] David Elhadad: Israël était présente et, vous me rappelez quelque chose maintenant. Quand on allait à la la synagogue, moi j’étais tout petit, là je devais avoir cinq ans, six ans. On avait un vieux monsieur qui passait la journée…en train d’écouter la radio. Et quand il venait à la synagogue tout le monde s’approchait de lui et disait, “Quelles sont les nouvelles d’Israël?” Et alors il nous donnait les dernières nouvelles d’Israël. [00:44:08] C’est lui qui nous donnait les dernières nouvelles d’Israël. Oui. Parce qu’il écoutait Kol Israël. Oui. 

[00:44:15] Interviewer: Donc c’est lui qui vous apprit pour l’indépendance et…

[00:44:18] David Elhadad: Mais oui. 

[00:44:19] Interviewer: Wow, quel beau…

[00:44:21] David Elhadad: Et de toutes les manières nous on avait, enfin, on était favorisés à l’époque parce que tout le monde n’avait pas une radio. Mais nous nous avions une radio et puis on arrivait à capter pas mal de postes. Et mais, comme mes frères et mes sœurs connaissaient le français, ils arrivent quand même à écouter les nouvelles mondiales. Oui. 

[00:44:42] Interviewer: Ok. Quand est-ce que vous avez quitté Ouezzane? Vous avez quitté directement Ouezzane pour…

[00:44:59] David Elhadad: Non. Pour le Canada? Non. J’ai quitté Ouezzane à l’âge de 14 ans, pour aller étudier à Casablanca. J’ai étudié à Casablanca pendant cinq and à l’école normale hébraïque. Ensuite je suis sorti enseigner. J’ai enseigné à Casablanca. Et en 1963 j’ai quitté Casablanca pour Tanger. [00:45:26] J’ai enseigné à Tanger…jusqu’en 1981. En 1981 j’ai eu une proposition pour venir ici au Canada, enseigner les études juives. J’ai saisi cette occasion et je suis venu avec ma femme, le 10 septembre 1981, ici. 

[00:45:59] Interviewer: Alors, est-ce que bon, alors, avant de quitter, est-ce que vous avez des persécutions en tant que juif au Maroc? Vous avez connu…

[00:46:10] David Elhadad: Ben, écoutez, moi je…avant, je n’étais pas très religieux et donc euh, par exemple, à Gagner, je vous parle de Tanger. À Tanger nous étions une bande où il y avait des Espagnols, catholiques, des Musulmans et des Juifs. Et nous nous endendions très, très, très bien. Quand on sortait on allait à Restinga Smir par exemple un dimanche, quand on allait danser, on allait ensemble. [00:46:42] Quand on allait au restaurant, on allait ensemble. Et…quand il y a eu la guerre de ’67…alors là on a senti la différence. Vous voulez arrêter? 

[00:46:56] [discussion technique]

[00:47:07] Interviewer: Est-ce que vous avez connu des persécutions en tant que Juif au Maroc? 

[00:47:12] David Elhadad: Alors avant de parler des persécutions je vous parle d’abord un petit peu de ce qui se passait au Maroc. Je vous parles des années ’70, ’80. Euh, même “60, depuis les 1963, ’64. Je faisais partie d’une bande dans laquelle il y avait des catholiques, et y’avait des musulmans. Nous parlions tous l’espagnol, on ne parlait pas l’arabe ou le français. [00:47:43] Nous allions au restaurant, nous allions danser ensemble, nous faisons les sorties ensemble. Nous nous entendions très, très bien. Et on se recevait même dans les maisons. Quand il y a eu la guerre de ’67, là y’a eu comme un virage. Les sorties ne se faisaient plus…de manière constante et on nous a fait comprendre que nous étions en plus, les juifs. 

[00:48:16] Interviewer: [overlap] 

[00:48:18] David Elhadad: Moi par exemple j’allais, je me rappelle ma femme travaillait dans une banque. J’allais à la banque, j’étais ami de tous les collègues de ma femme et ma femme on ne la saluait plus à la banque. 

[00:48:30] Interviewer: C’était plutôt des musulmans? 

[00:48:32] David Elhadad: Des musulmans, c’était des musulmans. Et des musulmans avec qui je riais moi, etc. Quand j’arrivais à la banque ils devenaient sérieux. Il n’était plus question de rire ni rien du tout. Il y a…Carlos de Nesry, je ne sais pas si vous avez entendu parler de lui. Carlos de Nesry était un avocat tangérois qui était très, très courageux et qui défendait les juifs qui allaient en Israël auprès des tribunaux marocains. [00:49:04] Et il m’a raconté ça, ce que je vais vous raconter maintenant. Et c’est un monsieur que je crois. Il m’a dit que y’avait un avocat à Tanger qui s’appelait Me Zaoui [ph]| juif. Qui a formé tous les avocats musulmans de Tanger. Tous ont fait le stage chez lui, c’est lui qui les a formés. Quand il y a eu la guerre de ’67, le lundi, 5 juin 1967. Mardi il devait plaider. Il est rentré dans un tribunal de Tanger et dès qu’il est entré le président du tribunal lui a dit, “Espèce de sale Juif sioniste. Sortez d’ici. Vous n’avez rien à faire dans ce pays.” 

[00:49:46] Interviewer: Incroyable. 

[00:49:47] David Elhadad: Un monsieur qui avait été son disciple. Oui. 

[00:49:52] Interviewer: Wow. Ok. Donc…

[00:49:57] David Elhadad: Alors à partir de là nous avons compris que…ce n’était plus sain. 

[00:50:03] Interviewer: D’accord. 

[00:50:04] David Elhadad: en ’72 y’a eu ensuite le Skhirat [ph]. L’affaire de Skhirat. Quand sa majesté a été attaqué là dans les palais de Skhirat. Nous avons tremblé comme des rats. Et nous nous sommes cachés pendant une journée et demi. On. Avait peur de sortir dans la rue. On savait pas ce qui allait nous arriver. Et heureusement qu’il est resté en vie. 

[00:50:34] Interviewer: C’était un roi [overlap]

[00:50:34] David Elhadad: Ça été le coup de semonce pour beaucoup de juifs. Beaucoup de juifs ça été pour eux le coup de semonce. Et c’est là qu’ils ont commencé à bouger. Oui. 

[00:50:45] Interviewer: Donc le roi Hassan c’était….

[00:50:49] David Elhadad: Le roi Hassan II était un homme très intelligent. Et il protégeait les juifs. Moitié parce qu’il croyait que les juifs lui apportaient la baraka. Ça veut dire la bénédiction. Et moitié parce qu’il y avait les juifs américains qui fournissaient pas mal de millions de dollar, n’est-ce pas? Et ensuite parce que tout juif qui partait…ils touchaient [ph] pour eux. Pour tout juif qui partait. Ce qui fait que, il nous a protégé. 

[00:51:21] Interviewer: Alors quand, donc quand même des souvenirs de persécution, d’antisémitisme…etc. Alors suite à ça j’imagine que y’a eu des premières discussions d’immigration qui venaient de toute la communauté, de toute la famille. 

[00:51:41] David Elhadad: Oui, il y avait des…

[00:51:42] Interviewer: …toujours là. 

[00:51:43] David Elhadad: Y’avait des…y’avait d’abord des envoyés, des shilahim [ph] Israéliens qui faisaient partir les, les rabbins, qui faisaient partir le dirigeant communautaires pour détruire la communauté en quelque sorte. Et par la suite ça été la classe pauvre qui est partie. Et les riches, ceux qui étaient riches ou…ou moyennement riches, ont été soit en France, soit en Espagne, soit en, au Venezuela. Je parle de la communauté de Tanger. 

[00:52:20] Interviewer: Et vous, vous avez eu cette proposition. 

[00:52:23] David Elhadad: Moi j’ai eu cette proposition, ce qui fait que dès qu éjectas suis arrivé j’avais mon poste déjà, voilà. 

[00:52:31] Interviewer: Quels préparatifs avez-vous pu faire pour cette immigration?

[00:52:38] David Elhadad: Aucune. 

[00:52:39] Interviewer: Aucune. 

[00:52:40] David Elhadad: Aucune parce que j’ai laissé ma maison telle-quelle. Je l’ai vendue tel-quel. 

[00:52:44] Interviewer: D’accord, vous n’avez rien abandonné. Vous avez vendu votre maison. 

[00:52:47] David Elhadad: Oui. J’ai vendu ma maison oui. 

[00:52:51] Interviewer: Est-ce que vous pouvez décrire votre départ? Les derniers souvenirs? 

[00:52:56] David Elhadad: Euh, les derniers souvenirs, oui. Je…quand j’ai vendu ma maison je n’ai pas osé prendre l’argent parce qu’il était interdit de prendre de l’argent, de faire sortir de l’argent du Maroc. On ne pouvait que faire sortir 10 000 francs, c’est à dire l’équivalent de vingt dollars. Je vous parle de ça en 1981. Et quand je suis sorti, en allant à l’aéroport, la police m’a interrogé, m’a dit, “Pourquoi vous allez au Canada?” [00:53:26] J’ai dit, je vais au Canada en tant que travailleur marocain à l’étranger. Parce que…mon école va fermer bientôt, je n’aurai plus de travail et on m’offre un poste au Canada. Il a dit, “Ah bon, alors est-ce que vous avez de l’argent avec vous?” J’ai dit non. Est-ce que vous avez laissé de l’argent ici? J’ai dit oui. J’ai laissé de l’argent à la banque et je pense revenir ici à Tanger. [00:53:51] On dit, passez à la fouille. Ils m’ont fouillé de A à Z. 

[00:54:00] Interviewer: Et l’argent vous l’avez laissé à la banque. 

[00:54:04] David Elhadad: Je l’ai laissé à la banque et une fois que j’étais installée ici, c’est là que j’ai pu le récupérer. 

[00:54:10] Interviewer: D’accord. Donc en dehors de ça, est-ce que vous avez d’autres souvenirs de cette expérience de quitter votre terre pour l’inconnu? 

[00:54:26] David Elhadad: Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on quitte un pays où on a été élevé, où on a, dont on a respiré l’air, dont on a vu les beautés parce que le Maroc est une pays qui est très, très, très beau. Dont on a gouté les saveurs, dont a respiré les parfums. Ce n’est pas de gaieté de cœur. Et qu’on arrive dans un pays inconnu…on ne connait personne. Je me rappelle encore, encore moi j’ai eu la chance. Quand je suis arrivé par avion j’ai trouvé un ami qui m’attendait. [00:55:01] Il m’avait loué un…une maison meublée sur la rue Côte-des-neiges. Et donc il m’a amené là-bas. Ensuite il m’a amené chez lui à la maison. Il nous a invité à dîner chez lui. Le lendemain, quand nous sommes sortis, j’ai dit à ma femme, alors où est-ce qu’on va maintenant? Nous étions dans Côte-des-neiges. On ne connaissait personne. Nous ne savions absolument rien. 

[00:55:23] Interviewer: C’était à quelle période de l’année? 

[00:55:26] David Elhadad: C’était au mois de, c’était le 11 septembre. 

[00:55:29] Interviewer: Ah. 

[00:55:29] David Elhadad: Le vendredi 11 septembre. Oui. [overlap] 1981. 

[00:55:34] Interviewer: Vous n’aviez pas de famille ici. 

[00:55:36] David Elhadad: J’avais un cousin éloigné mais il s’avait pas que j’étais venu. Je l’ai téléphoné, il est venu me cherche par la suite et puis on avait passé la fête de Rosh Hashanah chez lui. Mais sur l’heure, sur l’heure…

[00:55:47] Interviewer: Bien sûr, bien sûr. 

[00:55:49] David Elhadad: Avec ma femme, mes trois enfants et tout jeunes. Oui. Vous savez même pas où aller. 

[00:55:57] Interviewer: Vous aviez aussi toutes votre famille au Maroc. 

[00:55:59] David Elhadad: Oui. Enfin, toute ma famille. Ma famille était déjà en Israël. Parce que mes parents étaient partis en ’65 et avec els reste de mes frères et sœurs. J’avais un frère en France, à Paris. J’avais un frère qui avait été en Israël depuis 1948, je vous en ai déjà parlé. J’avais des sœurs qui étaient parties en 1962, 1963. Et le reste de la famille est partie en 1965. Et moi j’étais resté seul au Maroc.  

[00:56:26] Interviewer: Jusqu’à…

[00:56:27] David Elhadad: Jusqu’a 1981, o je suis arrivé ici. 

[00:56:29] Interviewer: Et ça vous effleurait pas l’esprit d’aller en Israël? 

[00:56:33] David Elhadad: Non. 

[00:56:35] Interviewer: Et donc vous aviez quel âge quand vous êtes venu ici?

[00:56:39] David Elhadad: Ben…’81 moins 40. À peu près 41 ans. 

[00:56:46] Interviewer: Donc vous êtes arrivé en avion. 

[00:56:48] David Elhadad: Oui. Tout payé par moi. La JIAS ne m’a pas donné un sou. Et plus encore. Je me rappelle, j’ai - après deux ou trois mois j’avais besoin d’une voiture et je n’avais pas encore reçu mon argent de - j’avis été au Frelon [ph] je crois ça s’appelle. Le Frelon? Et j’ai été. J’ai dit, je voudrais parler au directeur et la secrétaire m’a dit, “C’est pourquoi?”. [00:57:20] J’ai doit, voilà, je voudrais un prêt si c’est possible parce que je viens d’arriver du Maroc, je suis immigrant, pour acheter une voiture. Alors au loin j’entends une voix qui lui dit, ”Dites-lui que - où il habite?” Elle me dit, “Où est-ce que vous habitez?” J’ai dit à Côte-St-Luc. Il a dit, “ah non, non son donne pas à ceux qui habitent à Côte-St-Luc. 

[00:57:40] Interviewer: À Côte-St-Luc vous habitiez, où Côte-des-neiges? 

[00:57:42] David Elhadad: Côte-St-Luc. 

[00:57:42] Interviewer: Ah Côte-St-Luc. 

[00:57:43] David Elhadad: J’ai habité pendant un mois Côte-des-neiges dans le meublé. Ensuite ma femme a trouvé un appartement ici sur Michael [ph]. 

[00:57:50] Interviewer: Ah. Et [overlap] on ne donne pas…

[00:57:53] David Elhadad: Non, pas ma femme. 

[00:57:54] Interviewer: Non je sais. 

[00:57:54] David Elhadad: Le directeur a dit à la secrétaire, dites-lui que celui qui habite à Côte-St-Luc, qu’on ne lui donne pas de prêt. 

[00:58:01] Interviewer: Et pourquoi? 

[00:58:02] David Elhadad: Je ne sais pas. Je ne sais pas. 

[00:58:11] Interviewer: Et donc à Côte-St-Luc ok. Donc d’autres premières impressions de cette terre d’adoption? 

[00:58:26] David Elhadad: Je me rappelle que j’avais été très déçu. J’avais été dans un grand magasin, La Baie. Et je l’ai comparé à Corte Ingles de Madrid, où j’allais souvent. Et j’avais été vraiment déçu de voir que c’était pas quoi. 

[00:58:50] Interviewer: C’était pas aussi beau. 

[00:58:50] David Elhadad: C’était pas aussi beau…[overlap] Oui. Et également la nourriture qui n’avait aucun goût. Je trouvais que la nourriture n’avait aucun goût. Je trouvais que les fleurs d’ici ils n’avaient ni parfum, ni rien. Bref, je ne sais pas si c’est le, psychique, je ne sais pas ce que c’est mais le fait est qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour m’habituer au Canada. 

[00:59:17] Interviewer: Et alors parlons un peu de votre cheminement professionnel. Donc vous étiez tout de suite en poste. C’est ça? 

[00:59:21] David Elhadad: Alors j’étais en poste. J’ai commencé à l’école Maimonide comme professeur d’études juives. Au début au primaire. Par la suite on m’a mis au secondaire. Et…ce que mon père m’avait appris m’a servi puisque je suis devenu spécialiste de la liturgie sépharade. [00:59:47] Et j’ai commencé à enseigner la liturgie sépharade. Voilà. 

[00:59:52] Interviewer: Donc vous êtes épanouis quand même d’un point de vue professionnel et après aussi d’un point de vue social, est-ce que vous fréquentiez d’autres…

[01:00:03] David Elhadad: Ben j’ai fréquenté la synagogue Or Hahayim, dont je suis devenu membre. Et là-bas je me suis fait beaucoup d’amis. Je me suis fait des, des connaissances, des amis. Y’avait pas mal d’activités à Or Hahayim. Et en même temps j’ai voulu continuer mes études. J’ai repris mes études en cours du soir à l’Université de Montréal pendant quatre ans. On préparait un baccalauréat en langues et littérature française. 

[01:00:36] Interviewer: Donc vous vous êtes quand même épanouis et adaptés.

[01:00:39] David Elhadad: Oui. 

[01:00:38] Interviewer: Même si c’était pas facile. 

[01:00:40] David Elhadad: Je me suis adapté. C’est pas facile. Je me suis adapté. Évidement le, le climat n’a pas beaucoup aidé mais enfin. Ça va. 

[01:00:51] Interviewer: Et est-ce que votre famille s’est bien adapté? Votre épouse? 

[01:00:55] David Elhadad: Mon épouse euh, jusqu’à présent elle n’est pas encore adaptée totalement. [rit] C’est très difficile pour nous, les méditerranéens de nous adapter à ce climat. 

[01:01:09] Interviewer: Surtout le climat, les rues…

[01:01:11] David Elhadad: Surtout le climat oui. 

[01:01:13] Interviewer: Les paysages ne sont pas les mêmes. 

[01:01:14] David Elhadad: Oui. 

[01:01:17] Interviewer: Alors, on arrive à la partie réflexion. Vous conservez votre héritage sépharade?

[01:01:24] David Elhadad: Non seulement je le conserve mais j’en ai transmis une partie, une toute petite partie, mais j’ai transmis quand même une partie à mes élèves…et je peux dire que c’est la partie de ma carrière dont je suis le plus fier. J’ai formé à peu près 1800 élèves au chant de la Haftaha, au chant de la Parasha. Peut-être que sur les 1800 y’a 50% qui ont retenu et 50 qui n’ont pas retenu. ÇA fait toujours 900 élèves. [01:01:53] Et sur les 900 élèves, il y a 18 élèves qui sont des Shliyahim [ph], ça veut dire des cantor, et qui opèrent actuellement à Montréal. Voilà. 

[01:02:05] Interviewer:  Quel l’héritage. Donc ça c’est, j’imagine l’élément le plus important de votre…

[01:02:09] David Elhadad: Exactement. Oui. 

[01:02:13] Interviewer: Alors donc, votre identité culturelle c’est quoi? C’est sépharade? C’est canadien? C’est juif? 

[01:02:19] David Elhadad: C’est sépharade, c’est sépharade. Mais…on essaie de nous adapter dans ce nouveau milieu. 

[01:02:30] Interviewer: Et alors vous vous considérez plutôt un réfugié ou un immigrant?

[01:02:37] David Elhadad: Les deux. 

[01:02:40] Interviewer: Et chez vous, c’est où chez vous? 

[01:02:48] David Elhadad: Je crois que finalement ce sera Israël. 

[01:02:51] Interviewer: Vous continuez à avoir des liens avec l’Israël?

[01:02:55] David Elhadad: Ben oui avec ma famille, bien oui. Et puis…l’année dernière j’ai été en Israël et puis…ça m’a tellement plu. C’est un pays tellement ancien et tellement moderne, les deux en même temps. Hein? Et…les deux voisines, l’ancienneté du pays, l’antiquité du pays et la modernité sont voisines l’une à côté de l’autre. Et…s’allient harmonieusement. [01:03:26] C’est un pays…qui est high tech. Dans le high tech il est en avance, et ce qui est extraordinaire c’est que j’avais tellement peur pour que l’héritage sépharade, que l’héritage sépharade disparaisse, et je vois qu’il y a une reprise et une renaissance de l’héritage sépharade, notamment la partie liturgique, avec les nouveaux chanteurs israéliens. [01:03:50] Ce quine fait le plus peur, le plus peur…je parle de la mort du sépharadisme dans tous les pays du monde sauf en Israël peut-être. C’est le mouvement Habad qui est en train de tuer le sépharadisme. Qui prend les séfarades et qui les transforme en…habad, habadnik [ph]. 

[01:04:14] Interviewer: Donc, [inaudible]. Et…donc bien sûr quand vous allez en Israël c’est toujours…et religieux et spirituel. 

[01:04:29] David Elhadad: Mais oui. C’est une, ce sont des retrouvailles. 

[01:04:35] Interviewer: Quel identité voulez-vous léguer à vos enfants? Euh, aujourd’hui vous parlez avec vos enfants en français j’imagine? 

[01:04:43] David Elhadad: Oui. 

[01:04:44] Interviewer: Et vous leur laissez quoi comme identité?

[01:04:46] David Elhadad: Sépharade. 

[01:04:49] Interviewer: Quel impact cet expérience d’immigrer a-t-elle eu sur votre vie? 

[01:05:01] David Elhadad: Elle m’a fait voir le monde d’une autre façon. Parce que avant on - au fond au Maroc on vivotait, on était, on s’adonnait aux plaisirs de la vie plutôt qu’à autre chose. Ici c’est quand même, je sais pas si c’est avec l’âge, ou si c’est le contact avec le pays. [01:05:30] Ça m’a fait prendre conscience, d’abord qu’il fallait retourner aux valeurs juives. C’était la première des choses. Parce que je vois qu’ici, bien que nous soyons acceptés, tolérés, nous n’avons pas de contact avec le Québécois. Y’a pas d’association judéo-québécoise. Ça n’existe pas. Ça n’existe pas. Nous vivons, comme je dis à ma femme, nous vivons dans le ghetto vert. Côte-St-Luc ‘est un ghetto vert. Ou Ville St-Laurent c’est un ghetto vert. 

[01:06:07] Interviewer: Un peu comme un Maroc.

[01:06:09] David Elhadad: Un peu comme au Maroc. Exactement. Sauf qu’au Maroc les gens l’avaient fait pour deux raisons. Essentiellement, premièrement pour éloigner le Juif du Musulman, et deuxièmement pour protéger les juifs. Bon. 

[01:06:26] Interviewer: Donc comment votre vie aurait été très différente bien sûr si vous étiez restés au Maroc?

[01:06:33] David Elhadad: Bien sûr. Elle aurait été très différente parce que d’abord je ne sais pas si mes enfants seraient restés avec moi. Parce qu’au Maroc toutes les familles qui sont restées au Maroc ils ont perdu leurs enfants. Soit que les enfants ont été en France pour continuer leurs études et ils sont restés là-bas, soit alors que, j’ai même entendu qu’il a y des…des couples mixtes. 

[01:06:56] Interviewer: Bien sûr. Et est-ce que vous êtes retournés depuis au Maroc? 

[01:07:00] David Elhadad: Oui. 

[01:07:02] Interviewer: Qu’est-ce que ça vous a fait?

[01:07:02] David Elhadad: Je suis retourné en 1994. 

[01:07:07] Interviewer: Treize ans plus tard. Ça vous a fait quoi?

[01:07:10] David Elhadad: Eh bien, ça m’a encouragé à rester au Canada. 

[01:07:19] Interviewer: Alors, finalement, est-ce qu’il y a un message que vous voulez partager avec les gens qui écoutent cette entrevue? 

[01:07:27] David Elhadad: Oui, j’aimerais leur dire que …nos ancêtres sont revenus d’Espagne, que nos ancêtres en Espagne avaient inventé un mode de vie, un judaïsme totalement fidèle aux traditions juives mais un judaïsme moderne, très ouvert. C’est ça ce qui caractérise le sépharadisme. Et je ne voudrais pas que ce sépharadisme disparaisse. 

[01:07:59] Interviewer: Très bien, très bien dit. Merci beaucoup.