Claude Bouhadana BITC_H264

[00:00:01] Lisette: Bonjour, c'est une entrevue à Montréal, Canada le 2 mai 2016. Et c'est avec monsieur Claude Bouhadana. Ça prend place à Montréal comme j'ai dit et la personne qui fait l'entrevue est Lisette Shashua et le caméra est monsieur Hugo Dufort.

[00:00:30] Herny: Ok, can we do that again and instead of you looking at your paper can you look at the camera and the camera can look at the piece of paper.

[00:00:37] Lisette: Ok. And I'm going to do it in English.

[00:00:39] David: Okay fine. Wait till the camera man tells you...

[00:00:46] Lisette: Good morning this is an intervew for Sephardi Voices, it's taking place in Montreal, Canada, the 2nd May 2016 with Mr. Claude Bouhadana. The interviewer is Lisette Shashoua and the cameraman is Mr. Hugo Dufort. Thank you.

[00:01:18] David: Can you, can I, I'm sorry can you do that one more time in English?

[00:01:23] Lisette: En English? Okay.

[00:01:25] Henry: And don't move the sheet just hold it steady.

[00:01:32] Lisette: Ok good morning, this is an interview for Sephardi Voices taking place in Montreal, Canada the 2nd of May, 2016. The interviewee is Mr. Claude Bouhadana, the interviewer is Lisette Shashoua and the cameraman is Mr. Hugo Dufort. It is the 2nd of May, 2016.

[00:02:04] David: Perfect. Thank you.

[00:02:15] Lisette: Quel est votre nom à l'entier s'il vous plait?

[00:02:18] Claude: En entier? Euh bien je m'appelle Claude Shalom Bouhadana. Shalom c'est mon nom hébreu quoi en fait.

[00:02:27] Lisette: Et vous êtes nés où?

[00:02:29] Claude: À Casablanca.

[00:02:33] Lisette: Et le date de votre naissance?

[00:02:34] Claude: 28 janvier, 1933.

[00:02:39] Lisette: Merci pour participer avec Sephardi Voices ça nous fait plaisir. Pouvez vous nous parler un peu de, de votre famille, des origines de votre famille?

[00:02:51] Claude: Oui bien euh, les origines de ma famille du côté de mon père c'était, bon le Maroc. Du côté de ma mère ils venaient d'Algérie et ils se sont établis au Maroc.

[00:03:11] Lisette: Quelle année?

[00:03:13] Claude: Disons vers 1890 à peu près.

[00:03:23] Lisette: Et est-ce que vous aimeriez nous dire un peu, nous parler de votre, de l'histoire de la famille.

[00:03:31] Claude: L'histoire de la famille? Bien la famille...

[00:03:33] Lisette: Les grands-parents...

[00:03:36] Claude: Mon grand-père paternel était né à 70 kilomètres de, dans une ville qui s'appelle Settat à 70 kilomètres de Casablanca et il a dû, à la suite d'un, d'une sorte de pogrom qui avait eu lieu, ils ont dû quitter précipitamment et venir se, à Casablanca vivre quoi. Ça c'est du côté de mon grand-père. [00:04:04] Du côté de ma mère euh, bon ma mère est née à Casablanca, ses parents étaient établis déjà là bas. Et ils venaient de, d'Algérie, une partie de, des sœurs de ma mère sont nées en Algérie. Mon grand-père maternel était du Maroc, de la ville de Tétouan qui est dans le nord du Maroc qui était sous protectorat à l'époque, sous protectorat espagnol. [00:04:45] Il a, il avait quitté un moment donnée le, le Maroc pour l'Argentine, d'Argentine ensuite il est revenu et il s'est établi en Algérie et c'est là qu'il a connu ma grand-mère maternelle quoi.

[00:05:03] Lisette: Est-ce que y'a quelqu'un de votre famille qui a eu une expérience avec le programe de, de 1912?

[00:05:14] Claude: Euh oui. Mes parents me racontaient toujours, me parlaient souvent de se programme de, en fait surtout du côté de ma mère ils me parlaient de ce programme qui avait lieu à l'arrivée de la France, quand la France est arrivée au Maroc, a débarqué à Casablanca. Il y a eu un programme et euh, la famille de ma mère étant Française, ils étaient Français parce comme ils venaient d'Algérie. [00:05:44] A été déplacée, enfin a été déplacé vers l'Algérie, la France les a euh, sortis du Maroc pour aller, pendant la durée du pogrom. Et ensuite ils sont revenus au Maroc et ma mère me racontait toujours que quand ils sont revenus ils avaient laissés leur maison en, en état. Ils ont trouvé tout saccagé, tout, c'était, c'était ça le...[00:06:19] alors on parlait beaucoup dans la famille de cette, de ce pogrom, en fait de cette attaque au moment de l'arrivée de la France à Casablanca.

 [00:06:31] Lisette: Est-ce que vous avez des mémoires que vous aimeriez partage des vos grands-parents, des bels mémoires de votre enfance?

[00:06:40] Claude: Oui. Eh bien mon grand-père paternel était, j'ai gardé un excellent souvenir de lui. D'ailleurs je porte son nom. Il s'appelait Shalom aussi. Et c'est avec lui que j'ai commencé à apprendre les rudiments de l'hébreu. Il me prenait. Je n'ai pas connu mon grand-père maternel parce qu'il était déjà décédé quand je suis né et bon...[00:07:16] Par contre j'avais d'excellentes relations avec ma grand-mère maternelle qui m'emmenait souvent chez elle et que, qui m'aimait beaucoup. J'étais le petit fils...

[00:07:32] Lisette: Choyé.

[00:07:32] Claude: Choyé, voilà. exactement.

[00:07:37] Lisette: Et qu'est ce que vous voulez nous dire de vos parents et comment ils se sont rencontrés vos parents?

[00:07:45] Claude: Et bien, mes parents se sont donc rencontrés à Casablanca puisqu'ils habitaient les deux à Casablanca. Ils se sont rencontrés parce que mon, ma tante, la sœur de ma mère, avait épousé un monsieur qui connaissait mon père et c'Est comme ça que ils ont, elle a pu, ma mère a pu connaitre son, mon père, son mari.

[00:08:15] Lisette: Et alors c'était un mariage d'amour.

[00:08:17] Claude: Oui, c'était un mariage d'amour évidement mais ils ont étés présentés évidemment comme toujours.

-[00:08:25] Lisette: Et quand est-ce qu'ils se sont mariés vos parents?

[00:08:30] Claude: En 1932.

[00:08:32] Lisette: Et le nom de votre papa et où est-ce qu'il est né?

[00:08:36] Claude: Messod et il est né à Casablanca.

[00:08:41] Lisette: Et votre maman?

[00:08:43] Claude: Maman, ma mère est née aussi à Casablanca. Annette est née à Casablanca.

[00:08:54] Lisette: Ok, est-ce que l'étiquette dans la famille était important? L'étiquette sociale disons religieux...

[00:09:08] Claude: Oui. On était, il est arrivé quand même que la, lorsque la France est arrivée au Maroc, les, mes parents aussi bien l'un que l'autre sont allés à l'école française parce que il faut bien considérer que l'arrivée de la France au Maroc a été pour les juifs un bienfait. Un bienfait que nous avons apprécié et bon, d'une certaine façon y'a eu une certaine, on c'est adaptés un petit peu à la culture française comme normal. C'était l'alliance israélite et bon, [00:09:54] Le milieu était religieux mais on peut dire que c'était moins que la génération de nos grands-parents qui étaient beaucoup plus religieux, beaucoup plus pratiquants mais, par le fait que nous sommes allés à l'école française et que on s'est, d'une certaine façon, on s'et intégré à la culture française qui est devenue la nôtre quoi. C'est...

[00:10:26] Lisette: Chez vous à la maison vous parliez le français?

[00:10:29] Claude: Chez moi on ne parlait que le français mais on comprenait l'arabe parce que on était en contact avec les, des musulmans et on parlait l'arabe et bon moi je, l'arabe parlé je, je le connais assez bien d'autant plus que j'ai eu une pharmacie à Casablanca où j'avais une clientèle exclusivement musulmane. [00:11:00] Et donc je parlais l'arabe couramment mais à la maison et à l'école évidement on ne parlait que le français normalement quoi.

[00:11:12] Lisette: Alors dans la rue, dans les boutiques et dans les...

[00:11:15] Claude: Bien dans la rue, dans la rue suivant l'endroit où on allait évidement la plupart des commerçants en général parlaient le français.

[00:11:26] Lisette: Même les arabes?

[00:11:28] Claude: Mais il nous arrivait d'aller, par exemple, au marché ou d'aller, et là c'est les, les commerçants, les vendeurs étaient arabes et donc on parlait avec l'arabe. C'est comme ça que...

[00:11:45] Lisette: Est-ce que vos parents a vécu au [inaudible]

[00:11:50] Claude: Ben avant, avant l'arrivée des français euh, les, les juifs ils n'existait pas de ville européenne, ils n'existait pas de ville française et donc ils habitaient dans ce qu'on appelait la ville indigène. Qui était la ville, bon, et au fur et à mesure ils sont sortis de là et ils ont intégré, les français ont cons, en fait, on construits la ville européenne, la ville française et mes parents on pu sortir de cette ville indigène et s'établir euh, en...en ville européenne quoi.

[00:12:39] Lisette: Est-ce que vous vous rappelez de quelque chose du gouvernement de Vichy?

[00:12:47] Claude: Ben, le gouvernement quand y'a eu Vichy bon, c'était euh, le, il y a eu la, beaucoup de, de, de, d'élèves juifs des écoles françaises ont été renvoyés des écoles françaises et sont donc allés à l'Alliance Israélite parce que c'était, c'était les lois de Vichy qui, qui ont été appliqués en 1941 au Maroc et bon, moi j'ai échappé à ça parce que il y avait ce qu'on appelait un numérus clausus. [00:13:27] Où 2% des élèves juifs étaient maintenus dans le système français, l'école française et moi je suis resté dans le système français. [00:13:40] Si bien que je ne suis jamais allé à l'Alliance Israélite.

[00:13:43] Lisette: Alors euh, vous êtes parmi les 2%?

[00:13:46] Claude: J'étais parmi les 2%

[00:13:48] Lisette: Et c'était juste par hasard?

[00:13:50] Claude: Oui, mais par hasard, ce qu'on appelait le numerus clausus par hasard. Peut-être que le fait, y'a eu aussi le fait que ma mère était française par mon grand-père parce que mon grand-père a été fait français en 1867 quand il était en Algérie.

[00:14:09] Lisette: Oui.

[00:14:11] Claude: Avant ce qu'on appelait le décret Crémieux. Parce que il y a eu le décret Crémieux en Algérie qui a naturalisé tous les juifs d'Algérie. Mais mon grand-père...

[00:14:23] Lisette: Seuls les juifs?

[00:14:25] Claude: Seuls les juifs, pas les musulmans.

[00:14:27] Lisette: Et le chrétiens?

[00:14:28] Claude: Les chrétiens étaient français d'office. Les français étaient français d'office.

[00:14:36] Lisette: Ok. Alors votre papa, votre papa est-ce qu'il a été impacté par ça? Par le, le Vichy, le gouvernement de Vichy?

[00:14:46] Claude: [overlap] Oui, il a...bon mon père évidemment a été touché parce que euh, parmi les, les mesures prises par le gouvernement de Vichy il y avait ce qu'on appelait la Déclaration des biens. Les juifs devaient au Maroc faire une déclaration de biens euh, disant voilà je possède ci, je possède ça, je...et c'est à, évidement euh, [00:15:18] la période de la guerre, la période de Vichy, la guerre a été une période assez difficile pour les commerçants juifs parce qu'il n'y avait pas de, on ne recevait rien, y'avait pas de marchandise, y'avait pas de...c'était ça quoi. C'était surtout euh...[00:15:36] Évidemment quand...les américains, les américains ont débarqués au Maroc en novembre 1942 et la situation s'est rétablie progressivement pour les juifs quoi. C'est, ça nous a permit de, enfin de nous sauver de cette situation assez gênante et embêtante quoi.

[00:16:01] Lisette: Est-ce que vous connaissez quelqu'un de votre famille ou des amis qui ont étés arrêtés par le gouvernement de Vichy?

[00:16:08] Claude: Non. Je ne connais personne qui a été arrêté non.

[00:16:12] Lisette: Alors à Casablanca euh, c'était, euh, y'avait rien qui est arrivé...

[00:16:16] Claude: Non.

[00:16:17] Lisette: Vraiment. À part qu'il fallait...

[00:16:20] Claude: Qu'on a renvoyé les élèves des écoles, que il y avait des, des mesures discriminatoires évidement parce que le gouvernement, le gouvernement avait institué des cartes de rationnement pour l'alimentation et euh, les français avaient droit à certaines quantités de nourriture parce qu'il y avait évidement pénurie et les juifs avaient droit mais dans une proportion bien moindre que ceux qui étaient français quoi. C'était ça.

[00:16:55] Lisette: Et les musulmans?

[00:16:58] Claude: Ben les musulmans, je n'ai pas de souvenir exact de ce que, ce qu'à été leur situation euh au point de vue euh, rationnement mais je présume qu'elle était bien inférieure à celle des français quoi.

[00:17:13] Lisette: Et supérieure au juifs?

[00:17:16] Claude: Supérieure aux juifs? Je ne sais pas, je n'ai pas de souvenir...

[00:17:21] Lisette: Est-ce que vous aviez senti le [inaudible]? Est-ce que vous avez étés traités comme...où il fallait pas faire des synagogues qui sont plus haut, qu'il fallait pas être sur un cheval et tout?

[00:17:37] Claude: Bon, ça la, vous savez, j'étais, la question c'est que, la question de, de la dhimmitude ne, ne s'est posée que, ne se posait que, qu'avant l'arrivée des français. Voila. Quand les français sont arrivés au Maroc la question de la dhimmitude a été pratiquement levée mais ça n'empêchait pas, ça n'empêchait pas les musulmans de nous...

[00:18:08] Lisette: Rappeler.

[00:18:09] Claude: Oui de, enfin de nous mépriser comme, y'avait des expressions en arabe qui relevaient évidement de la dhimmitude. Mais par exemple, marcher le long d'une mosquée comme c'était les cas, ça non. Parce que y'avait la France et la France nous a beaucoup, nous a bien protégé sur le plan là quoi. C'est, indépendamment de l'enseignement et de l'instruction que nous avons reçu. [00:18:45] Grâce à la France je peux me permettre de dire que elle nous a donnée les outils pour nous soute... nous élever évidemment au point de vue instructions et le moment venu, lorsque nous avons été obligés de quitter le Maroc nous avions des outils pour pouvoir nous, nous arranger ailleurs comme ceux qui sont venus au Canada ou aller en France ou...C'était ça quoi.

[00:19:17] Lisette: Est-ce que vous avez des mémoires de, d'une communauté, de comment vous avez vécu votre communauté juive au Maroc? Est-ce que vous avez des mémoires et des fêtes de pourim, des...quoi que ce soit?

[00:19:33] Claude: [overlap] Oui mais c'était...

[00:19:33] Lisette: Shabat.

[00:19:35] Claude: C'était, c'était, nous avions une vie communautaire et religieuse traditionnelle quoi. Nous allions à la synagogue évidement, les fête on, y'avait les fêtes comme Pessah, comme Pourim comme, c'était, mais ce qui est sûr c'est que au fur et à mesure que notre éducation s'est élevée euh, y'a eu une sorte d'intégration.[00:20:07] Et on s'est un petit peu détaché des, des anciennes traditions mais...c'était surtout ça.

[00:20:22] Lisette: Et votre shabbat, il était comment?

[00:20:25] Claude: Et bien je dois reconnaître que le, le shabbat, bon à la maison c'était shabbat on le, on le, on le respectait mais euh, on était moins attentifs à, au respect intégral du shabbat euh, qu'on ne l'est devenus ici au Canada, à Montréal.

[00:20:50] Lisette: Et disons le dafina, votre maman faisait toujours le dafina?

[00:20:54] Claude: Oui ben, la dafina c'était, c'était le plat traditionnel [overlap]

[00:20:58] Lisette: [overlap] Chaque shabbat?

[00:20:59] Claude: C'était chaque shabbat. C'était le, enfin le, le plat traditionnel qui se faisait et à l'époque comme n'existait pas encore les four électriques et les, on envoyait la dafina dans un four euh, public, c'était comme ça.

[00:21:19] Lisette: Ouais, ouais, ouais.

[00:21:21] Claude: Et qui la cuisait, on l'envoyait le vendredi et ils la faisaient cuire et on allait le cherche, y'avait quelqu'un qui allait nous la chercher ou qui nous l'apportait le samedi midi. C'était, c'était ça la dafina.

[00:21:31] Lisette: Mais c'était kasher? Vous aviez pu avoir le kasher?

[00:21:34] Claude: Oui, le kasher on avait pas de problème avec le kasher au Maroc à Casablanca. Aussi bien pour une viande que touts le reste c'était la cacherout était assez, parce ce que c'était...

[00:21:48] Lisette: Abondante.

[00:21:49] Claude: Oui, C'était une ville où il y avait quand même peut-être plus de 100 000 juifs et l'abatage rituel se pratiquait de façon courante de ce côté là nous n'avons pas eu de problèmes.

[00:22:04] Lisette: Et c'est votre maman qui a fait les achats des, les courses de disons manger?

[00:22:10] Claude: Oui, oui, oui.

[00:22:11] Lisette: Oui.

[00:22:11] Claude: C'est ma mère qui s'occupait de ça.

[00:22:13] Lisette: C'est elle qui, c'est elle qui a fait la cuisine?

[00:22:15] Claude: Oui c'est elle qui faisait la cuisine évidement.

[00:22:18] Lisette: Et est-ce que vous aviez eu des, des gens qui aidaient à la maison? Des domestiques?

[00:22:23] Claude: Oui bien on avait à la maison comme la plupart des personnes nous avions des domestiques en général c'était des domestiques musulmanes qui donnaient euh, enfin qui aidaient à la maison pour le ménage, pour la cuisine, pour les reste.

[00:22:45] Lisette: Est-ce que vous avec des mémoires an faisant des achats au souk?

[00:22:50] Claude: Oui au souk.

[00:22:51] Lisette: Est-ce que vous êtes allés avec votre maman?

[00:22:53] Claude: Oui. Nous nous avi....nous habitions la ville européenne mais le, le, la plupart des marchés, des souks étaient en ville indigène et je me rappelle euh, avoir accompagné mes parents, ma mère par exemple au marché. Je me rappelle très bien, j'ai un très bon souvenir de ça.

[00:23:19] Lisette: Et est-ce que vous, vous jouez au, au backgammon, au...

[00:23:24] Claude: Non, moi je ne joue pas, je...

[00:23:27] Lisette: Votre famille non?

[00:23:28] Claude: Ben...

[00:23:29] Lisette: Aux cartes?

[00:23:30] Claude: Donc dans ma famille on jouait assez aux cartes. J'étais le seul qui ne jouait pas aux cartes. J'étais le seul. Mon père était, à été un, était bridgeur, il jouait beaucoup au bridge, il avait une passion, une passion du bridge et il a gagné d'ailleurs plusieurs tournois et c'était sa passion. [00:23:53] Et tout le monde jouait aux cartes dans la famille. J'étais le seul qui ne trouvait pas d'intérêt à jouer aux cartes. Et je suis resté comme ça. D'ailleurs je n'aime pas les casinos. En fait, ce n'est pas que je n'aime pas les casinos je, quand je vais au casino je, je rentre, je mise tout ce que j'ai et je sors tout de suite après. Ouais, j'ai pas..

[00:24:17] Lisette: Est-ce que...ok, est-ce que vous aviez des amis musulmans ou chrétiens qui venaient vous fréquenter, visiter chez vous? Est-ce que vous...

[00:24:32] Claude: Et bien euh, évidement étant à l'école française euh, j'avais beaucoup d'amis chrétiens, j'avais des amis chrétiens euh, je, évidement c'était une amitié qui se limitait euh, à l'extérieur dans certaines activités. Au lycée j'avais des amis chrétiens et des amis musulmans avec lesquels on s'entendait très bien et on avait de bons rapports. [00:25:08] Jusqu'a ce que arrive la création de l'état d'Israël où les, l'atmosphère a changé du tout au tout et, et après évidemment y'a eu, moi j'avais une pharmacie qui était dans un quartier musulman et j'avais d'excellents rapports avec ma clientèle musulmane. Les gens venaient me dire euh, que ils savaient que j'étais juif mais ils venaient chez moi parce qu'il avaient confiance en moi. [00:25:44] Qu'il laissaient d'autres pharmaciens et qu'ils venaient, ce qui ne les a pas empêché, lorsque la guerre de '67 a éclaté de me créer des problèmes...alors comme par exemple, quand la guerre de '67 a éclaté le 5 juin 1967 je suis arrivé à la pharmacie et j'avais fermé et j'ai trouvé la pharmacie, parce que à l'époque nous avions des, les, des rideaux pour fermer le, le magasin. [00:26:20] Et on fermait avec des cadenas. J'ai trouvé des, dans les cadenas des échardes de bois pour m'empêcher d'ouvrir la porte. Pour m'empêcher oui. J'ai dû appeler un serrurier qui a scié les cadenas pour me permettre d'ouvrir et enfin, j'ai eu des problèmes et donc j'ai, quand j'ai vu ça j'ai fermé, je suis parti mais le, le commissaire de police du quartier m'a demandé de rouvrir la pharmacie. [00:26:56] En me disant que je serais protégé. Donc ça c'était le lundi 5 juin, parce que la guerre de 6 jours à éclatée lundi. Le vendredi je suis retourné, j'ai ouvert la pharmacie et pendant que je servais les, certains clients j'ai vu un garçon musulman à la porte qui empêchait les gens d'entrer dans la pharmacie. Alors je suis sorti, je l'ai un peu bousculé comme ça et il a réussi à aller se faire euh, faire faire un certificat médical un médecin attestant que j'avais voulu l'étrangler. [00:27:39] Alors, c'était vendredi et...

[00:27:42] Lisette: Est-ce qu'il y avait des...des gens qui...

[00:27:44] Claude: Oui.

[00:27:45] Lisette: Qui ont vu ce qui c'est passé?

[00:27:47] Claude: Les gens ont vu mais personne n'a, n'a réagi. Personne...et donc euh, entre-temps bon, y'a eu des histoires, la police est arrivée et euh ma, ma conduit au commissariat de police. Et c'était vendredi soir, j'ai passé tout le vendredi soir euh, au commissariat de police et, à attendre que je n'ai eu mon, enfin, ma...délivrance que grâce à certains amis qui ont, qui étaient au courant de mon affaire et qui sont intervenus pour que ils puissent me libérer, me...

[00:28:28] Lisette: Des amis musulmans ou des amis juifs?

[00:28:30] Claude: Des amis juifs qui ont contactés des amis musulmans qui étaient haut-placés et qui m'ont, qui ont permis de me sortir de là. Bon je suis sorti sans, sans problème en fait, sans, mais après ça j'ai pris la décision de, qui, de partir. C'est à la suite de ça que j'ai...

[00:28:53] Lisette: Et vous êtes partis combien de temps après cette...

[00:28:57] Claude: Ben c'était en juin '67, je suis parti, j'ai fermé ma pharmacie complètement.

[00:29:03] Lisette: Ah, vous n'êtes jamais retournés après ça.

[00:29:04] Claude: Oui je suis retourné pour mettre de l'ordre pour euh...

[00:29:08] Lisette: Le lendemain vous êtes retournés?

[00:29:09] Claude: Non, non, non. Là j'ai fermé carrément. Mais j'ai dû retourner parce que j'avais des médicaments de, de la marchandise que je devais rendre à, aux fournisseurs tout ça pour régler. Mais avec l'intention, pour partir avec l'intention de quitter définitivement le Maroc.

[00:29:31] Lisette: Et vous êtes, vous avez...

[00:29:32] Claude: Je suis allé en France. En France.

[00:29:34] Lisette: En quelle année?

[00:29:35] Claude: Euh 1967.

[00:29:37] Lisette: Ah vous êtes allés tout de suite.

[00:29:39] Claude: Ah tout de suite, oui tout de suite, oui. Non. Non, quand j'ai eu cette euh, cette histoire j'ai dit moi je ne reste pas, je n'avais rien à me reprocher. Je n'avais rien fait qui puisse...et j'étais l'objet ce ça alors que j'avais des, des gens qui venaient me trouver en me disant "On sait que tu est juif mais on vient chez toi quand-même et on a confiance en toi." Tout ça. [00:30:02] Et du jour au lendemain la situation s'est renversée complètement et, alors, j'ai dit moi je ne reste pas dans un endroit comme ça.

[00:30:13] Lisette: Bravo. Bonne décision. Est-ce que vous avez fait le bar mitzvah?

[00:30:16] Claude: Oui j'avais fait ma bar mitzvah oui.

[00:30:19] Lisette: Là bas à la synagogue?

[00:30:20] Claude: Oui à la synagogue, oui, oui.

[00:30:21] Lisette: Oui. Comment s'appelait votre synagogue?

[00:30:24] Claude: Je crois que, la synagogue...j'ai oublié le nom mais...je crois que c'était la synagogue Benisty. Parce que les synagogues portaient le nom, en général de certaines familles qui euh, donnaient le, je me souviens pas ans le détail mais euh, qui donnaient le local et on faisait, on organisait une synagogue et elle portait le nom de la famille.

[00:30:57] Lisette: Ouais.

[00:30:57] Claude: C'était comme ça.

[00:30:59] Lisette: Est-ce que vous avez pu vendre votre maison et votre euh, la pharmacie?

[00:31:04] Claude: Non, je n'ai pas vendu euh bon je n'était pas propriétaire de la maison, nous étions que locataires donc avec ma femme. La pharmacie je n'ai pas vendu. J'ai pas, j'ai fermé et je suis parti. J'ai...

[00:31:19] Lisette: Est-ce que vous [overlap]

[00:31:21] Claude: Au contraire...

[00:31:21] Lisette: ...les affaires au fournisseurs? Est-ce que vous aviez vu avoir l'argent au moins?

[00:31:27] Claude:, Ben, en rendant les, les, les médicaments aux fournisseurs, parce que j'avais, je devais à ces fournisseurs, j'avais des factures.

[00:31:36] Lisette: Ouais.

[00:31:37] Claude: Parce que on nous vendait toujours à 30 mois, 30 jours, 45 jours euh, voilà. Et donc j'ai pu payer comme ça. J'ai payé et étant donné que j'avais un bail avec, dans le local du local, j'ai dû le garder et malgré mon départ, mon père a continué à payer le loyer jusqu'à la fin du bail alors que la pharmacie était fermée. Le local était, j'ai dû payer le bail pendant, pour que mes parents n'aient pas de problèmes. Pour ne pas avoir de, j'ai payé le bail pendant, je sais pas, six, sept mois à peu près. Sans exercer aucune activité.

[00:32:22] Lisette: Et vos parents sont restés au Maroc?

[00:32:25] Claude: Mes parents sont restés au Maroc euh, jusqu'en '75, ils sont restés jusqu'en '75 et mon père est tombé malade et il est venu se faire soigner en France euh, en '74 et il est décédé en France d'ailleurs. Il est enterré en France.

[00:32:47] Lisette: Et qu'est ce qu'il faisait votre papa? Il continuait à travailler ?

[00:32:50] Claude: Oui il continuait à travailler oui.

[00:32:52] Lisette: Qu'est ce qu'il faisait?

[00:32:53] Claude: Ben il était commerçant.

[00:32:55] Lisette: Alors il, ça l'empêchait pas...

[00:32:58] Claude: Non, ça l'a pas empêché. Il a continué à travailler et, parce que passé l'épisode de la guerre des six jours et des, les choses se sont un petit peu...tassés et on a eu, oui c'était, alors y'avait des périodes comme ça mais moi je me disais vraiment. Parce que n'ayant rien à me reprocher je me disais je ne pensais pas qu'un jour j'aurais des problèmes de cet ordre. [00:33:29] Donc j'ai dit, moi du moment que c'est comme ça euh, je préfère quitter. ce pays et aller...en France.

[00:33:40] Lisette: Et juste, je voulais reculer un peu à votre enfance ou quand vous avez grandi, est-ce qu'il y avait des mouvements sionistes chez vous au Maroc? Des organisations de sioniste?

[00:33:56] Claude: [overlap] Ben c'est à dire il y avait des organisations sionistes tout ça.

[00:34:02] Lisette: Jusqu'à quelle année?

[00:34:05] Claude: La vérité c'est que je ne m'en souviens pas très, très bien. J'ai pas le, je ne m'en souviens pas très, très bien. J'ai pas le, en tête le, le détail des années. Mais j'entendais, y'avait des mouvements sionistes et, mais vous savez nous, enfin, dans mon, dans mon milieu à Casablanca euh, nous, je peux dire que nous avions les pieds à Casablanca mais on avait la tête à Paris. [00:34:33] Donc tout ce qui est, la France c'était notre euh, comme notre patrie quoi. C'était euh, tout ce que nous faisions et surtout que nous, étant allés à l'école française et on était très, très dirigés vers la France dont nous avions adaptés tous les, adaptés tous les, toutes les valeurs, tous les principes. C'était...

[00:35:03] Lisette: Alors vous vous participiez...

[00:35:09] Claude: Participer au mouvement sioniste?

[00:35:12] Lisette: Oui.

[00:35:13] Claude: Non. Je n'ai pas participé parce que je, je, je pensais de toute façon, je disais, le jour où je quitterai ce pays c'est pour la France. Parce que j'avais un diplôme français, j'avais euh, alors, je m'étais dit, et pour moi la France c'était la destination naturelle.

[00:35:34] Lisette: Pourquoi vous avez quitté la France?

[00:35:38] Claude: Nous avons quitté la France...parce...nous sommes allés euh, au Venezuela, nous sommes restés sept and au Venezuela parce que ma, la famille de ma femme était établie au Venezuela et bon, nous sommes allés pour euh...

[00:35:58] Lisette: Quelle année vous êtes allés au Venezuela?

[00:36:01] Claude: En 1975. En 1975.

[00:36:06] Lisette: Alors vous êtes restés...

[00:36:07] Claude: De '75 à '82.

[00:36:10] Lisette: Wow.

[00:36:10] Claude: Oui.

[00:36:10] Lisette: Ok. Ça c'est très intéressant. Et pourquoi vous avez quitté la France pour le Venezuela?

[00:36:16] Claude: Ben on a quitté la France parce que...

[00:36:19] Lisette: Qui était l'endroit...

[00:36:21] Claude: Oui c'est vrai mais je ne sais pas. Vraiment ma femme ayant sa famille là bas on pensait, moi je pensais que le Venezuela euh c'était la meill...les États-Unis en Amérique latine.

[00:36:37] Lisette: Ouais. Ouais.

[00:36:40] Claude: Alors mais j'ai déchanté parce que, et je me suis dit non le Venezuela ne...c'est pas l'endroit que, idéal pour moi, ni pour moi ni pour les enfants et c'est là que j'ai décidé de venir au Canada.

[00:36:55] Lisette: Jamais de retour en France?

[00:36:58] Claude: Retourner en France? Oui.

[00:36:59] Lisette: Non, je peux dire pour vivre.

[00:37:01] Claude: Ah pour y vivre? Bien à l'époque oui ça aurait pu se faire mais avec le temps je me rends compte que heureusement j'ai eu la chance. Nous avons eu de la chance.

[00:37:12] Lisette: Oui. Est-ce que vous parliez d'espagnol?

[00:37:15] Claude: Oui, l'espagnol oui. Parce que mon grand-père maternel étant du Maroc espagnol de Tétouan et ma grand-mère en Algérie et tout nous parlions espagnol dans la famille quoi.

[00:37:27] Lisette: Couramment?

[00:37:29] Claude: Oui couramment. Ma mère, enfin ma mère avec se sœurs parlaient espagnol et nous nous comprenions les enfants. Nous ne le parlions pas parc que pour nous il n'y avait que le français qui comptait.

[00:37:43] Lisette: Alors je vais me reculer encore, quand Israël a été fondé 1948 vous aviez 15 ans. Qu'est ce que vous vous rappelez et comment est-ce que ça vous a affecté comme juif?

[00:37:58] Claude: Comme juif euh, affecté sur le plan...

[00:38:01] Lisette: En '48.

[00:38:03] Claude: En '48, non. Nous n'avons pas été affectés parce que la France était encore au Maroc. Et donc vous savez pour nous tant que le France était au Maroc nous étions protégés. Donc nous n'avons pas étés affectés sentimentalement évidement euh, ça nous a fait, je me rappelle toujours de, du samedi ou, qui a suivi parce que la déclaration d'indépendance a été faite par euh, Ben Gurion un vendredi et donc le samedi nous avons appris la nouvelle. [00:38:41] Évidement que il y a eu un période où, qui a suivi, la période qui a suivi ça, nous étions assez embêtés par euh, des mesures euh, prises à notre encontre par les autorités Marocaines mais c'était pas...

[00:38:59] Lisette: Ça vous a pas touché.

[00:39:01] Claude: Ça nous a pas touché principalement.

[00:39:04] Lisette: Alors revenons dans l'année 1956 ou le Maroc est devenu un état...

[00:39:10] Claude: Independent oui.

[00:39:11] Lisette: Comment vous aviez senti? Vous aviez senti fière d'être marocain ou ça vous a pas vraiment touché?

[00:39:20] Claude: Vous savez, moi je savais qu'un jour ou l'autre il fallait partir alors euh, et puis on était, on sentait bien, on sentait bien que on, on était considérés comme, pas comme des citoyens de second ordre mais presque. Et la perspective de, que la France quitte le Maroc évidement faisait que on était pas toujours, on était toujours plus ou moins inquiets quand à l'avenir.

[00:39:59] Lisette: Alors sentiez, vous sentez pas Marocain ou fière d'être marocain.

[00:40:04] Claude: Mais vous savez moi de toute façon j'étais français par ma mère donc j'étais marocain par mon père mais j'étais français par ma mère et j'ai fait, j'avais fait toute me scolarité, mes études en France, si bien que je me sentais français.

[00:40:24] Lisette: Et pendant la guerre avec Israël et l'Égypte en '56 comment ça vous a touché?

[00:40:30] Claude: Ben la guerre, comme tous les juifs du monde entier évidemment, nous avons étés touchés parce que nous suivions les, les nouvelles, l'évolution de, de la situation. Et nous...nous étions toujours inquiets tant qu'à l'issue de la guerre surtout que c'était Nasser qui gouvernait l'Égypte à l'époque et qui ne...qui, bon surtout...[00:41:01] C'est surtout la guerre de '67 dont j'ai des souvenirs bien précis où je me rappelle que le, le secrétaire de la Ligue arabe avait réuni une conférence à, au Caire euh, quand l'Égypte a menacé, quand Nasser a menacé Israël et de cette, lors de cette conférence il était entouré de journalistes et il leurs a dit, "Bon alors, quand le conférence s'est terminée, Je vous donne rendez-vous à Tel Aviv." [00:41:37] Dans une terrasse de café de Tel Aviv parce qu’il pensait euh, envahir l'Israël et réduire Israël et, bon, ça c'était en '67. La guerre a éclatée le 5, le lundi, le vendredi Israël avait gagné la guerre, c'était pour nous, ça été euh, miraculeux et quelque chose d'extraordinaire. [00:42:08] C'était, et vraiment j'ai, je, je me souviens écouter la radio le vendredi soir où on annonçait la défaite de l'Égypte, la joie que nous avons eu et...

[00:42:28] Lisette: Et qu'est-ce que, quels sont vos sentiments en regard du, du roi du Maroc? comment vous sentez?

[00:42:39] Claude: Eh bien le roi du Maroc de, à mon époque, au début c'était Mohamed V, il était très bien disposé à l'égard des juifs mais il ne pouvait pas euh, faire tout ni empêcher, il recevait la communauté juive, il avait toujours une certaine affection pour la communauté juive. Il disait "Je vous protège." C'est vrai mais la vie de tous les jours était bien différente. Nous avion, y'avait une discrimination au sein de la population et nous étions l'objet de euh, d'insultes et de, de choses comme ça quoi.

[00:43:42] Lisette: Je pense que vous avez déjà, vous nous aviez parlé de la...est ce que, si vous faisiez part d'une organisation non juive.

[00:43:53] Claude: Oui.

[00:43:54] Lisette: De sport, travail, de travail?

[00:43:57] Claude: Oui, le travail, oui.

[00:43:59] Lisette: Mais est-ce que autre chose de jouer ...

[00:44:03] Claude: Non, on était plutôt, en fait, plutôt dans le milieu français en général au point de vue sport, point de vue...

[00:44:11] Lisette: Qui est milieu français avec non-juifs?

[00:44:15] Claude: Des non-juifs, oui, oui.

[00:44:17] Lisette: Oui, avec les sports.

[00:44:19] Claude: Voilà.

[00:44:20] Lisette: Des chrétiens?

[00:44:21] Claude: Des Chrétiens oui, des chrétiens oui.

[00:44:22] Lisette: Des musulmans aussi?

[00:44:25] Claude: Des musulman un peu moins. un peu moins.

[00:44:29] Lisette: Et au travail c'était, vous aviez des clients musulmans?

[00:44:33] Claude: Au travail comme j'étais installé dans un quartier musulman j'avais ouvert une pharmacie dans un quartier musulman la totalité de ma clientèle était musulmane. Mais j'entretenais de très bonnes relations avec eux. Très, très bonnes. Je me rappelle même, C'est un, un détail mais de voir un musulman rentrer dans la pharmacie, étaler un tapis et se mettre à faire la prière. [00:45:02] si bien que je me suis, je me demandais mais est-ce qu'il ne sait pas que, qu'il est chez un juif? Parce que pour les musulmans le juif c'était quelqu'un de...de très [inaudible] de, presque impure et presque, mais ça n'empêchait pas que j'avais, et que les musulmans venaient chez moi me demandaient de, parce que à l'époque la pharmacie euh, le pharmacien faisait beaucoup de conseils. [00:45:34] Les gens venaient et ils vous disaient "Voilà j'ai mal ici, j'ai ceci, j'ai cela" alors on leur conseillait des médicaments, "Bon tu vas prendre ceci." Quand ça restait dans le cadre de notre, de nos activités de pharmacie. Et donc on leur conseillait et très souvent ils revenaient en disant, vraiment, les médicaments que toi tu me donnes sont très bons. Tu me donnes de très bons médicaments, c'est très bien. [00:46:01] Et ça ne les a pas empêché, quand la guerre de '67 a éclaté de me, faire les problèmes que j'ai eus.

[00:46:08] Lisette: Oui, oui, oui. Et en tout cas avec eux vous parliez arabe?

[00:46:13] Claude: Ah oui je parlais l'arabe oui.

[00:46:14] Lisette: Pas le français.

[00:46:14] Claude: Oui, d'ailleurs.

[00:46:15] Lisette: Vous parliez le français avec les musulmans ou très peu?

[00:46:18] Claude: Euh, c'est à dire, la, y'avait une, une tranche de la population musulmane qui parlait français mais la grande majorité ne parlait qu'arabe. Le grande majorité parlait arabe.

[00:46:35] Lisette: Alors finalement vous avez quitté en '67.

[00:46:38] Claude: '67 c'est ça. Après la guerre des 6 jours.

[00:46:41] Lisette: Après la guerre des 6 jours, après avoir eu des problèmes...

[00:46:43] Claude: Des problèmes oui. Sinon je ne serais pas parti quoi si je n'avais pas eu...

[00:46:50] Lisette: Est-ce qu'il y avait des, disons, ils ont essayés de, de faire mal aux juifs, de frapper, de...

[00:47:03] Claude: Oui, il y a eu, mais oui il y a eu des juifs qui étaient, qui ont étés molestés...

[00:47:09] Lisette: Molestés...

[00:47:10] Claude: Oui évidement. C'est sûr y'a eu...

[00:47:13] Lisette: En groupe? En groupe, est-ce qu'il y avait des groupes qui venaient attaquer ou quoi?

[00:47:17] Claude: Y'avait, y'avait des groupes, y'avait des, des actions individuelles évidement. On entendait parler de, je n'ai pas été ni attaqué, ni, je peux pas dire à part l'incident que j'ai eu à la pharmacie.

[00:47:35] Lisette: Qui est assez grande.

[00:47:36] Claude: Oui. Ben qui était capitale, qui était très important à part ça je n'ai pas eu de problèmes personnels parce que j'habitais évidement en la ville européenne donc en ville européenne en général les musulmans venaient pour travailler mais on était relativement protégés par...

[00:48:00] Lisette: Et y'avait pas de, de lois antisémites ou anti juifs chez, au Maroc évidement.

[00:48:07] Claude: Ben euh, y'a eu les, les seules lois anti-juives qui ont eu lieu c'était au moment de Vichy, quand y'a eu les, les règlements de Vichy qui, qui imposaient de, de renvoyer dans les administrations par exemple les juifs ou les élèves juifs dans les écoles françaises. [00:48:34] Y'a eu ça. Bon, évidement la France étant, ayant le protectorat sur le Maroc favorisait toujours plutôt les français quoi. C'était...parce que tout au Maroc, surtout à Casablanca était sous l'administration française. [00:48:58] C'était d'ailleurs la France je garde un souvenir de, de Casablanca, une très belle ville, en fait la ville que, Européenne ou nous vivions qui était, où tout avait été organisé par la France. Les administrations, les banques, les, en fait les...les parcs les...tout était, les hôpitaux, les routes, tout ça, c'est la France qui a laissé un pays organisé, un pays vraiment modèle.

[00:49:36] Lisette: Euh vous avez pris avec vous, juste vos habits. Est-ce que vous avez pu vendre ce que vous aviez dans la maison?

[00:49:46] Claude: Non on a fait un...

[00:49:48] Lisette: Vous n'avez rien laissé comme maison, comme...

[00:49:51] Claude: Maison nous étions euh, locataires de l'appartement où nous vivions et nous avons pu faire un cadre de déménagement pour la France. On a mit tous nos, tout ce que nous avions à la maison dans un cadre et c'est parti vers la France.

[00:50:13] Lisette: Vous avez rien quitté?

[00:50:15] Claude: Non.

[00:50:16] Lisette: Et vous avez vécu où à Paris? En France?

[00:50:23] Claude: Ben en France nous avons habité dans la banlieue de Paris. Moi j'avais ma pharmacie. J'avais une pharmacie à Paris et..

[00:50:32] Lisette: Où à Paris?

[00:50:33] Claude: Au, Boulevard Magenta dans le 10ième arrondissement. Pas loin de la Place de la République dont on parle beaucoup maintenant. Et nous habitions euh dans la banlieue, la banlieue nord près d'Enghien-les-Bains par là-bas. Et c'est, alors je descendais tous les jours en train à la pharmacie et je remontais le soir et c'est comme ça, c'est ce que nous avons vécu là-bas, en banlieue.

[00:51:04] Lisette: C'était très facile de s'adapter à la France?

[00:51:07] Claude: Oui, c'était, vous savez, come je vous l'ai dit, nous avion les pieds à Casablanca, la tête à Paris alors pour nous la France c'était le, la destination naturelle, c'était pas, on arrivait, on savait tout, on savait...

[00:51:23] Lisette: Et les enfants ils sont allés à l'école?

[00:51:27] Claude: Les enfants...

[00:51:27] Lisette: ...très facilement.

[00:51:29] Claude: Oui, nous avions, nous avions quand nous sommes arrivés en France nous avions deux enfants qui sont allés à l'école facilement sans problèmes quoi. Mon fils est né et ma fille et euh, ils sont allés à l'école sans problèmes. Après nous avons eu deux enfants et, qui sont, qui ont aussi, qui étaient jeunes mais qui ont commencé leurs é...leur scolarité dans les écoles françaises quoi.

[00:51:55] Lisette: Et puis êtes allés à Venezuela.

[00:51:57] Claude: Nous sommes, c'est là que nous sommes allés, au Venezuela, oui.

[00:51:59] Lisette: Ils ont appris l'espagnol.

[00:52:00] Claude: Ils ont appris l'espagnol, évidement. Ils sont allés à l'école juive parce que au Venezuela y'avait une école juive et c'est ça. Bon ils ont appris l'espagnol mais on continuait à parler le français à la maison. À la maison le français c'était notre langue maternelle.

[00:52:18] Lisette: Est-ce que vous aviez besoin de l'aide de JIAS, de JIAS?

[00:52:23] Claude: Euh...

[00:52:24] Lisette: Est-ce qu'ils ont aidés?

[00:52:24] Claude: Non, j'ai pas eu besoin de l'aide de JIAS, non, non. J'ai, j'avais été en contact avec la JIAS quand nous étions au Maroc avant mais pas.. par la suite non. Nous sommes venus par nos propres moyens.

[00:52:45] Lisette: Euh est-ce que vous êtes [inaudible] ici en France?

[00:52:50] Claude: Oui ici je [overlap] au Venezuela j'ai, on allait dans une synagogue qui était, qui, qui appartenait à mes beaux parents qui portait le nom de mon beau-père d'ailleurs et ici je suis membre de la synagogue Or Hahayim à Côte-St-Luc.

[00:53:15] Lisette: Euh, est-ce que vous vous êtes impliqués dans des organisations juives ici, là?

[00:53:24] Claude: Pas spécialement, non. Pas spécialement.

[00:53:26] Lisette: Et vous avez visité l'Israël?

[00:53:29] Claude: Oui, oui, oui, je suis allé deux fois en Israël oui.

[00:53:32] Lisette: Quand était la dernière fois?

[00:53:34] Claude: Ben la dernière fois ça remonte loin. C'était en '96. 1996.

[00:53:38] Lisette: Ça changé depuis...

[00:53:39] Claude: C'est ce qu'on me dit oui. C'est [overlap] ce qu'on me dit. Le problème d'Israël....pour nous c'est que enfin, pour moi c'est que... c'est quand même un voyage très long et qui n'est pas euh, y'a pas de, on est obligés de passer d'un, d'un endroit à l'autre, d'un pays à l'autre, c'est pas la porte à côté quoi.

[00:54:06] Lisette: Ouais, ouais, ouais. C'est vrai. Alors vous, vous avez quitté la France parce que votre femme...

[00:54:12] Claude: Avait sa famille au Venezuela, qui était établie depuis très longtemps là bas oui.

[00:54:18] Lisette: Alors c'était 1975.

[00:54:20] Claude: Oui, c'est ça, en '75.

[00:54:23] Lisette: Et euh vous êtes restés au Venezuela combien d'années?

[00:54:27] Claude: Sept ans nous sommes restés au Venezuela.

[00:54:29] Lisette: Sept ans. Et vous avez quitté le Venezuela parce que ce n'était pas...

[00:54:35] Claude: J'ai quitté le Venezuela parce que ce que j'avais réalisé que ça ne pouvait pas être un pays d'avenir. Je me sentais quand même une certaine responsabilité vis-à-vis les enfants. Et je me disais, je ne vois pas mes enfants grandir dans ce pays là, ni avoir un avenir dans un pays comme le Venezuela. [00:54:59] Et j'ai eu raison parce que maintenant c'est la catastrophe quoi. C'est...

[00:55:03] Lisette: Oui, oui, oui.

[00:55:04] Claude: Enfin, avec le temps...

[00:55:07] Lisette: Vous avez fait de très bonne décisions.

[00:55:10] Claude: Oui, j'ai...

[00:55:10] Lisette: Au bon temps.

[00:55:12] Claude: Oui.

[00:55:16] Lisette: Alors quand vous êtes venus ici est-ce que vous aviez de la famille à Montréal?

[00:55:20] Claude: Oui, quand je suis venu ici, enfin j'avais euh, ma sœur qui habitait ici avec son mari, M. Halsélem [sp?] qui est, qui lui est un, un très impliqué dans la communauté sépharade et il s'est toujours occupé là et il était pharmacien aussi lui et alors je, j'ai eu le soutien de ma sœur, de mon beau-frère qui m'ont beaucoup aidé quoi pour démarrer.

[00:56:07] Lisette: Alors comme identité, comment vous vous voyez? Juif? Français? Quoi? Qu'est ce que c'est votre identité à vous maintenant?

[00:56:25] Claude: Moi, évidement, mon identité est juive. Ma culture est française, je ne peux pas, j'ai quand même, ne serais-ce que, j'ai quand même, vis-à-vis de la France une certaine reconnaissance pour le, l'instruction que, que j'ai reçu. D'avoir pu faire mes études en France. [00:56:56] C'est pour moi le France c'était tout quoi. C'était comme, surtout que chez nous on a quand même…chez les juifs parmi les valeurs de judaïsme il y a une valeur qui s'appelle hakara totov [sp?], la reconnaissance du bien. J'ai quand même une reconnaissance ne serait-ce que le fait que la France est arrivée au Maroc, a pu nous libérer euh et nous permettre de nous élever et le moment venu, de pouvoir, d'avoir les outils nécessaires pour pouvoir quitter précipitamment le Maroc quoi. [00:57:41] Donc je me sens, c'est sûr que je me sens très français. Bien que les, les évènements actuels me peinent un peu. Avec la, la déclaration de, de, à l'UNESCO ça m'a fait beaucoup de, ça m'a beaucoup touché la dernière euh, initiative où la France à voté pour le résolution niant le, le droit des juifs sur le Mont du temple et, et suggérant même que les juifs avaient manipulés les, les recherches archéologiques en installant...[00:58:27] Oui on reproche aux israéliens d'avoir installé des tombes juives à Jérusalem en certains endroits pour faire valoir que les juifs étaient là à ce moment là que enfin...et ce qui me peine le plus c'est que la résolution a été voté avec l'appui de la France. Que la France a voté pour la résolution. Alors que contre cette résolution les États-Unis ont voté contre, les Pays-Bas ont voté contre, l'Angleterre a voté contre, en fait les États-Unis hein?

[00:59:07] Lisette: Le Canada?

[00:59:08] Claude: Non, le Canada ne faisait pas parti de...de la, du conseil des, de ce, je crois que c'est le conseil des droits de l'homme. Je sais pas mais y'a plusieurs pays mais ce qui m'a le plus peiné c'est que de voir que la France avait voté cette résolution. Ce qui est une résolution absolument insupportable, enfin, vraiment, c'est un mensonge. C'est nier la vérité. [00:59:39] C'est reconnaitre que le peuple juif n'a aucun droit sur le Mont du temple c'est nier la vérité et une chose comme ça, surtout que quand même, quand on pense à la France on pense toujours au grandes valeurs, la loyauté, la vérité, les grandes valeurs que ça vienne de la France ça m'a beaucoup touché.

[01:00:05] Lisette: Oui. C'est très pénible. Est-ce que vous vous considérez comme un réfugié un migrant, un immigrant? Qu'est ce que vous...

[01:00:16] Claude: Je me considère comme immigrant évidement mais...

[01:00:21] Lisette: Juif?

[01:00:22] Claude: Je...la vérité, oui, évidement juif errant ben je peux pas le nier c'est sûr. J'ai fait tellement de pays moi qui était quelqu'un de très stable je ne pensait jamais qu'un jour j'irais d'un pays à l'autre et que c'était pas du tout dans mon...mais je dois reconnaître que, en fait, j'aime beaucoup le Canada. Je...et je suis très content d'avoir fait le choix d'être venu au Canada [01:00:57] Et si y'a un indice qui ne trompe pas c'est que quand je pars en voyage et que je suis de retour avant, quand j'étais dans les autres pays, quand l'avion allait atterrir je disais "Oh, encore dans ce pays, encore." J'appréhendais.

[01:01:13] Lisette: Même en France? Même en France?

[01:01:14] Claude: Non, en France un peu moins. Mais le seul endroit ou je reviens avec plaisir c'est à Montréal. Et j'aime beaucoup Montréal.

[01:01:24] Lisette: C'est très beau.

[01:01:25] Claude: Je me, malgré que je ne suis, je sois immigrant mais je trouve que, j'aime beaucoup cette ville et je me sens bien et je, et évidement habitant Côte-St-Luc c'est encore mieux quoi?

[01:01:41] Lisette: Ouais. Quelle identité voulez vous passer à vos enfants?

[01:01:50] Claude: Ben principalement l'identité juive. Principalement l'identité juive.

[01:01:57] Lisette: Et chez vous, maintenant, c'est...le Canada? La France?

[01:02:03] Claude: Ben vous savez, euh, suite à notre histoire évidement on a plusieurs identités bon. Y'a le, le, Israël, y'a la France, y'a le Canada. Bon mais on...

[01:02:18] Lisette: Et où est-ce que vous considérez comme chez vous?

[01:02:24] Claude: Je considère que je suis chez moi au Canada. Canada. Bien que je, je m'intéresse beaucoup à la, à Israël et je...

[01:02:40] Lisette: Est-ce que vous êtes jamais retournés au Maroc?

[01:02:42] Claude: Oui, je suis retourné en voyage quelques fois oui. Quelques fois.

[01:02:47] Lisette: Comment ça vous a frappé?

[01:02:49] Claude: Euh pour dire la vérité, euh, je n'ai pas eu de problèmes personnels mais je ne me sens jamais à l'aise au Maroc. Parce que je me dis euh, entouré de, d'arabes, de musulmans, je me dis qu'est ce qu'ils peuvent penser de moi. On est, je ne suis pas à l'aise.

[01:03:15] Lisette: Est-ce qu’ils vous ont reconnu? Est-ce que vous avez fréquenté des endroits où vous étiez, la pharmacie où vous étiez?

[01:03:21] Claude: Oui...

[01:03:21] Lisette: Les gens que vous...les avez?

[01:03:24] Claude: [overlap] Non, mais, non mais, mais en ville là où nous allions évidement, le, y'avait plus ils reconnaissaient bien les, ils faisaient bien la distinction entre ceux qui étaient des musulmans et ceux qui étaient des juifs.

[01:03:38] Lisette: Mais est-ce que quelqu'un vous a reconnu comme son pharmacien?

[01:03:42] Claude: Non, j'ai pas, chu pas retourné dans le quartier où j'étais, j'ai...

 [01:03:47] Lisette: Vous avez pas cherché...

[01:03:48] Claude: Non j'ai pas cherché non. Mais sur le plan général comme je vous le dis, je ne me sens pas à l'aise. Je ne me sens pas à l'aise de retourner dans un pays....

[01:04:02] Lisette: Alors la dernière question, quel est le message que vous voulez donner à quelqu'un qui va entendre cette entrevue?

[01:04:13] Claude: Eh bien, moi je donnerais un message d'espoir. C'est qu'il ne faut jamais désespérer. Mon exemple est là, malgré les, les, les déménagements et les tribulations dont nous avons été l'objet, bon on est maintenant, dieu merci les enfants sont établis ici, ils sont, euh, les petits enfants aussi, on est très satisfaits et surtout on a retrouvés ici une, en fait un milieu juif beaucoup plus proche de, de notre tradition que nous ne l'avions eu ailleurs. [01:04:54] Et ça je trouve que c'est très important. C'est, c'est quelque chose de très, très important.

[01:05:01] Lisette: Vos enfants sont mariés avec des juifs tous?

[01:05:04] Claude: Oui tous, tous sont mariés avec des juifs. Oui, oui. C'est pas, c'est très, ça aussi c'est un point très important.

[01:05:15] Lisette: Merci beaucoup d'avoir participé avec Sephardi Voices. C'était un plaisir de vous rencontrer. Merci beaucoup.