Charles Lugassy
[00:00:01] Lisette: Merci beaucoup de consentir de faire euh, de faire l'entrevue avec Sephardi Voice. On apprécie beaucoup votre présence. Euh, je vais commencer, s'il vous plaît, dis nous votre nom, la date de votre naissance euh, où étiez vous nés et le pays.
[00:00:23] Charles Lugassy: Mesdames messieurs, bonjour. Mon nom se Charles Lugassy. Je suis originaire du Maroc, de Marrakech plus précisément. Je suis né à Marrakech et j'ai vécu à Marrakech jusqu'à l'âge de 17 ans, date à laquelle j'ai quitté le Maroc pour venir immigrer au Canada avec le reste de ma famille en 1968, plus précisément, en juin 1968.
[00:00:58] Lisette: Merci. Alors, le pays où vous êtes nés c'était le Maroc euh....
[00:01:03] Charles Lugassy: C'est le Maroc, c'est à Marrakech.
[00:01:05] Lisette: À Marrakech.
[00:01:07] Charles Lugassy: À Marrakech
[00:01:07] Lisette: Ok.
[00:01:07] Charles Lugassy: Une ville fabuleuse dans le monde et qui est, est très prisé pas tout ce qui est vedette euh, que ce soit des vedettes françaises, en France, qui viennent et qui en ont fait un petit peu leur, leur résidence secondaire. Alors tout le monde va à Marrakech maintenant, c'est very much in fashion to go to Marrakech. [00:01:31] Pourquoi? Parce qu'ils ont là bas, développé ce qu'on appelle des riads. Le riad c'est une maison arabe qui, à l'époque, n'est-ce pas, comportait une espèce de cour avec un étage et ces maisons arabes ont étés développés euh, beaucoup par des investisseurs français et ils en ont fait des petits palaces personnels. [00:01:55] C'est à dire, le riad se trouve en général dans une petite rue qui ne paie pas de mine, une rue d la médina, une rue très quelconque mais grâce aux investisseurs français beaucoup de grands couturiers français sont venus s'installer là, ou des grandes vedettes de la télévision, des artistes, etc. Alors ce qu'ils ont fait c'est qu'ils ont développés ça. Ils ont rénové le tout et alors, d'abord de l'extérieur ça paie pas de mine. [00:02:27] On voit une porte normale et quand on rentre à l'intérieur on y trouve un palace. Et ça c'est, c'est fabuleux et c'est de plus en plus fréquenté les touristes qui aiment maintenant, parce qu'ils ont fait de ces riads certains en ont fait des hôtels, des hôtels. Ce sont des hôtels cinq étoiles mais perdus dans la médina. [00:02:47] C'est à dire dans les petites rues, les petites rues et alors les gens aiment ça parce qu'ils ont à la fois le dépaysement, n'est-ce pas, du euh, du riad et le luxe et le confort d’un hôtel cinq étoiles. Alors c'est une très beau mariage et qui a beaucoup de succès au Maroc. Y'a a riad fabuleux, par exemple le riad Lamrani à Marrakech qui est très beau, très bien côté ils ont, en plus là bas, ils ont, n'est-ce pas des, de la restauration française, etc. [00:03:17] C'est des restaurants à l'intérieur ces riads, de ces hôtels et qui font que c'est très recherché.
[00:03:25] Lisette: Et...
[00:03:25] Charles Lugassy: Par contre nous, nous peut-être une précision, nous qui avons vécus au Maroc, nous avons vécu dans les mellah. Les mellah ce sont des quartiers fortifiés, c'est à dire fermés, avec des murailles, avec des murailles et avec une porte principale et c'est là que nous avons été élevés et où nous avons grandi. [00:03:49] Les mellah c'était des espèces de ghettos. Pourquoi? Parce que les juifs à l'époque s'en trouvaient rassurés étant donné qu'ils vivaient dans un quartier protégé par des murailles et avec une porte principale qui se fermait le soir venu. Donc ça empêchait d'éventuels attaques de la part de la population environnante. [00:04:14] Et beaucoup de juifs du Maroc ont vécu dans des mellah de la même façon qu'il y avait des ghettos, comme le ghetto de Varsovie ou ailleurs. Eh ben nous notre ghetto s'appelait le mellah et vous retrouvez des mellah dans toutes les villes du Maroc. Dans la plupart des villes du Maroc il y avait donc ces mellah. C'est là que nous avons vécu pendant de nombreuses années parce que c'était une façon à la fois de nous ghettoiser, de nous séparer du reste de la population. [00:04:44] Et en même temps, une volonté de nous protéger. Y'avait un mélange des deux. Alors on a jamais su le fin beau [?] c'est si on étaient refermés sur nous même par force ou si on essayait de nous protéger. Toujours est il que dans l'esprit des gens c'était pour avoir un espèce de, de confort et les juifs vivaient entre eux. À telle enceigne par exemple que dans le mellah le shabbat, alors que les juifs n'ont pas le droit de transporter, n'est-ce pas, ben le shabbat, ils pouvaient transporter parce que le, le quartier était fermé.
[00:05:20] Et tout ce qui est fermé, n'est-ce pas, ça permet le transport pendant le shabbat. Alors, ils faisaient des échanges à l'intérieur. Ils faisaient des échanges du style nourriture par exemple. Alors par exemple, la marmite de madame un tel pour la dafina, le repas typique du shabbat juif marocain, alors la marmite se transportait d'une maison à l'autre, du four, du four ou chaque juif, oui, chaque famille envoyait, parce qu'il n'y avait pas, comme ici, maintenant le modernisme, on avait pas des fours Miele avec le, les températures du shabbat avec le, le, la possibilité de mettre le four de shabbat. [00:06:00] Alors là bas y'avait un grand four, n'est-ce pas? Qui était supervisé par un, un musulman, par un Arabe. Et chaque famille envoyait sa marmite. Alors elle, elle attachait sa marmite avec un fil de fer et avait sa, sa couleur propre. Alors là, de telle enceigne que la dafina, qui est le repas traditionnel des juifs du Maroc, qu'on mange le shabbat midi, et je vous invite à venir la manger. [00:06:31] Vous verrez que c'est, c'est délicieux. Alors donc, la marmite était portée au four, ce four qui était alimenté par un musulman, un Arabe avec lequel on entretenait de très bonnes relations cordiales. Alors lui, il supervisait et il surveillait les dafina et le, le shabbat midi venu, chacun récupérait sa dafina. [00:06:56] Alors la marmite de madame elle est rouge et la marmite de l'autre elle est verte et la marmite de truc et, et, à ma connaissance, en tout cas, ce, le souvenir que j'en avait c'est qu'il y avait très rarement des erreurs, c'est à dire, "Ah tu m'as pris ma dafina." Ça c'est pratiquement jamais vu. Et, qui plusait, parfois, elles étaient transportées donc par un euh, Musulman qui, lui la prenait et allait la porter à madame un tel. [00:07:21] Et c'est comme ça qu’on, on mangeait le shabbat dans les mellah hein6 Parce que c'était une vie communautaire mais très intense, étroitement tissé c'est à dire. C’était très euh, euh très friendly, I would say.
[00:07:37] Lisette: Combien de monde y avait-il? Il n'y a qu'un seul mellah ou est-ce qu'il y a beaucoup de mellah?
[00:07:43] Charles Lugassy: Non, alors dans chaque ville, dans chaque ville, importante, chaque ville importante. Comme Marrakech, par exemple, n'est-ce pas? À Marrakech, y'avait un mellah. Y'a avait un seul mellah. C'est à dire, un seul quartier qui était désigné pour les juifs. Avec le temps, avec le temps, et l'évolution, n'est-ce pas? Alors les, les, les mellah ce sont pas désagrégés, elles se sont vidées de leurs populations et les populations juives ont commencé à avoir une espèce de migration vers les quartiers plus européens. [00:08:22] Ce qu'on appelait, par exemple, à Marrakech le guéliz. Alors y'avait des familles juives qui quittaient, qui quittaient le mellah pour aller s'établir, n'est-ce pas? L'évolution étant, pour aller s'établir dans le guéliz. Alors le guéliz c'est la ville moderne. La ville où vivaient les français par exemple. Les français qui ont colonisés le Maroc, étant donné que le Maroc était sous protectorat français jusqu'en 1956. [00:08:48] C'est à dire, ça relevait de la France.
[00:08:52] Lisette: Alors qui, alors c'était pas forcé le mellah pour les juifs. C’était...qui la, qui la...[overlap]
[00:08:59] Charles Lugassy: Alors à l'époque, au début dans les années 1800, n'est-ce pas, il y avait une espèce de contrainte et c'était, on, c'était une façon de différencier les juifs du reste de la population, n'est-ce pas?
[00:09:18] Lisette: Par le gouvernement.
[00:09:19] Charles Lugassy: Voilà, c'était, c'était, en quelque sorte , euh, on vous conseille, pour votre bien, d'être dans le mellah parce que le soir venu les portes du mellah, les portes principales, se fermaient. Elles étaient verrouillés et donc quand vous êtes là bas à l'intérieur, vous êtes entre juifs. Donc si vous êtes entre vous, entre frères, il n'y aura ni l'arsin, ni vol, ni attaque, ni brutalité, aucun risque, n'est-ce pas? [00:09:51] Alors c'était comme ça la conception initiale. Le ghetto c'est toujours ça. C'est à la fois euh, un repli sur soi même, mais c'est aussi une façon de se protéger d'éventuelles attaques extérieures. Voilà.
[00:10:08] Lisette: Mais qui verrouillaient les portes?
[00:10:11] Charles Lugassy: Alors c'était, verrouillent...
[00:10:13] Lisette: Par l'intérieur ou l'extérieur?
[00:10:14] Charles Lugassy: C'était verrouillé de l'intérieur. De l'intérieur. Donc c'était, c'était une façon de se protéger, de s'auto-protéger. Mais avec le temps, les choses ont évolués et elles ont évolués à telle enceigne qu'après les juifs ont mis gré dans le reste de la ville, etc. Donc ça c'est juste pour la petite histoire de l'histoire de, des juifs du Maroc et uh, y'a bien des écrivains, des historiens qui ont, qui ont parlé uh, beaucoup et, et qui ont bien décrit tout cela. [00:10:45] Sur, euh, l'histoire des juifs du Maroc, n'oubliez pas les Juifs du Maroc étaient au nombre de 250 000 dans les années '48-'50. 250 000 juifs. C'est énorme. C'est énorme. Maintenant il en reste peut-être trois, quatre mille. Trois mille, quatre mille comme ça grossomodo. [00:11:08] Y'a - à Marrakech il doit y avoir une poignée peut-être, une cinquantaine, une centaine et à Casa, à Casablanca c'est là où y'a le gros des juifs du Maroc. Ensuite y'a Mekenès, y'a Fez, y'a Rabbat, y'a Tangers. Chacun a une petite poignée. Bien sur y'a eu une immigration massive vers Israël à partir de la création de l'état d'Israël en '48. Les juifs du Maroc ont, se sont déplacés massivement. Comment, qu'est-ce qui c'est passé? [00:11:38] C'est que la, les juifs sionistes, n'est-ce pas, mandatés par le gouvernement Israélien sont arrivés et ont été chercher des juifs qui vivaient même dans al montagne, dans les endroits les plus reculés. Que vous sachiez, les juifs du Maroc c'est ce qu'on rapport, sont présents au Maroc depuis la destruction du premier temple, pas le second, du premier temple. [00:12:03] Donc ça veut dire depuis la destruction du premier temple, ils se seraient déplacés, ils auraient voyagés, ils seraient venus s'établir, n'est-ce pas, jusqu'au Maroc. Alors ils ont plus de 2000 ans, c'est énorme, 2000 ans de présence. Ajouté à cela, il y a eu aussi, dans les tribus des berbères qui vivaient dans le montagnes. Les berbères, n'est-ce pas, c'est, c'est, c'est comme euh, on dirait chez les Musulmans, c'est une ethnicité, hein?[00:12:34] Les berbères alors, les Amazighs eux ont dit d'eux, qu'il y en a qui se sont convertis au judaïsme et ont dit aussi des juifs qui se sont convertis, qui sont devenus berbères. Et c'est pourquoi nous avons, avec les berbères et avec les amazighs, on a une très grande proximité parce que certains d'entre aux seraient des juifs convertis, ou seraient d'origine juive. [00:13:01] Donc si il fallait remonter aux sources, les berbères, par exemple, nous sont très proches. Et les juifs ont vécu parmi les berbères pendant de nombreuses années et ils ont développé une très grand proximité, notamment, dans les montagnes. Dans les montagnes, et c'est là que la alya juive est venue les chercher, la alya israélienne est venue chercher ces juifs qui vivaient dans les montagnes et qui vivaient euh, d'un style de vie quasiment moyenâgeux. [00:13:35] Ils vivaient comme les berbères dans les montagnes, près d'une source d'eau et c'est là qu'on a retrouvé beaucoup des tskadikim, beaucoup de rabbanim qui ont vécu dans les endroits les plus reculés. À telle enceigne que maintenant quand vous allez au Maroc et que vous voulez pèleriner un, un saint, un tsadik juif, un rabbin, vous trouvez toujours sa tombe dans des endroits reculés. [00:14:01] Alors il faut emprunter des petites, des petites routes, des chemins rocailleux, etc. Parfois même il faut y aller à dos d'âne, à dos d'âne pour pouvoir y accéder. Pour retrouver ces rabbanim et ces tzadikim. Et le Maroc est à l'extérieur d'Israël, le pays qui compte le plus grand nombre de tzadikim, d'hommes saints, de rabbanim, de rabbins par, dans, dans ce, dans ce pays là. C'est pas compliqué. [00:14:37] N'importe quelle ville au Maroc a à proximité des quantités, des quantités de rabbins qui sont enterrés là bas. C'est donc qu'il y a eu une présence de Torah immense et que elle ne s'est pas reflétée dans le monde d'aujourd'hui à se juste valeur. C'est à dire, ces rabbanim ont étés des, pour la plupart des très grand versés dans la torah. [00:15:09] Mais étant donné que le livre n'existait pas, la publication écrite n'existait pas, n'est-ce pas, ils n'on pas pu, contrairement aux juifs européens, qui eux on pu diffuser leurs connaissances et leurs histoires. Ils ont pu les diffuser alors que nous, étant donné qu'on était à court, n'est-ce pas, il n'y avait pas l'impression, l'impression remonte à Gutenberg. [00:15:33] Y'avait pas d'impression donc comment on allait faire pour diffuser tout cela? Alors on retrouve des manuscrits. Des manuscrits, écrits de la main, de, du rabbin en question. On les retrouve et maintenant y'a une maison à Jérusalem, une maison d'impression qui essaye de publier tous ces écrits, tous ces écrits qui sont des écrits d'une très grande valeur mais qui n'ont pas rendus justice à l'apport des juifs Marocains et des rabbanim juifs marocains, n'est-ce pas, à la culture juive. [00:16:07] Notamment maintenant quand on voit des livres sur les histoires de rabbanim etc. que peut-être vous avez racontés à vos enfants, ce sont toujours des histoires de rabbanim et de tzadikim d'Europe de l'est, n'est-ce pas? On parle, bon de Rabbin Ahmad et de tel Rabbi [nom]. On parle de très grands en Europe mais on ne parle jamais d'un, d'un Marocain, ou d'un, qui a écrit. [00:16:37] On en parle pas pourquoi? Parce que l'Europe, étant beaucoup plus avancés, elle a permis à ces grands auteurs, n'est-ce pas, ces grand rabbanim, de pouvoir publier leurs, leurs connaissances. Le problème qu'on a connu, nous au Maroc, étant donné qu'on vivait dans une société quasiment moyenâgeuse à l'époque, on avait pas ces moyens de communication, ces moyens de publication. [00:17:05]Et c'est là, et c'est là le travail de Sephardi Voices, de votre organisation, qui est en train d'entreprendre quelque chose d'absolument fabuleux. C'est à dire, redonner, et moi j'appelle, j'appellerait ça redorer le blason des juifs sépharades. C'est à dire, montrer aux yeux de la société en général que les sépharades ont une contribution importante à faire. [00:17:31] Qu'ils, qu'ils ont un passé glorieux et qu'hélas, les choses étant ce qu'elles sont, on ne leur a pas fait justice de ce point de vue là. Alors c'est pour ça que on encourage beaucoup les gens à reconnaître l'apport des juifs sépharades que ceux du Maroc ou ceux des autres pays du Moyen-Orient. [00:17:51] C'est, de, des autres côtés aussi, y'a eu de très grands, de très grandes personnalités et des contributions énormes. Et ce qui est important maintenant c'est de rétablir le balancier, n'est-ce pas, qui a été un petit peu déséquilibré pendant des nombreuses années. La raison était fort simple, c'est que, la construction de l'état d'Israël a monopolisé des énergies. C'est à dire, quand on a voulu construire et bâtir l'état d'Israël, on pouvait pas, n'est-ce pas, s'attarder à essayer de savoir euh, les marocains, quelle était votre contribution. [00:18:27] Qu'est-ce que vous avez apporté, etc. On apparaît au plus pressé [?], c'est comme ça qu'on dit en français. On a fait le plusieurs gens. Et le plusieurs gens c'était de se bâtir, bâtir une armée, bâtir un pays, ce qu'Israël a fait de façon admirable et grâce à dieu maintenant c'est considéré comme un pays qui est, qui est en, en, un des pays les plus développés hein? Notamment au niveau de la nanotechnologie, au niveau des, des startups. [00:18:56] Et qui se développe de façon admirable. Mais il reste que les marocains, les juifs marocains, ont contribué euh, sur le plan culturel, avait, avait une contribution importante à faire malheureusement, les premières années de l'installation entre 1948 et 1980, cette contribution n'a pas été perçue à sa juste valeur. [00:19:26] C'est à dire, ils sont venus, quand ils sont arrivés pour beaucoup, ils venaient de, de contrés éloignés donc ils y avait pas de diplômes universitaires. Y'avait pas des médecins, des ingénieurs, des avocats, des techniciens. Y'avait pas tellement de ça. Y’avait des gens qui avaient une très forte emouna, une très grand foi en l'était d'Israël. Et euh, pour eux, le plus important c'était d'aller en Israël pour réaliser le rêve parce qu'ils avaient tous ce rêve, ce rêve de construire et d'aller vers Sion n'est-ce pas, vers Jérusalem. [00:20:07] Et qu'ils, et qu'ils espéraient de tous, de tous les temps n'est-ce pas, des temps les plus reculés. Leurs parents, grands-parents, etc. ne parlaient que de cela. C'est à dire, nous voulons aller vers Israël avec la venue du messie, croyant que c'était ça la Israël qui nous avait été promis, n'est-ce pas. Alors ils ont été avec une très grande foi, une très grand emouna et c'est comme ça qu'ils on euh, apporté leur contribution à l'état l'Israël.
[00:20:37] Lisette: Je vais commencer à demander des histoires famille, de votre, comment vous avez été élevé. On va parler de ça parce que...ok? Alors je vais vous demander l'origine de votre famille. De votre, e vos parents, grands-parents...
[00:21:00] Lisette: Ah d'accord.
[00:21:01] Charles Lugassy: Les rites religieux à la maison. On va parler de ça.
[00:21:07] Charles Lugassy: Très bien. Alors nous...
[00:21:10] Lisette: Noms de vos parents, ou ils se sont rencontrés, votre histoire.
[00:21:19] Charles Lugassy: Très bien, alors, le, le nom de famille, le nom de famille, mon nom de famille c'est Lugassy. Alors ce nom n'est-ce pas, euh, j'ai moi même fait des recherches, j'ai dû faire des recherches pour savoir de quelles origines cela provenait. On a découvert qu'il y a, en Espagne, à côté de la province Oveido, une province qui s'appelle Oviedo et y'a une province qui s'appelle la province de Lugasy, Lugasy, comme mon nom. [00:21:49] Simplement, ça s'écrit avec un "s". Moi, nous nous avons deux "s" mais avec le temps, l'orthographe et l'épellation des noms de famille varie n'est-ce pas? Et elle se transforme. Alors nous sommes portés à croire que euh, l'origine de notre famille vient d'Espagne, n'est-ce pas, et qu'elle aurait fui l'Espagne avec la fameuse inquisition de 1492, et qu'ils seraient venus s'établir n'est-ce pas, dans les confins du Maroc. [00:22:22] Également l'origine de la famille de mon père, Lugassy, est majoritairement de la ville de Mogador et Sawira. La ville de Mogadro c'est une ville côtière, n'est-ce pas, et que toute les, que toutes les famille qui portent ce nom, Lugassy, sont originaires de Mogador. Après quoi ils ont été semés, ils se sont dispersés dans le Maroc. [00:22:46] Ils ont été à Casablanca, Marrakech, etc. Donc ça c'est une des, une des, une des origines. Il y a d'autres, d'autres origines qui sont peut-être un peu moins invraisemblables mais qu'on a découvert, n'est-ce pas. On a pensé que y'avait des tribus dans le sud du Maroc qui s'appelaient Al Ungassy, Al Ungassy avec lesquels on associe notre nom de famille mais c'est, c'est un peu moins vraisemblable, n'est-ce pas. [00:23:16] Est ce sont des tribus berbères. Alors donc, l'origine du nom est fort probablement euh, d'origine espagnole.
[00:23:27] Lisette: Et parle moi de combien d'oncles avez vous? Vos oncles, vos tantes, euh, les noms de vos parents et euh, les noms de vos sœurs et des frères.
[00:23:38] Charles Lugassy: Voilà alors mes parents, euh, mes parents, mon père s'appelle, s'appelait euh, Benyamin, Benjamin, n'est-ce pas et lui même avait donc plusieurs frères et sœurs qui ont, qui ont vécu euh, ensuite, ses frères et sœurs ont vécu ensuite en Israël, en France, dans le sud de la France et ensuite, et, et à Toronto. [00:24:05] Même chose du côté de ma mère qui avait donc qui est issue de la famille euh, d'un rabbin qui s'appelait le rabbin Shalom Malka qui avait, justement, dans ce Mellah de Marrakech, qui avait un riad, qui était propriétaire d'un riad, qui est magnifique d'ailleurs et que nous avons eu le plaisir d'aller visiter avec ma grand-mère. [00:24:29] Et quand nous avons été le visiter nous avons interviewé le, le gardien, y'avait un gardien à la porte, on a trouvé un gardien et le gardien nous a dit, on lui a demandé la - on lui a posé la question, et ma grand-mère lui avait posé la question, qui vivait en Israël et que nous avons, et qui est venue pour cette visite. On lui demandé, on lui a dit, "Mais à qui appartient cette maison?" Alors lui a répondu, cette maison, en Arabe, bien sur en Arabe Marocain et il nous avait répondu, on a tout ça sur vidéo d'ailleurs. [00:24:58] Ils nous a dit, "Cette maison appartient à Rabbi Shalom Malka." Alors Rabbi Shalom Malka, mon grand-père qui habitait dans cette maison était un, un commerçant en gros, d'épices. Il vendait des épices. Et, comme ses riads étaient très grands, y'avait à l'in - à l'entrée de la maison, y'avait une énorme balance, énorme, énorme qu'on peut difficilement déplacer. Je me demande comment elle s'est retrouvée là et c'est sur ces épices, sur cette balance qu'il vendait les épices en gros. [00:25:32] Lisette: [00:25:32] Alors chacun venait acheter des épices. Et dans cette même maison, alors que, quelque chose de caractéristique, il avait, au premier étage, n'est-ce pas, je sais pas, peut-être un dizaine de chambres, de salles et ces salles servaient à faire un collèl [?], un collèl d'études, d'études, pour étudier la Torah. [00:25:55] Et alors quand on s'est présentés cette fois là , alors le gardien m'a dit, " Ah mais si c'est ton grand-père qui était le propriétaire, étant donnée que c'était lui, vient, je vais te donner els livres, les livres de gemarah, le talmud, le talmud, les livres de gemarah dans lequel ses étudiants, qu'il abritaient là, parce qu'il avait des étudiants d'un collèl, ses étudiants étudiaient dans ces livres de talmud. [00:26:25] nous sommes entrés dans une chambre énorme et on a trouvé des cartons, des caisses, des cartons énormes attachés avec de la corde et quand on a vu ça et ils étaient recouverts d'une couche de poussière énorme parce que c'était là, c'était là depuis peut-être 50 and ou 60 ans. [00:26:42] Personne ne les avaient réclamés. Nous on avait étés simplement comme on voulait faire une visite de, de ressourcement, pour aller aux sources, pour voir nos origines et tout ça. Alors là le gardien m'a dit, écoutez, éloignez vous un peu, je vais vous ouvrir un carton. Alors on s'est éloignés mais d'un bon dix mètres et lui il est venu, il a coupé la corde, il ouvert, il a soulevé le couvercle. [00:27:06] La poussière s'est répandue dans toute la salle et là on a trouvé des livres de gemarah, des ivres de talmud, des livres de talmud dans lesquels ils étudiaient. Et il nous a invité à ce moment là , il nous a dit, si vous voulez, vous pouvez les prendre. Les prendre ouais parce que c'est à vous puisque vous êtes, moi, étant le petit-fils, y'a pas grand mode qui est venu. 70 and y'a personne qui est venu les réclamer. [00:27:30] Alors il m'a dit, si tu es le petit-fils..
[00:27:32] Lisette: [overlap] en bas?
[00:27:33] Charles Lugassy: Alors attends, j'y arrive. C'est la communauté. C'est une très bonne question. C'est la communauté. Alors lui, lui son rôle c'était de garder l'endroit, de surveiller un endroit et de le garder et en même temps il en profitait pour habiter là bas. Parce que il n'y a personne. Alors il habite là bas, il vit et il est payé par la communauté. [00:27:54] Le communauté qui s'occupait, à l'époque, n'est-ce pas, des lieux juifs n'est-ce pas, qui, qui n'ont pas étés réclamés.
[00:28:04] Lisette: Et comment il vous a [inaudible]
[00:28:06] Charles Lugassy: Ah, c'était très facile parce que quand, quand on est arrivés avec ma grand-mère, donc c'était la maison où elle a vécu, et dans l'échange de la conversation il a tout de suite compris. Le type ça fait 30 ans, 40, je sais pas combien d'année qu'il est là, et y'a personne qui réclame. Et elle arrive et elle lui dit, voilà, y'a ça, y'a ça dans telle chambre y'a ça etc. [00:28:30] Elle a identifié. C'est comme si vous perdez un bracelet, hein? Et on vous dit, attendez, le bracelet, il avait combien de, hein? Y'a quelle pierre dessus etc, etc. Je vous montre pas le bracelet tant que vous m'avez pas dit combien y'avait de pierres. Alors vous allez me dire, ouais, y'a un diamant là, y'a un truc comme ça, y'a ça, y'a ça, y'a ça. Alors là quand je vois que vous l'avez identifié sans même que je vous le montre, alors c'est bien, c'est bien vous qui en êtes le propriétaire. [00:28:54] Alors toujours est il que euh à ce moment là donc, pour revenir à ce, à cette, à ce riad, étant donné qu'à l'époque quand on a été le visiter euh, moi même ça me faisait tellement longtemps je ne suis retourné que peut-être euh, 30 ans après. 30 ans après. Quand je suis revenu 30 ans après eh bien ce fameux riad, maintenant c'est un, un petit euh, shopping mall, a small shopping mall, yeah, et y'a toutes sortes de commerçantes. [00:29:26] C'est à dire, dans chaque chambres, ces fameuses chambres qui avaient servies, qui avaient servies n'est-ce pas de collèl, de salles de collèl, et ben maintenant il y avait une boutique. Alors celui là il vendait des épices, celui la vend des vêtements, celui la il vendait ça, de ça. Alors j'ai vu ça, je me suis dit, c'est incroyable. Et quand j'ai été à la communauté je leur ai demandé, je leur ai dit, "Mais dites moi, ce riad, parce que un riad maintenant ça peut valoir 4 à 5 millions d'euros, d'euros. [00:29:56] Quand il est rénové. Quand il est aménagé. Bon ben euh, ça, ça une certaine valeur. Ben quand je leur ai demandé ils m'ont dit, ah ce riad, y'a personne qui l'a réclamé. Ensuite on a chose, ensuite y'a, y'a des gens qui l'ont euh, euh, je sais pas, y'a des gens de la communauté qui ont essayé de, de le récupérer, les gens qui habitaient là bas, les gens qui habitaient encore et tout ça. [00:30:23] Oubliez pas, quand vous laissez un bien 30 ans, 40 ans, 50 ans sans même demander ce ses nouvelles y'a toujours quelqu'un qui vient, qui dit, qui prétend n'est-ce pas, en être le propriétaire. Et apparemment ça n'a jamais été réglé. Tant et si bien que la ville l'a récupéré et l'a loué hein? À ses commerçants et puis voilà, c'est ce qu'il est advenu de, de ce fameux riad.
[00:30:47] Lisette: Mais c'était jamais vendu de votre, de la part de votre famille.
[00:30:49] Charles Lugassy: On sait pas. Non, on ne sait pas parce que, honnêtement, on s'en est pas occupé. On s'en est pas occupé. Ma grand-mère, quand y'a eu la alya, elle est partie en Israël, elle a tout laissé. Elle est partie parce que à l'époque faut savoir, il partaient la nuit. Il partaient, y'avaient, on venait les chercher, on les a amenés sur des, des, des bateaux de fortune. On les a amenés, n'est-ce pas, de, du, du Maroc, de Casablanca jusqu'à Marseille. À Marseille ils descendaient dans les camps, c'était des camps, des camps comme pour les réfugiés. [00:31:23] Ils restaient dans les camps, les camps, ce camp où elle a été ma grand-mère ça s'appelait le camp d'arénas. Ils passaient là bas quelques semaines, le temps que le bateau soit prêt pour les récupérer et de là bas, de Marseille, on les récupéraient et on les emmenaient en Israël et ils faisaient leur alya.
[00:31:40] Lisette: En quelle année?
[00:31:42] Charles Lugassy: Ah c'est dans les années, ma grand-mère est partie dans les années '57-'58. Mais avec la différence euh, euh, alors y'a eu, d'ailleurs, y'a eu un moment, un très gros euh, une catastrophe qui s'est produite euh. Un soir y'a un bateau comme ça, c'était des bateaux de fortune. c'était des petits bateaux. Un soir y'a, y'a un bateau qui a quitté comme ça le Maroc pour aller vers Marseille et qui a coulé et qui s'appelle le Égoz. C'est très connu, c'est une histoire très connue et tout, tous, tous les passagers du bateau sont morts. [00:32:18] C'est parce que c'est pas comme, comme euh, on dirait maintenant, les gens font des croisière mais là bas à l'époque c'était des bateaux de fortune qui tenaient plus ou moins. Et quand vous lisez euh, allez voir sur euh, euh l'histoire du Égoz, l'histoire du Égoz, et vous allez voir que c'est un bateau qui a coulé avec tous ses passagers et vous avez ici au rabbinat de Montréal, vous avez une plaque commémorative pour chacun des passagers morts dans ce bateau qui voulaient...[00:32:51] C'était des gens qui voulaient faire les alya vers Israël et qui a, a mal tourné.
[00:32:58] Lisette: Combine de monde prenaient ce bateau?
[00:33:01] Charles Lugassy: Je, je ne sais pas combien, combien de personnes ça pouvait prendre mais apparemment il était surchargé. C'est toujours comme ça.
[00:33:08] Lisette: [overlap] Cent personnes?
[00:33:11] Charles Lugassy: Euh, combien de morts y'a eu?
[00:33:12] Lisette: Oui.
[00:33:13] Charles Lugassy: Euh, je crois que les morts tournent autour de...60 ou 80 come ça qui sont partis euh, euh...
[00:33:22] Lisette: On va retourner à votre enfance.
[00:33:24] Charles Lugassy: Oui.
[00:33:25] Lisette: Je veux savoir quand vous étiez euh, quand vous grandissiez dans les mellah, parle moi de votre vie avec vos frères, vos sœurs. Vous êtes lequel? Vous êtes l'ainée?
[00:33:39] Charles Lugassy: Non, non je suis le troisième mais, mais sachez une chose c'est que moi je n'ai pratiquement pas vécu au mellah parce que, déjà au moment où je suis né, c'était le, l'évolution et l'ouverture vers l'extérieur telle sorte que j'étais, on a vécu en dehors du mellah, à proximité mais en dehors du mellah et que moi j'ai grandi dans la ville moderne. J'ai grandi dans la ville moderne.
[00:34:04] Lisette: [overlap] Parlez nous de ça.
[00:34:05] Charles Lugassy: Alors dans la ville moderne, dans la ville moderne, on entretenaient des relations euh, très proches avec les français parce que la ville moderne c'était occupé par les français. Donc dans ma jeunesse, tous mes amis, ou beaucoup de mes amis c'était de français, des français non juifs. Et nous avions des amitiés très, très fortes, très intenses parce que c'était, c'était une très belle amitié. On se...[00:34:32] Je me souviens que quand j'allais à la synagogue la shabbat, mon copain Français, non juif venait m'attendre à la fin de la prière, à la fin de la synagogue. Je, le shabbat, après le prière il m'attendait à l'extérieur parce que il croy - on croyait qu'il pouvait pas rentrer. Il aurai pu rentrer, y'a aucune interdit pour un non juif de rentrer dans une synagogue, il aurait pu rentrer mais dans notre esprit, quand on est jeunes, on sait pas. [00:34:57] On dit écoutes, la synagogue elle finit à midi euh, la prière alors vient me chercher à midi et après comme ça on va, on va se voir. Et [overlap] on allait jouer ensemble.
[00:35:05] Lisette: Chaque samedi au synagogue? Vos parents?
[00:35:08] Charles Lugassy: Oui. Parce que nous étions...Non, surtout, non, au Maroc c'est surtout les hommes qui allaient. Les femmes n'allaient pas. Les femmes n'allaient pas, les femmes restaient à la maison. Très rares les femmes à la synagogue à l'exception, je crois, si j'ai euh, un souvenir, à l'exception de Kippur. C’était le seul moment où les femmes allaient.
[00:35:31] Lisette: [overlap] Rosh Hashana.
[00:35:32] Charles Lugassy: Ou peut-être Rosh Hashana. Masi c'est tout. Mais ce que je veux dire c'est que les femmes, contrairement à, à la mentalité, par exemple, Nord Américaine, qui est un très bon point d'ailleurs, où les, où les femmes viennent à la synagogue, sont émancipées, etc. Y'avait quand même un esprit là bas, c'était que la femme reste à la maison, s'occupe des enfants, s'occupe de l'intérieur, s'occupe de préparer la nourriture etc. pour le repas et c'était, c'était ça. [00:36:00] Faut dire qu'on, on vivait au Maroc, on était pas à New York. C’était, c'était une, une mentalité différente et c'est ça que, que moi euh, ce qui m'impressionne beaucoup quand je vois euh, ce qui se passe à New York ou il se passe euh, au Canada ou ailleurs dans les ces sociétés évoluées. Je vois comme qui les femmes ont tous les droits et sont affranchies et peuvent faire, exercer des choses et faire leur vies de la même façon que les hommes alors que nos femmes étaient, les femmes...au Maroc dans le, à l'époque c'est, elles étaient astreintes, n'est-ce pas, à rester à la maison. [00:36:42] Et alors non seulement à cause de cela elles n'ont pas euh, elles n'ont pas appris euh, à lire l'Hébreu, à prier, n'est-ce pas, en Hébreu mais il n'en reste pas moins que c'était des tsadekates parce qu'elle priaient mais elles priaient peut-être en Arabe ou elles priaient en français ou elles priaient dans la langue qu'elles, qu'elles maitrisaient. Et c'est, et elles étaient extrêmement pieuses. [00:37:06] C'est incroyable, ce sont des femmes qui n'ont pas eu d'éducation hébraïque, juive à l'école ou pas tellement mais elles avaient, quand même, moi je parle de nos grand-mères et ça mais elles avaient une piété énorme. C'est à dire, c'était des femmes extrêmement pieuses. Très, très pieuses, Toutes les femmes juives de l'époque étaient toutes comme cela. Une grande piété. [00:37:33] Alors toujours est il quand j'étais, quand on était jeunes, euh, à Marrakech, nous avions des amis français d'abord. Et au fur et à mesure - et on allait dans un lycée français. Alors le même lycée que vous avez à Paris ou quoi, y'avait l'équivalent à Marrakech. Par exemple, le lycée, moi j'ai étudié, s'appelait le lycée Victor Hugo. [00:37:55] Alors c'était un lycée français.
[00:37:58] Lisette: Mixte?
[00:37:59] Charles Lugassy: Mixte, mixte c'est à dire?
[00:38:02] Lisette: Garçons et filles.
[00:38:02] Charles Lugassy: Oui, garçons et filles bien sur. Garçons et filles et un lycée français oz on enseignait et on étudiait le même programme qu'ils étudiaient à Paris. Alors qu'est-ce qu'on apprenait? On apprenait l'histoire de France. Et on apprenait que nos ancêtres sont des gaulois. Alors imaginez, un juif du Maroc hein? Qui vit à Marrakech et qui répète la matin en cours "nos ancêtres les gaulois." C'est pas mal. Alors ça faisait, ça quand on le réalise après coup, c'est que voilà, voilà ce à quoi on était confrontés. [00:38:37] Bien sur, il y en avait d'autres qui allaient dans des écoles juives, juives, uniquement juives.
[00:38:42] Lisette: Il y a avait l'alliance?
[00:38:44] Charles Lugassy: Il y avait l'alliance bien sur. Il y avait l'alliance, vous, vous me parlez de ma formation.
[00:38:50] Lisette: Votre formation.
[00:38:52] Charles Lugassy: Alors ma formation c'est cela. C'est à dire, moi euh, pour une raison ou une autre je me suis retrouvé dans une école française, française. Pas juive, pas une école juive, une école française. Par contre, il y avait beaucoup de juifs qui al - qui fréquentaient l'alliance et qui fréquentaient des écoles religieuses juives où ils ont eu des formations adéquates et par la suite, ils poursuivaient une, ces jeunes juifs qui ont fait ces écoles là...[00:39:22] Une fois, fois qu'ils arrivaient, n'est-ce pas, au secondaire, après ça ils allaient à Exlébain [sp?]. À la yeshiva de exlebain avec le rabbin Hiakin [sp?] et c'est lui qui les formaient pour venir, et ils sont devenus rabbins, ils sont devenus, ils ont développé leur connaissances en, en torah.
[00:39:42] Lisette: Parle moi de vos parents. Comment ils se sont rencontrés? Dans le mellah?
[00:39:47] Charles Lugassy: Alors comment ils se sont rencontrés....euh, honnêtement je n'ai, j'ai, j'ai un souvenir très, très diffus de tout cela. Euh, les circonstances je ne me souviens pas d'avoir posé la question moi même à mes parents ou alors si on me l'a dit ça, ça m'échappe à présent.
[00:40:11] Lisette: Et quand ils se sont mariés?
[00:40:12] Charles Lugassy: Ils se sont mariés en 1944.
[00:40:14] Lisette: Et votre maman avait quel âge?
[00:40:17] Charles Lugassy: Elle était très jeune. Elle était beaucoup plus jeune que la normale. D'après moi elle s'est mariée à l'âge de 16 ans. Et, et c'est quelque chose qui, qui est frappant. Elle s'est mariée très jeune et non seulement elle s'est mariée jeune, mais ça l'a obligé à quitter l'école. Et la directrice de l'école en avait fait un scandale à la famille. [00:40:43] Elle a dit, "Comment tu me prends, tu me prends la petite qui est toute jeune, qui va se marier, qui va cesser ses études." Parce que quand on se mariait là bas, ça y est, c'était pour se consacrer à avoir des enfants et à s'occuper de la famille. Et donc euh, on dit 16 and pour sauver les apparences. Moi je soupçonne que c'était moins que 16 ans. Je pense que c'était moins que 16 ans alors ça veut dire que avait, ça avait mis en furie la directrice qui s'appelait Mademoiselle Benmoiras. [00:41:18] Voilà, je me rappelle même du nom de cette dame qui, elle, avait brandi sa canne, et c'était une dame âgée, elle avait brandi sa canne et elle avait levé en disant, c'est un, c'est un crime ce que vous faites que de prendre une jeune fille, très jeune comme ça et de la priver de la chance de, de s'épanouir. Toujours est il que ceci n'a pas empêché ma mère, quand elle est venue au Canada, d'être extrêmement active, d'être une femme d'affaires avancée, éveillée et d'avoir euh, comment dirais-je? [00:41:52] Compensé l'absence d'études etc. Ça l'a, elle a développe, n'est-ce pas, des aptitudes que, dans le domaine, comment dirais-je, des affaires, etc. Et quand elle est arrivée ici, comme quoi le Canada est un pays extraordinaire, c'est un pays où on vous donne toutes vos chances, hein? Pour vous développer quand bien même vous n'auriez pas de background, et le bagage nécessaire et bien, elle a réussi, n'est-ce pas, à se développer, à travaille, à percer et à être la source, la source de revenu de la maison. Elle...
[00:42:33] Lisette: Qu'est-ce qu'elle faisait?
[00:42:33] Charles Lugassy: ...faisait? Ah, elle est venue, quand elle a vu que on avait besoin d'esthéticiennes, elle a été prendre des cours, elle a passé le cours, elle a , elle s obtenu son diplôme et elle est devenue esthéticienne. Et ensuite elle a - à chaque chose, chaque chose où il y avait un, un challenge, et ça je crois que ça dépend un petit peu de la personnalité de chacun. C'est à dire, quand tu as une lacune sur plan, hein? La nature fait bien les choses, tu le compenses par autre chose. [00:43:03] Et bien voilà, c'est, et non seulement ça mais il faut rendre hommage au Canada qui est un pays d'opportunité, c'est comme les États-Unis, Canada de ce point de vue là et c'est un pays ou n'importe qui, n'importe comment peut si il a un objectif ou un rêve, n'est-ce pas, il peut le matérialiser. Il peut le concrétiser. Ce qui n'est pas le cas de l'Europe. [00:43:29] L'Europe, en France ou ailleurs, c'est pas ça du tout. Mais ici c'est, c'est le pays, et je trouve qu'on a fait un excellent choix en venant ici. C'est vrai que pendant longtemps on s'est plaint du froid, de l'hiver, qu'en hiver il fait -20, -30 etc. Mais ça ce sont, c'est, c'est un peu se plaindre le ventre plein. C'est à dire, on se dit, ah oui, il faut toujours trouver un, une petite lamentation mais je trouve que le Canada, de ce point de vue là, après le Maroc, ça été salutaire. [00:44:04] Salutaire de ce point de vue là parce que chacun a pu, n'est-ce pas, prospérer, se développer et être accueilli dans une société tolérante, une société qui accepte, qui accepte l'autre. Et on a jamais, on nous a jamais dit ici, "Ah tu es juif ou tu n'est pas..." truc. Y'a pas eu la discrimination de quelque façon que ce soit et on avait pas peur d'être ce qu'on était. Quand nous sommes arrivés ici c'est un pays d'une euh, tel que le samedi soir à trois heures du matin je me souviens une jeune fillette pouvait se promener sur Ste-Catherine, une jeune fille de 18 ans, sur Ste-Catherine à trois heures du matin y'a personne qui la, qui l'embêtait. [00:44:44] C'est un, c'est un pays, c'est toujours mais c'était un pays de, de grande liberté, de grande tolérance, de grande sécurité et qui était salutaire pour les juifs du Maroc. C'est la raison pour laquelle les juifs du Maroc en 1968 ont effectués un, un déplacement massif. Ils ont quitté le Maroc pour venir s'établir à Montréal. Pour deux raisons, la première c'est que c'est - ça parlait français et que les juifs du Maroc n'étaient pas, ne parlaient pas anglais. [00:45:13] Sinon, si ils parlaient anglais ails auraient étés, je sais pas aux États-Unis ou ailleurs. Mais les juifs du Maroc sont venus à Montréal, au Canada parce que il y avait la langue française. Donc cette facilité, pour voir s'exprimer, et pourvoir vivre, etc, mais aussi et surtout, parce qu'ils ont étés accueillis à bras ouverts par le communauté ashkénaze en place qui les a aidé à s'intégrer, n'est-ce pas, en leur fournissant notamment de l'aide économique. [00:45:41] En leur fournissaient aussi, quand même, un appui logistique dont ils avaient besoin pour s'intégrer et grâce à tout cela bien ils ont essaimé et maintenant vous voyez toute la jeunesse, la, la nouvelle génération juive marocaine ici à Montréal. Ils sont médecins, avocats, ingénieurs, euh diplômés d'université, ils sont, ils ont percé, ils ont réussi et ils sont admirablement intégrés. [00:46:09] Et en plus, les juifs marocains qui sont ici ne quittent pas, les jeunes. Contrairement aux ashkénaze, les juifs d'origine européenne, les ashkénaze, eux les jeunes ont tendance à s'expatrier, à quitter Montréal. Les juifs marocains, se marient, s'installent et restent ici. Et ça c'est un apport précieux pour le, le Québec. Ce ne sont pas des gens qui sont ici de passage, ce sont des gens qui ont choisi de vivre ici, s'y établir et ils, et y'a une, une très bonne relation entre le juifs du Maroc et la population québécoise.
[00:46:44] Lisette: Alors, parle moi, combien de frère et sœurs étiez vous?
[00:46:47] Charles Lugassy: Euh, j'ai quatre sœurs et je suis le seul garçon.
[00:46:51] Lisette: Vous êtes le troisième.
[00:46:52] Charles Lugassy: Troisième, oui.
[00:46:53] Lisette: Et les noms de vos sœurs?
[00:46:56] Charles Lugassy: Alors j'ai ma, ma sœur ainée Doris, ensuite Vivianne, ensuite y'a moi Charles, ensuite j'ai deux sœur jumelle, Nicole et Laurence.
[00:47:05] Lisette: Et les noms de vos parents?
[00:47:09] Charles Lugassy: Alors mon père s'appelle Benjamin, comme mon fils et euh, et ma, ma mère s'appelait Myriam, n'est-ce pas, et ils sont enterrés, mon père et ma mère ont enterrés à Givat Shaul à Jérusalem.
[00:47:23] Lisette: Ah, alors ils sont morts ici et vous les avez…
[00:47:25] Charles Lugassy: Voilà.
[00:47:30] Lisette: Ok euh, alors les premiers souvenirs quand vous avez grandi, est-ce que vous avez des souvenirs? De chez vous, de la maison? Des souvenirs d'enfance?
[00:47:45] Charles Lugassy: Bien sur j'ai des souvenirs d'avoir grandi au Maroc dans des conditions euh, des conditions, comment dirais-je? Des conditions qui étaient assez euh, euh, nous n'étions pas d'un milieu très fortuné et donc nous avions des conditions - c'est à la fois des beaux souvenirs d'enfance mais c'est pas le faste et la richesse ou le confort qu'on a ici, n'est-ce pas.
[00:48:14] Lisette: Vos amis ils étaient juifs, ils étaient, vous avez dit que [overlap]
[00:48:19] Charles Lugassy: J'avais des amis juifs, j'avais des amis français, beaucoup, avec lesquels on était, c'est normal, j'étais dans un lycée français. Donc j'avais des amis intimes qui étaient français.
[00:48:31] Lisette: Il venaient chez vous et...
[00:48:32] Charles Lugassy: Ah oui, bien sûr et qui étaient non juifs, bien sur. Moi je ne mangeais pas chez eux parce que nous nous sommes kasher, alors moi je ne mangeais pas chez eux mais eux venaient chez nous et ils se délectaient de la nourriture sépharade marocaine. Et j'avais aussi euh, pendant un temps euh, un très bon ami musulman, arabe, Arabe marocain avec lequel on était très proches etc. [00:48:57] Et quand nous jouions par exemple au, au foot, là bas c'est le soccer, c'est le sport national là bas. C'est comme ici, ils jouent au hockey, nous nous avion l'habitude de jouer au foot, au football. Et bien nous jouions les juifs par exemple, l'équipe de juifs et français contre l'équipe arabe. Voilà c'était comme ça, c'était, et oui, c'était, c'était intéressant parce que y'avait une espèce de dynamique propre alors on... [00:49:25] Par exemple on avait un match de foot alors on allait au match de foot, alors on arrivait, les juifs, les français, les arabes. alors les juifs et le français étaient ensemble, c'est à dire, il y avait, et on jouait contre les arabes. On jouait contre les arabes. Et après le match, et après le match, et bien, par exemple, il y avait chez les arabes un ami, un avec lequel on avait des affinités, alors on l'invitait. [00:49:48] On lui disait ah toi, tu viens avec nous à la maison pour manger, pour boire pour euh, relaxer, etc. Et c'était ça. On avait développé comme ça des, des re- des rapports de convivialité. Mais non seulement ça, mais ce qui avait, n'oubliez jamais, ne perdez jamais de vue c'est que, par exemple, j'ai souvenir que mes parents avaient à la maison toujours une femme de ménage, toujours, tout le monde a une femme de ménage. [00:50:14] Parce que ça coute trois fois rien et un chauffeur. On avait tous un chauffeur et truc. Alors le chauffeur venait chercher mon père pour l'emmener au travail, le ramenait etc. et la femme de ménage toujours aussi à, à la maison. Toujours une femme de ménage à demeure. Ici quand on a femme de ménage à demeure c'est quand même euh, c'est pas donnée, ça coute etc. [00:50:37] Masi là bas, C'était la norme. Tout le monde avait ça. tout le monde avait ça. Donc on avait un certain confort. Le seul problème que les parents ont, ont connu c'est quand ils sont venus ici, étant donné que là bas quand il avait, par exemple, mon père avait son chauffeur, il avait un titre dans la compagnie dans laquelle il travaillait. Il était reconnu, n'est-ce pas, et il était respecté. [00:51:00] Quand on est venus ici, étant donné que c'était un nouveau pays, y'a ce phénomène qu'on appelle la perte de prestige. Perte de prestige ça veut dire, je viens d'un endroit où je suis reconnu, n'est-ce pas, où on connait ma valeur, où on me respecte. L'homme aime être respecté dans l'environnement dans lequel il se trouve. Hors, quand il est venu ici, on lui a dit, "Monsieur vous avez l'expérience canadienne?" Il a dit il n'y a pas d'expérience, je connais rien. [00:51:26] Alors je connais pas l'expérience canadienne, je ne connais pas l'anglais, il a été obligé d'aller prendre des cours d'anglais, etc. Donc ça été difficile, ça été même très difficile pour euh, pour les parents parce qu'il fallait qu'ils se rajustent à la, à une nouvelle réalité. En revanche, ils l'ont fait pour que les enfants, n'est-ce pas, évoluent dans un pays avancé qui était le Canada et nous ça nous a permis de faire des études universitaires, n'est-ce pas. [00:51:54] Et de, de, de euh, tirer notre, tailler notre place au soleil ici, ici dans ce nouveau pays d'adoption. Et c'est ça que, C'est envers cela qu'on est, qu'on est reconnaissants, reconnaissants de ce que, ce pays a pu nous offrir et nos enfants également ont pu faire des études universitaires, etc. Donc, et chacun a réussi à se placer au mieux qu'il, qu'il a pu.
[00:52:21] Lisette: Qu'est ce qu'il faisait votre papa au Maroc?
[00:52:25] Charles Lugassy: Au Maroc il était directeur de la compagnie de transport Marocaine. C'est pas, euh, c'est pas rien. C'est comme si vous me disiez qu'il étai directeur de la compagnie ici, Greyhound. Greyhound, des autobus. Alors je me souviens quand on voyageait, on voyageait gratuitement et on avait la meilleure place en avant et on pouvait aller où on voulait, autant qu'on voulait, quand on voulait quand on était jeunes. [00:52:46] On avait ces petits privilèges, n'est-ce pas, quand euh...
[00:52:52] Lisette: Ok et votre maman, évidement elle était à la maison.
[00:52:55] Charles Lugassy: Non, ma mère au Maroc elle travaillait.
Elle travaillait à l aposte. À poste, comme Poste Canada, elle travaillait à la poste. Elle travaillait à la poste. Oui.
[00:53:06] Lisette: Et quand vous, ok, avant que vous veniez euh, qu'est-ce qui a euh, encouragé votre famille de quitter le Maroc? Quel était le...
[00:53:22] Charles Lugassy: Ouais, alors, ce qui s'est produit c'est que la réalité c'est qu'après la guerre de '67, entre Israël et pays arabes il y a eu, dans les rues du Maroc, des manifestations, n'est-ce pas. La montés du nationalisme arabe. Avant la guerre, il y avait une sorte de convivialité. Nous vivions en bonne intelligence avec les Arabes. [00:53:50] nous étions, n'est-ce pas, les juifs étaient euh, vaqués à leurs occupations et les arabes aussi et les choses étaient au point mort. Après la guerre, l'année qui a suivi entre juin '67 et juin '68, date à laquelle nous avons quitté il y avait comme un mécontentement [tousse] pardon, une amertume pour les arabes d'avoir, en quelque sorte perdu la guerre. [00:54:19] Parce que au départ, n'est-ce pas, avant que la guerre ne se produise, et pendant la guerre de '?7, des Six Jours de juin '67, tous les postes de radio et de télévision arabes prétendaient que Israël était en train de perdre la guerre. Et quelques mois après ils ont réalisé que tout ça c'était de la propagande et que la réalité était tout autre. [00:54:48] En d'autres termes cette guerre avait été bel et bien gagné en six jours, seulement six jours, par un pays: Israël contre quatre pays arabes qui se sont ligués pour essayer de détruire le petit état juif. Alors la, la réaction, n'est-ce pas, des arabes dans la rue elle a été autant, d'autant plus euh, comment dirais-je, elle a été, de ce point de vue là un petit peu amère. [00:55:19] Alors nous quand on se promenaient ou quand on sortait de la maison et qu'on marchait pour aller où que ce soit et qu'on voyait les manifestations de anger, hein? De colère dans la rue, euh, on se tenait quoi? On se tenait tranquille et on rasait les murs pour ne pas euh, dire plus. On avait même peur de se déplacer. [00:55:49] Alors je me souviens moi que…
[00:55:51] Lisette: Vous aviez quel âge à cet époque?
[00:55:53] Charles Lugassy: Alors j'avais 16 ans. J'avais 16 and et on en menait pas large. Et je me souviens même qu'à l'époque quand je voulais aller à la synagogue j'allais chercher un copain pour qu'il me prête main forte parce que les euh, près de la synagogue y'avait des groupes de jeunes arabes qui nous attendaient avec des pierres et qui nous, et c'était une pluie de pierres parce qu'ils savaient qu'on devait passer par là pour se rendre à la synagogue. Et donc...
[00:56:23] Lisette: Ça vous a touché?
[00:56:25] Charles Lugassy: Ah, ça m'a marqué parce quand vous êtes...
[00:56:27] Lisette: Non, les pierres.
[00:56:28] Charles Lugassy: Non, non, non parce que quand on courrait on se mettait à courir, on détalait et quand on est jeune comme ça, 16 ans, on a de la rapidité, on a de l'agilité et on, et on réussissait à leur fausser compagnie. Mais y'a eu, comment dirais-je, y'a que un espèce de ressentiment. C'est vrai que avant cela, avant la guerre, c'est vrai que nous avions vécu, en bonne intelligence, on vivait, c'était calme, euh, y'avait très peu de, très peu de heurts etc. [00:57:02] Là encore on a pas assisté à des scènes de violence mais on sentait qu'ils étaient mécontents. Ils étaient mécontents du résultat, de cette, cette guerre. Et alors ça c'est transformé par des manifestations dans les rues. Alors ils manifestaient alors on étaient, nos parents nous déconseillaient de sortir et il fallait pas sortir dans la rue si c'était pas extrêmement nécessaire.
[00:57:32] Lisette: Qu'est-ce qui est arrivé à vos amis de foot avec qui vous jouiez, les musulmans, les arabes? [00:57:39] Charles Lugassy: Ah c'était fini ça après. Après ça on se revoyait...
[00:57:42] Lisette: Vous ne jouiez plus avec eux.
[00:57:44] Charles Lugassy: Ça y est. Là on se, non, là chacun se tenait dans son coin. On, on, on faisait, on menait low-profile parce que c'était pas le moment d'essayer de développer des relations ou quoi que ce soit.
[00:57:59] Lisette: Et les amis que vous aviez avant? Les musulmans.
[00:58:02] Charles Lugassy: On les a, on les a perdus de vue. On s'est perdus de vue. Y'a eu des distance. On s'est...
[00:58:09] Lisette: Et les français?
[00:58:10] Charles Lugassy: Les français, bon on est restés amis quelque temps jusqu'au départ, jusqu'au départ et après ça quand on a quitté pour le Canada, parce que nous sommes venus directement au Canada. Y'a pas eu d'intermédiaire par la France ou quoi que ce soit. [00:58:23] On a juste fait escale à Paris, n'est-ce pas, et après on est venus ici. Donc on est pas resté vivre là bas. En revanche, ce qu'on a fait c'est que quelques années beaucoup plus tard, disons, je dirais 15 ans, 15 ans après ou 20 ans après, n'est-ce pas, alors y'a eu comme cette volonté de revenir aux sources et là euh, la plupart des juifs marocains ont ressenti ce besoin de se replonger dans ses origines. [00:58:52] Chacun à sa façon. Alors nous, moi en, ne particulier, étant donnée que je suis rentré dans la vie professionnelle, je suis devenu journaliste ici à Radio-Canada, j'étais journaliste pendant 15 ans à Radio-Canada International et donc j'avais obtenu, n'est-ce pas, la possibilité d'aller euh, à Casablanca à la conférence des états islamiques. C'est pas rien. La conférence des états islamiques, je crois que j'étais le seul juif, n'est-ce pas. [00:59:22] Et j'étais là bas en tant que journaliste à la conférence de presse ou le roi Hassan II, n'est-ce pas, où j'avais d'ailleurs posé une question au roi Hassan II à cette, à cette occasion, et euh, et on était dans un environnement, bon, particulier parce que c'est plus la même chose. Et moi ça me permettait de, d'effectuer un retour aux sources et ce retour aux sources s'est par la suite multipliée, c'est à adire, à part la suite je suis retourné à maintes reprises, plusieurs reprises pour essayer de me replonger, n'est-ce pas, dans mes origines. [00:59:55] Et c'est là que je suis retourné avec ma mère, ma grand-mère qui vivait à Yafo, mes sœurs, certains de mes enfants qui étaient encore tout jeunes mais on est repartis et comme ça j'avais envie d'effectuer ce, ce retour aux sources. En passant, ce retour aux sources s'effectue maintenant de façon admirable. Il y a des dizaines de milliers de juifs marocains d'Israël qui vont régulièrement au Maroc chaque année pour les pèlerinages, pour les visites. Y'a des autocars en quantités et la dernière nouvelle, la plus récente, elle est magnifique. [01:00:34] C'est que le roi du Maroc actuel va établir un lien, n'est-ce pas, un lien aérien entre euh, Casablanca et Tel Aviv avec escale en Sicle et ça va être un lien direct. Voilà, ça va être le premier lien qui va se faire directement euh, je crois que ça va, ça va se développer dans le, dans les prochains mois et c'est donc quelque, c'est une première, c'est une première. [01:01:01] Alors qu'il n'y a pas de, de relation diplomatique directe, n'est-ce pas, entre le Maroc et Israël mais on sait que le Maroc est l'un des rares pays, notamment avec euh, le roi Hassan II, qui a contribué fortement aux accords de paix. Pourquoi? Parce que beaucoup des dirigeants Israéliens sont venus rencontrer le roi du Maroc secrètement et le roi du Maroc était en quelque sort un intermédiaire entre Israël, entre les dirigeant Israéliens et les dirigeants palestiniens. [01:01:35] Donc il a, il a euh, euh comment dirais-je, contribué énormément euh, à l'établissement de relations euh, et de, et à l'élaboration des traités de paix qui ont eu entre l'Égypte, par exemple, et Israël. Entre la Jordanie et Israël. Et le roi du Maroc a toujours vu d'un excellent œil le, l'établissement de relations entre les juifs et les arabes, entre Israël et les pays arabes et ils ont contribué énormément. [01:02:08] Et ça, c'est pas moi qui le dit, c'est documenté. C'est à dire, on voit fréquemment des leaders Israéliens euh, en visite secrète à Rabbat au Maroc. Ils sont venus, ils sont venus pour y rencontrer le roi du Maroc qui leur a facilité, n'est-ce pas, le développement de tractations de, de liens de paix.
[01:02:33] Lisette: Ok, je voudrais vous demander, est-ce qu'il n'y avait pas, pendant Vichy, on revient, est-ce qu'il n'y avait pas un camp d'enterrement ou quelque chose?
[01:02:45] Charles Lugassy: D'internement de, des...
[01:02:47] Lisette: Des juifs.
[01:02:47] Charles Lugassy: Des juifs, alors ça, ça honnêtement, je crois qu'il faut mieux s'adresser à un historien parce que y'a plusieurs, plusieurs versions. C'est comme euh, est-ce que le roi Mohamed V, le grand-père de l'actuel roi, est-ce que oui ou non il a, il a aidé et protégé les juifs du Maroc? Ça, honnêtement ça relève des experts en histoire. [01:03:13] Pourquoi? Parce qu'on lui prête, n'est-ce pas, à tort ou à raison, je veux pas élaborer là dessus, ça ne relève pas de moi. On lui prête l'intention d'avoir euh, essayé de favoriser, n'est-ce pas, le protection des juifs contre la venue des nazis, conte la venue des Allemands et qu'il aurait protégé les juifs en disant que les juifs du Maroc étaient ses ressortissants, de la même façon que les autres, que les arabes sont des ressortissants Marocains. [01:03:46] Que les juifs étaient des ressortissants euh, Marocains de la même façon et que ils ne voulaient pas euh, diffuser ni divulguer les noms des juifs du Maroc. Par contre on découvre qu'il y avait, par exemple à Mogador, la liste qu'on avait commandé, la liste des noms des juifs de la ville. [01:04:06] Et on retrouve cette liste, et cette liste elle est publique. Vous allez sur Google, vous allez la trouver. Vous avez la liste de noms des juifs du Maroc, de, de Mogador. La liste. Mais alors, pourquoi elle a été compilée et pour quoi? Pour qui on aurait compilé une liste des noms des juifs de Mogador? Alors certaine prétendent que c'est à la demande des nazis, qu'ils avaient demandés qu'on leur établisse la, la liste des noms des familles juives pour éventuellement les déporter, etc. [01:04:40] Donc y'a plusieurs versions là dessus. Je ne crois pas que ce soit le propos de la, de l'entretien.
[01:04:47] Lisette: Ok, est-ce que vous avez des souvenirs de votre synagogue? Comment était elle?
[01:04:51] Charles Lugassy: Oui, tout à fait, bien sur. Je me souviens de la synagogue de, la synagogue où j'ai prié toute, toute ma jeunesse, toute mon enfance à Marrakech. C'était une très belle synagogue qui avait un magnifique Echal, n'est-ce pas. Je me souviens aussi que le Echal était placé dans la mauvais position et donc au lieu d'être vers l'est il était vers l'ouest. [01:05:15] Et que, lors d'une de mes visites euh subséquentes, par la suite, n'est-ce pas, récent, j'ai vu qu'ils avaient, avec le temps, n'est-ce pas, et les visites de rabbanim, qui ont du venir et on du dire, mais attendez, y'a une erreur là. Vous avez mis le Echal de ce côté alors qu'il devrait être de ce côté ci. Et ils l'ont, ils l'ont déplacé. Et cette, et c'est un, euh, un monument ou pas un monument, c'est un, c'est un lieu historique mais surtout à Marrakech, vous avez au mellah, vous avez une synagogue qui est devenue...[01:05:47] Maintenant, la synagogue et, et l'ensemble de la bâtisse sont devenus des lieux euh, comment dirais-je, des lieux historique protégés par le patrimoine marocain. Alors le gouvernement, et ça c'est absolument admirable, le roi du Maroc actuel a subventionné, a payé non seulement la rénovation des lieux juifs historiques mais également des cimetières juifs. [01:06:17] La restauration des cimetières juifs, et c'est le roi du Maroc actuel, ainsi que son père qui ont fait ça et, et qui plusait [ ?] au mellah de Marrakech les noms des rues, qui étaient des noms juifs, puisque c'était que des juifs qui habitaient. Mais ces noms là, une fois que les juifs ont quitté, on les avaient remplacés par des noms arabes, musulmans. [01:06:45] Le roi actuel, le roi Mohamed VI, il a fait quelque chose d'absolument inouï, il a demandé à ce qu'on restaure les noms originaux juifs. Alors ce qui s'appelait le, la rue du Rabin Corcos, ça avait disparu et c'était remplacé par un nom musulman. [01:07:09] Et bien lui a demandé à ce qu'on rétablisse al véritable origine des noms, l'origine, le, le, le nom original. Alors maintenant quand vous allez au mellah de Marrakech, vous allez retrouver les noms juifs de chacune des ruelles. C'est absolument -
[01:07:26] Lisette: Est-ce qu'il y a des juifs dans les mellah maintenant?
[01:07:29] Charles Lugassy: Ah très peu.
[01:07:30] Lisette: Qui habite, qui les habite?
[01:07:32] Charles Lugassy: Très peu. Y'a euh, dans le mellah de Marrakech euh, je pense qu'il doit y avoir grand, grand maximum euh, maximum cinq à dix personnes qui vivent encore et qui sont des gens soit des personnes âgées, soit des personnes qui ont euh, une petite, une petite maison qu'ils veulent conserver. Et l'autre, et les autres personnes se sont les personnes qui s'occupent de cette synagogue qui s'appelle Salat Al Azama, la synagogue de la azama. [01:08:03] C'est, son nom et c'est un lieu touristique. Alors les gens viennent de partout, d'Israël, de partout, toute la journée et y'a un jeune, un jeune euh, euh, qui a choisi dont, dont les parents étaient originaires de Marrakech, qui a choisi de venir s'établir là bas et de raconter l'histoire de cette synagogue à touts les touristes qui viennent quotidiennement. Alors il vit là bas, il vit là bas lui même et...
[01:08:30] Lisette: Il est juif?
[01:08:31] Charles Lugassy: Il est juif, il vient d'Israël.
[01:08:34] Lisette: Ah il vient d'Israël.
[01:08:34] Charles Lugassy: Il vient d'Israël parce que ses parents, en Israël lui avait parlé de cette synagogue à Marrakech, du mellah de Marrakech etc...
[01:08:42] Lisette: Tu te rappelles de ce synagogue? Tu peux nous le décrire?
[01:08:46] Charles Lugassy: Ah, oh oui, Ah ben, y'a des phots sur internet. Y'en a plein. Si vous allez sur Salat Al Azama Marrakech il y a beaucoup de photos. Et c'est une synagogue qui est peinte en bleu. Cette couleur bleu ciel qui caractérise beaucoup ces quartiers là. Et maintenant elle a été, comme, restauré, hein ? Elle a été restauré établie et c'était, c'était une synagogue oz nous allions exceptionnellement quand j'étais jeune. [01:09:12] Parce que moi, étant donné que j'habitais au ghéliz, nous allions à la synagogue du ghéliz et celle là nous allions de façon exceptionnelle, à l'occasion mais nous nous allions dans une synagogue qui est juste en dehors de, du mellah et qui s'appelait salat Joseph, Salat Joseph Bitton, la synagogue de Joseph Bitton parce que là bas les synagogues appartenaient à des individus privés. [01:09:38] C'est à dire, des gens qui étaient fortunés alors ils pouvaient payer les frais, n'est-ce pas, d'une synagogue, ou alors ils achetaient le, le euh, comment dirais-je, l'emplacement, l'espace et ils en faisaient une synagogue. Alors nous nous allions dans une synagogue qui s'appelait Salat Joseph Bitton et je me souviens j'ai un très beau souvenir que tout le Echal était en, en marbre, un très beau marbre et cette synagogue est devenue un musée aussi. [01:10:09] Devenu un musée protégé par els autorités marocaines et en cela il faut rendre hommage aux autorités marocaines qui ont su, n'est-ce pas, protéger et défendre les populations juives. C'est pourquoi les populations juives du Maroc n'ont pas subi d'exactions comme elles ont subi, par exemple, en Egypte ou les Juifs ont été expulsés et séquestrés. Nous n'avons pas connu cela. [01:10:38] Au contraire, nous avons connu de la part des autorités ju - euh, marocaines musulmanes, les autorités du roi et du caïd de l'endroit, n'est-ce pas, les gens qui dirigent la ville, nous avons connu, nous avons étés protégés et nous vivons en bonne intelligence. [01:10:58] Sachez une chose, que quand vous dites aux autorités marocaines musulmanes que vous êtes juifs, it's a plus. C’est un, c'est un plus.
[01:11:11] Lisette: Jusqu'à maintenant?
[01:11:12] Charles Lugassy: Jusqu'à aujourd’hui, bien sur. Et aujourd’hui plus que jamais. C'est à dire, quand vous dites que vous êtes juifs, y'a comme un, un espèce de, de marque de commerce, like a trademark, ça veut dire, c'est quelqu'un de, de valable. C'est quelqu'un de qualité. Et ils vont, et ils vont accorder de l'importance à cette personne là. C'est un phénomène que, qu'on le retrouve je crois dans aucun autre pays arabe. C'est le seul pays arabe qui reconnait le valeur et l'apport des juifs au Maroc et leur contribution. [01:11:52] Sur le plan culturel, sur le plan économique, n'est-ce pas. D'ailleurs, c'est connu, les juifs, quand ils ont quitté l'Espagne en 1492, alors que l'Espagne était florissante économiquement, dès que les juifs sont partis, qu'il y a eu l'exode des juifs, et ben l'économie espagnole s'est écroulée. Pourquoi? Parce que dans toutes les sociétés, n'est-ce pas depuis les temps les plus reculés la présence des juifs fait que l'économie est plein effervescence, n'est-ce pas, parce qu'ils ont le sens du commerce. [01:12:24] Et que quand une société perd ses juifs, eh ben son économie va en chutant. C'est pas moi qui le dit, ce sont tous les grands sociologues, les, les gens qui observent les, les sociétés et ils se rendent compte que la présence des juifs, ça favorise le développement économique. Et donc, et de la sorte, tout le monde en profite. Parce que quand eux économiquement ils font bouger les choses, eh ben l'ensemble de la population, n'est-ce pas, se développe en conséquence.
[01:12:58] Lisette: Absolument. Est-ce que vous vous souvenez de Pessah?
[01:13:04] Charles Lugassy: Euh...
[01:13:04] Lisette: Comment c'était Pessah?
[01:13:06] Charles Lugassy: Les préparatifs là bas?
[01:13:07] Lisette: Les préparatifs là bas.
[01:13:09] Charles Lugassy: Je me souviens qui nous avions euh, nous étions limités par la...par le, la, la possibilité d'avoir beaucoup de produits kasher, contrairement à aujourd'hui où on peut vivre dans les sociétés nord américaines avec toutes sortes de produits kasher, là bas c'était très limité. [01:13:32] Parce que à l'époque, à l'époque nous n'avions pas comme maintenant, n'est-ce pas, euh, des organisations comme les produits OU aux États-Unis, MK ici où on peu avoir toutes sortes de produits kasher les Pessah. La bas c'était très restreint, très restreint. [01:13:50] nous vivions dans des sociétés qui n'avaient pas les, le développement comme ici. Par contre je me souviens de sukkhot, comme nous sommes à sukkhot en ce moment, sukkhot là bas, les sukkhot étaient faites de bambou qui était tressé. Alors le sukkots là bas étaient faits de bambou tressé. C'était magnifique, n'est-ce pas, mais pour revenir à Pessah, j'ai souvenir que étant donné que nous devions manger l'agneau pascal, c'était ça hein? Qu'on, qu'on célébrait. [01:14:21] Je me souviens que quelques semaines avant euh, mon père amenait dans la cour, al cour de notre maison, il apportait euh, un agneau ou il apportait un veau, n'est-ce pas, qui allait être, qui allait être égorgé la veille de Pessah et c'était un moment très difficile pour nous, nous les jeunes. Parce que nous, pendant trois semaine, un mois, on l'avait, on avait joué avec le, le mouton. On avait joué avec le veau, on lui avait donné à manger. [01:14:52] On s'était, on avait développé comme une, une espèce de, de, comment dirais-je, d'intimité. On était devenus amis hein? Et c'était un peu comme un animal de compagnie n'est-ce pas. Et la veille, et quelques jours avant Pessah, il faisaient venir le shohet. Le shohet, c'est à dire, le, le celui qui allait égorger la bête de façon rituelle, n'est-ce pas, selon la loi juive et il, il faisaient venir et il égorgeait l'animal devant nous. [01:15:20] Et nous on voyait ça et on, et on avait, on avait beaucoup de peine. On avait beaucoup de peine parce que c'était devenu un ami, hein? L'animal.
[01:15:29] Lisette: Vous avez pu le manger?
[01:15:31] Charles Lugassy: Eh ben, hé ben, je vous cache pas qu'on était, on était un peu réticents parce qu'on se disait, mais comment on va manger celui avec lequel on avait développé des liens d'affectivité, des liens d'affection. Et ça c'est quelque chose que, dont je me souviens. Vous me posez la question, alors je vais vous répondre bien franchement, voici in souvenir...
[01:15:51] Lisette: Pénible.
[01:15:51] Charles Lugassy: Un souvenir, oui, qui était difficile, qui était difficile. Voilà.
[01:15:56] Lisette: Et euh, les, les bambous tressés de sukkhot, vous avez des photos?
[01:16:03] Charles Lugassy: Ah, non, je j'ai pas de photos. Faut dire que la photographie euh à cette époque là y'a 50 ans, 60 ans c'était pas, c'était pas évident hein? Pour avoir une photo de, de, à l'époque c'était très difficile, c'est pas comme maintenant, les caméras, les photos. On a, maintenant on a des, des appareils photos dans les téléphones. [01:16:23] D'abord on avait pas de téléphone ou on avait un téléphone noir à cadran comme ça et attends, et quand on devait faire un appel c'était extrêmement couteux. Donc appelait pas et en plus, qui tu allais appeler puisque la plupart de nos amis n'avaient pas de téléphone. [01:16:38] Quand on voulait se parler, on allait voir le copain, on frappait à la porte on lui disait, "Alors tu viens? On va aller jouer au foot." Donc nous on se donnait rendez vous. On dit, attention, tout à l'heure, à quatre heures, on se voit au terrain de foot et c'était comme ça. Y'avait pas de téléphone, y'avait pas d'e-mail, y'avait pas de, de messages textes. [01:16:55] Y'avait rien de tout ça. Les communications étaient autre truc. On n’avait pas la télé en couleur, c'était la télé en noir et blanc. Et elle marchait seulement le soir, pendant une heure pour les informations.
[01:17:05] Lisette: Alors, est-ce qu'il y avait des organisations juives, sionistes au Maroc? Pendant que vous grandissiez?
[01:17:15] Charles Lugassy: Oui, c'était les, c'était les sionistes qui venaient l'Israël pour, pour prendre les juifs et les emmener en Israël.
[01:17:22] Lisette: C'est l'année '50...
[01:17:23] Charles Lugassy: Ah oui mais ça, ça duré de '50, moi je dirais de '52-'53 jusqu'à, jusqu'en, jusqu'en...'67. Je pense, jusqu'en '67, jusqu'à...
[01:17:39] Lisette: Est-ce que vous étiez au courant des organisations?
[01:17:42] Charles Lugassy: Oui, ben c'est à dire, on savait, on savait parce que le sujet de conversation à la maison c'était ça. C'était ah, les sionistes ou les gens de la alya, tout ça, sont venus et, et ils, pas ils ont pris mais ils ont, euh demandé à telle et telle et telle famille, et demain telle et telle et telle famille doit quitter, doit partir. Mais il fallait qu'ils partent de façon discrète. Attention, il fallait partir de façon discrète. C'est, c'est pas euh, y'avait pas une compagnie de déménagement qui venait et qui vous faisaient, qui ramassaient tous les biens…n'est-ce pas, et qui vous faisaient partir. [01:18:16] Les gens partaient avec les valises de façon discrète et en général, tard la nuit. C'était toujours les départs, c'était toujours...
[01:18:23] Lisette: Ils fermaient la maison derrière eux et ils sont partis?
[01:18:27] Charles Lugassy: Je crois, ben, ça dépendait des cas. Euh, au départ y'en avaient beaucoup qui partaient donc, des montagnes donc ils prenaient les rouleaux de, de, torah, ils prenaient les choses personnelles et ils partaient avec ça. Parce qu'ils avaient pas, ils avaient pas, ils habitaient dans des maisons de pisée ou des maisons de, des huttes alors ou pas, pas grand chose. [01:18:50] Y'avait d'autres qui part - qui préféraient ne pas dire à leurs voisins arabes qu'ils allaient partir en Israël et très souvent ce qu'ils faisaient, ils prétendaient qu'ils allaient en France, in Israël, au Canada, voilà. Ils disaient comme ça, pour pouvoir quitter. C'est comme ça qu'ils quittaient.
[01:19:08] Lisette: Et vous comment vous avez...
[01:19:09] Charles Lugassy: Non, nous nous avons quitté, nous avons demandé, fait une demande de passeport, de passeport. En plus, là bas, l'obtention du passeport c'est pas quelque chose d'aisé comme ici. Ici vous avez un bureau des passeports, vous payez 50 dollars, on vous remet votre passeport au bout de deux, trois jours. [01:19:25] Là bas, obtenir le passeport c'est un périple. C'est toute un histoire. Pourquoi? Parce qu'on, on émet pas un passeport à un juif facilement. Alors...
[01:19:35] Lisette: Malgré le fait qu'ils étaient très bien [inaudible]
[01:19:39] Charles Lugassy: Oui, mais l'obtention du passeport, je me souviens, d'abord ça prenait beaucoup de temps, ça prenait des mois et des mois, parfois une année et en plus, il fallait euh, entretenir des relations privilégiés avec les personnalités là bas et j'en dirai pas plus. Ça, vous devinez un petit peu, c'était pas évident d'avoir le passeport. [01:20:03] Obtenir le passeport c'était tout une démarche.
[01:20:06] Lisette: Ok, parle moi de votre bar mitzvah.
[01:20:09] Charles Lugassy: Oui, ma bar mitzvah, ma bar mitzvah s'est passée, moi dans mon cas c'était un peu particulier parce que ça c'est passé au mois d'aout et le mois d'aout...
[01:20:16] Lisette: C'est chaud.
[01:20:17] Charles Lugassy: C'est très chaud et tout le monde est en vacances. Alors donc, donc à ma bar mitzvah je me souviens que mes parents avaient préparés, n'est-ce pas, une grande réception pour recevoir tout le monde. Malheureusement, euh, la plupart des gens n'étaient pas là et donc on s'est retrouvés avec euh, beaucoup moins de monde qu'on, qu'on aurait voulu avoir.
[01:20:39] Lisette: Et vous disiez, ils sont en vacances où? En France?
[01:20:42] Charles Lugassy: Alors, ils sont, quand ils sont en vacances, ils montent à Imouzzer du Kandar, c'est dans le nord. C'est comme à la montagne. Ils vont à la montagne, y'en a qui vont à la plage parce que nous à Marrakech on avait pas la place, on était à l'intérieur. Alors ils vont à la plage, ils vont à Casablanca.
[01:20:57] Lisette: Où à la plage? Casablanca?
[01:20:58] Charles Lugassy: Casablanca., Mogador, etc. donc ils vont comme ça.
[01:21:01] Lisette: Et le bar mitzvah s'est passé chez vous à la maison ou dans le...
[01:21:05] Charles Lugassy: À la maison. Chez nous c'était à la maison parce que...
[01:21:07] Lisette: Pas en synagogue.
[01:21:08] Charles Lugassy: Non, c'est à dire, à la synagogue euh, on faisait la célébration de monter à la torah, n'est-ce pas, mais y'avait pas là bas dans la synagogue, y'a pas de salle de fête comme, comme la formule d'ici. C'est pour ça que la formule d'ici est beaucoup - est très appréciée parce que tu montes à la torah et après ça dans la salle tu fais - là bas non. Là bas la synagogue c'est une salle comme cette salle, tu fais la prière, tu montes à la torah, tu [??] à la torah mais y'a pas d'endroit pour faire la fête. [01:21:37] Y'a juste un petit, une petite cour où tu peux faire un espèce de petit kiddush, offrir, n'est-ce pas, des, des petites choses voilà.
[01:21:47] Lisette: Ok, alors, ok, après combien de temps pour obtenir votre passeport? un an? Six mois?
[01:21:53] Charles Lugassy: Je me, je pense que c'était assez long mais on a réussi l'obtenir.
[01:21:59] Lisette: Et finalement qu'est-ce qui a poussé votre papa pour...
[01:22:05] Charles Lugassy: Pour quitter? Pour quitter? Qu'est-ce qui l'a poussé à quitter? C'est parce que précisément l'année qui a suivi la guerre de '67, ça été une année décisive où on sentait ne montée du nationalisme arabe et on le redoutait. Parce que quand un peuple devient nationaliste, il devient moins tolérant envers ses minorités, c'est classique, c'est partout comme ça.
[01:22:36] Lisette: Je veux voir, dès que vous êtes venus ici, est-ce qu'il y a des organisations qui vous ont aidé?
[01:22:42] Charles Lugassy: Oui. Oui, non, quand on est venus ici, quand on est venus ici c'est, c'est al JIAS, oui puis, parce que là, oui we have to...la JIAS qui nous a reçu, Jewish Immigrant Aid Services, une organisation ashkénaze qui elle, a facilité l'intégration des juifs, leur a payé, payé le voyage, alors a - fourni un appartement pendant quelques semaines. Elle leur a donné des coupons pour aller acheter chez, à l'époque c'était pas IGA, c'était pas IGA, c'était Steinberg. Alors pour aller chez Steinberg. [01:23:16] Pour faire le, le marché. elle leur a donné des coupons pour aller sur euh, rue St-Laurent, y'avait le grand, le, le gars qui vendait les manteaux d'hiver, les botte d'hiver, la tuque, les gants, etc, les écharpes parce qu'il fallait tout ça. Y'a pas un juif marocain qui est venu avec un manteau. Puisque là, ben le climat, c'est toujours chaud, il fait toujours beau, vous n'avez pas de manteau. [overlap]
[01:23:37] Lisette: Vous n'aviez pas pu amener de l'argent, ou vous avez pu?
[01:23:43] Charles Lugassy: Non, on avait pas le droit de sortir euh, au delà d'un petit montant de, d'argent, bon mais y'avait toujours, j'avait toujours, toutes les familles ce sont arrangés pour cacher dans les vêtement, etc. de l'argent parce qu'on avait le droit de sortir les devises. Interdiction de sortir les devises mais ça, c'est, ça s'applique à tout le monde hein?
[01:24:05] Lisette: Et les bijoux?
[01:24:05] Charles Lugassy: Les bijoux la même chose. Les bijoux étaient cachés et en général les gens avaient acheté de l'or en bijoux parce que les bijoux ça passait, n'est-ce pas. Une femme elle porte des bijoux, c'est normal. Alors les bijoux et ensuite le, le but c'était ensuite de prendre ces bijoux et de les monnayer. [01:24:24] Et de les monnayer pour avoir de l'argent, pour avoir du, du cash.
[01:24:28] Lisette: Vous avez fait ça?
[01:24:29] Charles Lugassy: Oui, bien sur, toutes les familles faisaient ça. C'était une pratique courante.
[01:24:33] Lisette: Ok, dès que vous êtes venus ici vous êtes allés à l'école française? Anglaise?
[01:24:39] Charles Lugassy: Alors ici, quand je suis arrivé, moi je pense que j'ai fait quelque temps, très peu à Northmount High School, en anglais.
[01:24:47] Lisette: nous êtes venus en quelle année?
[01:24:48] Charles Lugassy: En, en, à 17 ans, j'avais 17 ans.
[01:24:51] Lisette: Et c'était l'année '68?
[01:24:52] Charles Lugassy: '68, voilà. voilà et alors on, on a fait ça et ensuite je suis passé tout de suite au, au collège français. Collège français ici pour finir ma - parce que j'avais quitté là bas, j'avais eu un diplôme qui s'appelle le BEPC, c'est un brevet d'études et ensuite je, j'ai continué ici au collège français pour avoir le bac français que j'ai passé à Marie de France, au collège Marie de France. [01:25:16] Donc j'ai continué dans le système français.
[01:25:19] Lisette: Et l'élément le plus important que vous avez apporté de votre héritage séfarade c'est quoi?
[01:25:25] Charles Lugassy: Alors moi ça été, ça été mon attachement profond à la culture séfarade, ce, pourquoi? Parce que je, je constate euh, à mon grand désarroi que le, les séfarades marocains ont une contribution immense, n'est-ce pas, au judaïsme à faire à que, malheureusement, ça été un petit peu euh, regardé de haut par euh, l'environnement, l'ensemble du monde juif. [01:25:57] C'est à dire, on, on nous a regardé comme peut-être des arabes émancipés mais on était d'après - à mon sens, on est, on est une, une ethnicité à l'intérieur du judaïsme qui a une contribution précieuse à faire, à apporter et je trouve que ça été, ça été euh, ça n'a pas été reconnu à sa juste valeur et c'est la raison pour laquelle euh, je, je suis ravie que Sephardi Voices maintenant veuille redonner ces, redorer le blason du judaïsme séfarade en lui redonnant tout son sens. [01:26:39] Et, et en rappelant au monde juif que les séfarades euh, constituent une part importante et imposante du judaïsme dans, dans l'apport de la culture juive et que, malheureusement ça été un petit peu euh, sous estimé euh, mais c'est un peu normal quand il y a des déplacements de population comme ça. C'est un petit peu normal qu'on oublie de rendre justice à chacun et de faire, voilà.
[01:27:12] Lisette: Les questions clés. Je voudrais savoir, vous vous considérez comment? Comme réfugié, comme migrant? Comment?
[01:27:22] Charles Lugassy: Non, moi je, moi je con - moi je crois que nous sommes, nous sommes ici au Québec, des gens qui avons fait notre immigration et pas du tout comme des réfugiés. On a quitté le Maroc mais on a quitté le Maroc pour un, pour un pays d'accueil qui a été très ouvert envers nous et, et autant, autant, n'est-ce pas, on est partis du Maroc euh, peut-être une certaine façon euh, de façon précipitée, sans vouloir euh...[01:27:54] Sans euh, autant, autant le pays le, qui nous a accueilli, nous a accueilli les bras ouverts.
[01:28:00] Lisette: Et votre maison vous l'avez quitté là bas? Est-ce que ça été vendu ou vous étiez...
[01:28:05] Charles Lugassy: Ah, euh, la, la fameuse maison qu'il y a au mellah, le riad en question on s'en est jamais vraiment occupé parce qu'on avait pas, moi je suis parti très jeune, n'est-ce pas, et quand on est venus ici on est restés peut-être 20 ans sans retourner. Donc on s'en est jamais vraiment occupé. Donc maintenant c'est considéré comme...
[01:28:29] Lisette: Et votre identité, c'est quoi?
[01:28:30] Charles Lugassy: Notre identité, moi personnellement...
[01:28:33] Lisette: Oui.
[01:28:33] Charles Lugassy: Je me considère juif sépharade marocain, n'est-ce pas, et, et d'appartenance au Canada et Canadien.
[01:28:45] Lisette: Et le, ce que vous voulez passer à vos enfants?
[01:28:49] Charles Lugassy: Alors moi j'insiste beaucoup pour leur dire que nous avons, nous, juifs marocains séfarades ici, au Québec et au Canada, nous avons une contribution importante à faire au développement du judaïsme et que c'est très important de rester attaché à nos sources, à nos us et coutumes séfarades marocaines. Marocaines, et j'insiste parce que les, les coutumes séfarades marocaines sont d'une richesse. [01:29:21] Elles sont inspirés de l'Andalousie et elles sont d'une beauté et d'une richesse absolument incroyable et ce serait dommage de perdre tout cela. Au contraire, il faut l'entretenir et le transmettre.
[01:29:34] Lisette: Et deux dernières questions.
[01:29:35] Charles Lugassy: Allez-y.
[01:29:36] Lisette: A votre retour au Maroc, comment avez vous vécu l'expérience de retourner dans votre pays natal?
[01:29:45] Charles Lugassy: Alors j'ai, j'ai eu ce choc à savoir que ce que je m'imaginais comme étant, par exemple une grande synagogue, ou une grande maison ou un grand espace, etc. était tiny, étaient minuscules parce que le, y'a eu une grande, y'avait une grande différence entre l'imaginaire et la réalité. D'abord parce qu'on est habitués aux grands espaces Canadiens, ou ici tout est immense, tout est grand, tout est ouvert, etc. [01:30:15] Et que là bas, tout est minuscule. C'est un monde de Lilliput, un monde miniaturisé et c'est pour ça que c'était, c'était vraiment un choc, c'était vraiment un choc. Je me disais mais comment, moi, et je croyais que c'était mon imaginaire qui m'a fait croire, mais oui, on était jeunes, plus l'imaginaire nous a fait croire que la synagogue était grande et quand je suis arrivé là, je me suis dit, mais c'est minuscule, c'est tiny.
[01:30:40] Lisette: Et les enfants sont venus avec vous?
[01:30:42] Charles Lugassy: J'ai, j'ai pris mes enfants mais ils étaient en bas âge, ils étaient très, très jeunes donc ils n'ont pas pu apprécier la chose euh, comme il se doit.
[01:30:50] Lisette: La dernière question, quel message voulez vous partager avec les gens qui écoutent cette entrevue?
[01:30:59] Charles Lugassy: Le message principal c'est que les juifs marocains sont une, sont un, une partie du judaïsme mondial qui a un apport culturel et culturel, c'est à dire sur le plan de, de la liturgie, d'une richesse inouïe qui s'inspire de l'Andalousie, qui est une grande richesse. Donc tâchez de faire au mieux, de faire au mieux pour, pour ne pas que ces, ces us et coutumes séfarades marocains se, se perdent et se diluent. [01:31:37] Parce que avec le déplacement de population vers le Canada, les États-Unis, on a tendance à oublier un petit peur et à tourner la page. Et, au contraire, il faut essayer de maintenir nos coutumes essayer de les transmettre à nos enfants pour que ils se souviennent de la richesse de cette culture. [01:31:59] Je l'ai dit en début d'entrevue, c'est au Maroc qu'on a, à l'extérieur d'Israël la plus grande proportion de juifs observants. Et n'oubliez pas le juif du Maroc, partout dans le monde, il est plus observant que tous les autres juifs de tous les autres pays arabes. Il est très proche de ses, de ses coutumes. De l'observance de la torah, de la foi, n'est-ce pas, et il a, et il a, en plus il a sur ce, sur le plan personnel une, une richesse sur le plan euh, comment dirais-je...[01:32:40] Le plan artistique, le plan créatif, il est toujours, il a, il a une très grande dynamique en lui et je pense que la communauté juive, dans son ensemble, ashkénaze et autres, devraient tirer profit de cela et mettre ça à profit pour développer d'avantage le judaïsme international, le judaïsme mondial.
[01:33:01] Lisette: Merci beaucoup.
[01:33:02] Charles Lugassy: Merci à vous de m'avoir reçu.
[01:33:04] Lisette: Un vrai privilège.
[01:33:06] Charles Lugassy: Merci beaucoup.